2018, retour sur une année de luttes

Mediacoop, coopérative gérée par ses salariés, a décidé de fermer pour ces quelques jours de vacances de Noël. Les salariés sont épuisés d’avoir couru et couvert toute l’année des luttes qui, si elles sont belles et pleines de promesses, parfois demandent une énergie et un recul nécessaire pour les appréhender. Mais avant de nous barrer en vacances, on voulait vous parler de deux/ trois trucs…

 

Cette fin d’année est d’une morosité sans nom. Les gens, à bout, se mobilisent comme ils le peuvent et prennent conscience de la violence de notre système. Une violence contextuelle, sociale, politique et policière.

Contextuelle, car nous venons d’être témoins d’un nouvel attentat tuant 5 personnes dont deux journalistes. Nous avons le coeur au sec depuis quelques jours, tant il nous est difficile de parler de la mort de camarades trentenaires qui se battaient pour la liberté de l’information et des médias plus libres. Il est toujours impossible à imaginer que des gens si actifs ne donneront plus d’eux-mêmes pour faire tourner notre bonne vieille terre. Il faut donc faire le deuil. en essayant de dépasser la colère. Prendre du recul et tenter de comprendre. L’assassin était français, n’avait que 29 ans et une haine atroce et aveugle en lui. Une haine si féroce qu’il a tiré dans le tas, comme ça, visant des hommes, des femmes et des enfants. Des noirs, des arabes, des blancs, des vieux, des vieilles. Sans aucune conviction politique et religieuse. Juste, déverser sa haine. D’où vient cette haine? Comment se construit-elle? Qui aurait pu le raisonner? Pourquoi certains de nos concitoyens se sentent-ils à ce point en colère contre eux-mêmes, et nous-mêmes, jusqu’à tuer des êtres qui ne demandaient qu’à poursuivre leur combat? Bien sûr le destin de Cherif, on pouvait penser qu’il était couru d’avance. 67 antécédents judiciaires et 27 condamnations. Un jeune à la dérive, que personne n’a su remettre sur le chemin de l’apaisement. On imagine que ces loups solitaires seront de plus en plus nombreux. Désespérés, manipulés, récupérés par les islamistes radicaux, ces assassins sont les nouveaux monstres qui émergent de notre société malade, et inéquitable. Sans jamais pardonner, n’oublions pas d’essayer de comprendre.

La violence sociale, donc, parce que nous ne savons que trop, que nombre de nos concitoyens ne peuvent pas se chauffer, manger à leur faim, et regardent sans attention mais avec désarroi, les plus riches leur faire des clins d’oeil d’insolence. Des sorties irrespectueuses de la part des politiques, des hommes d’affaire sur leur fortune sur les écrans de télé regardés par le  » peuple » ont suffi à allumer la brèche. Un tantinet insurrectionnelle, parfois révolutionnaire, la lutte des Gilets Jaunes a ainsi montré que le Peuple, même sans savoir faire, même sans réelle conviction, même sans harmonie ni organisation, n’est pas encore tout à fait dans la résignation. Alors évidemment coller son gilet jaune sur un pare brise n’est pas un acte des plus forts que l’on ait pu croiser ces derniers temps. Squatter les ronds-points, détruire les radars, et ouvrir les péages avaient plus de sens. Mais cette lutte n’a pas englobé tout le monde, les travailleurs précaires n’avaient pas le temps nous disaient-ils, les banlieues ne se retrouvaient pas dans le combat. Certains patrons s’affalaient sur le rond-point au côté de salariés. Des fachos, des climato-sceptiques, des élus se sont appropriés la lutte, interdisant alors à d’autres l’accès. La rupture était déjà consommée.

Oui, mais, malgré tout, ces gens qui n’avaient jamais battu le pavé se sont retrouvés face aux réalités des manifestants habituels. C’est vrai qu’à la télé, ils entendaient parler des violences policières. Voilà qu’ils la vivent, voilà qu’armés de leur petit tissu jaune, ils se font tabasser, allumer, « gazer ». Voilà qu’ils découvrent le silence des politiques. Et que leur lutte n’est pas la première, que d’autres, syndicats, infirmières, profs, retraités, cheminots, ouvriers se sont déjà tellement battus, parfois essuyant un échec cuisant, parfois réussissant à obtenir le moins pire, le un petit peu mieux…Ici, à Clermont-Ferrand, les luttes sont parfois féroces. En cette année 2018, il a fallu se battre contre l’arrivée du fascisme dans nos murs. Un Bastion Social a ouvert ses portes dans une des rues historiques. A force de cohésion de nombreux membres, collectifs, le local a fermé. Entre temps, on aura déploré des blessés graves, des procès, et une justice assez clémente pour ces militants néo-nazis ultra-violents, machistes, racistes et individualistes. On sait qu’ils reviendront sous d’autres formes, dans d’autres lieux, et que combattre leurs idées nauséabondes est un travail de longue haleine à réaliser avec pédagogie et sérénité. Chercher à comprendre là aussi d’où peut naître cette haine de l’autre… Cet enracinement dans la colère.

