Campement du 1er Mai:  » maman, je ne serai plus jamais comme avant à partir d’aujourd’hui… »

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Publié le 12 septembre

 

Mes filles ont voulu aller partager leur goûter, place du 1er mai, hier après l’école. Là-bas, un campement de réfugiés de 107 personnes, dont 36 enfants et deux bébés. L’occasion de passer du temps avec ces gens abandonnés par les pouvoirs publics mais qui heureusement peuvent compter sur la mobilisation d’une poignée de bénévoles. 

 

Capucine, 10 ans, n’en mène pas large. Elle tient mon tee-shirt, apeurée par la présence des policiers autour d’un homme et son fils de 12 ans.  » Qu’est-ce qu’ils font maman? » Nous nous approchons doucement. Ils assignent à résidence un albanais, sa femme, et leurs deux enfants. Le gamin de 12 ans joue les interprètes, les larmes aux yeux. Il vient de rentrer du collège Lucie Aubrac où il a de très bons résultats. Il ne veut pas partir, pas repartir. Deux ans qu’ils vivent en France, dans des tentes. Pas le confort, mais toujours mieux que là-bas. Parce que là-bas, personne ne trouve les mots pour raconter, mais les regards tombent, s’assombrissent. Le père y était prof de math, sa femme couturière. Ils ont dû fuir, de toute urgence. Ont traversé des pays. Et aujourd’hui, on vient de leur dire qu’ils sont assignés à résidence. à résidence? Leur résidence? Une tente Décathlon, sur une place publique de Clermont-Ferrand. Plus le droit de partir, de s’enfuir. Il faut que la Police Aux Frontières puisse les retrouver coûte que coûte pour le jour de l’expulsion. La famille a été déboutée (n’a pas obtenu ses papiers