Parce qu’à Clermont-Ferrand, il a aussi fallu se battre pour la dignité de nos frères et soeurs, contre les violences politiques. Celles qui actuellement touchent la politique migratoire. Ils ont été jusqu’à 200, à camper, sur la place du 1er mai, pendant de longues semaines. Des familles entières qui fuient leur pays terrassé par la guerre. Et auxquelles, les politiques sont incapables de tendre une main; trop concentrés sur la rentabilité du pays. Alors, ce sont des humains qui ont tout mis en place, les repas, l’électricité, les douches, les soirées, les suivis administratifs, les jeux pour les enfants. Chacun essayant de donner de son temps, et de son amour. Peut-on parler d’une réussite? Certainement quand on voit les liens créés, les sourires échangés. Un peu moins quand on comprend le résultat : des familles dans des gymnases sans ressources, sans moyen de travailler, d’un jour pouvoir avoir un lieu à elles. Sans politique d’intégration réelle. Mais,nous avons retenu ici, les belles histoires, les goûters partagés, les enfants heureux d’aller à l’école, les parents à l’abri des bombes. Cela ne nous suffit pas. Alors nous continuons le combat.

Voilà, en cette fin d’année, le bilan est un peu mitigé, nous avons rencontré des gens superbes, des résistants de tous poils, couvert des luttes sociales, environnementales dans lesquelles les protagonistes ne lâcheront rien. On a rencontré la force, l’amitié, l’espoir et la solidarité.

D’ailleurs, notre film Sur la route d’Exarcheia, retraçant cette solidarité internationale a cartonné. On cherche de nouveau des dates de diffusion, si vous voulez sourire et chanter un peu…Il sera parfait!

Bien sûr, on a croisé les échecs, les larmes, les morts, les incarcérations injustes, les blessures, le désespoir, et la violence partout, toujours, tout le temps…

Mais nous voulons poursuivre, nous voulons y croire, nous voulons que notre ami et collaborateur Stéphane soit libéré le plus vite possible. Il a été incarcéré le 8 décembre alors qu’il filmait une manifestation des Gilets Jaunes. Nous voulons que le fascisme disparaisse, ainsi que les inégalités sociales. Nous voulons continuer à croire en notre service public, à la portée de tous. Nous voulons que la planète soit sauvée de la pollution, des dérèglements climatiques. Nous ne ferons pas revenir nos morts, mais nous voulons qu’ils soient de moins en moins nombreux. Nous voulons continuer le combat aussi pour nous sentir vivants. Parce que l’information que nous défendons est celle qui nous appartient à tous, celle du terrain, sans aucune pression politique, ou de grands patrons. Nous sommes le peuple. Nous sommes les sans-voix, nous sommes les laissés pour compte. Nous nous battons aussi contre l’information de masse, et de la communication du pouvoir. Nous luttons, à vos côtés, autant que le contraire.

Alors, cette semaine, on va se ressourcer auprès de ceux que l’on aime, gardant à l’esprit l’injustice, le combat à mener. Mais il nous faut du repos. Du recul. De l’amour. De la vraie vie.

Nous reviendrons plus forts et plus motivés. C’est une promesse!

Belles fêtes de fin d’année à vous.

 

PS:

Nous souhaitons un rapide rétablissement à notre compagnon de lutte Yannis Youlountas, essouflé par tant de routes, de peines, de tristes nouvelles, d’injustices.

Nous serrons très fort notre ami Stéphane incarcéré à la prison de Valence, dont le procès se déroulera le 26 décembre pour  » violence en réunion sur un membre des forces de l’ordre ».

Nous embrassons toutes les personnes, qui, n’ont plus la force de se battre. Nous le ferons pour eux.

Nous pensons de toute notre âme à tous les précarisés et fragilisés que nous avons croisés cette année: dans les maisons de retraite, à la PJJ, dans les prisons, à la fondation Abbé Pierre, dans les hôpitaux,  sur le campement du 1er mai, dans les gymnases, à la rue, sur nos routes, à la mission locale.

Un gros bisou à tous les élèves qui suivent nos ateliers d’éducation aux médias durant lesquels s’éveillent les consciences.

A nos amis grecs qui ne cessent de lutter et nous montrent l’exemple.

A tous ceux qui sont venus voir nos films, qui ont mis un peu de sous dans notre cagnotte pour financer l’indépendance de notre média…

A tous ceux qui luttent à nos côtés, malgré la répression…

a vous tous,

La solidarité est notre arme…Nous vaincrons…

 

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1 réflexion sur “2018, retour sur une année de luttes”

  1. No passaran !
    Un ami a monté une association il y a dix ans pour créer 2 écoles à Madagascar. Elles ont existé pendant 10ans, scolarité, repas, formation des enseignants, salaires corrects…
    Le tout uniquement avec les dons des copain.
    Et puis La tune manque, même aux copains, alors on rajoute toujours plus de sa propre tune, et puis on ferme une des deux écoles, on supprime les repas pour conserver la dernière classe. Puis on ferme là dernière classe.
    On maintient les derniers dons pendant un an pour verser un salaire au enseignants pour qu’ils se recasent et rebondissent, puis on dissous l’asso. C’etait la semaine dernère.

    Du coup mes 20€ par mois, j’en fais quoi ?
    Une autre Asso, une autre école ?
    C’est l’instruction la priporité non ?

    Oui c’est la priorité, mais il y en une autre, c’est l’information, la vraie, celle qui n’a pas été prise en otage, celle qui permet au peuple de savoir la vérité, qui empêche l’égoïsme, bref celle qui se fait rare.
    Du coup, j’ai trouvé où vont aller mes 20€ mensuel. Ça part d’une tristesse, mais « no passaran ».
    Yo

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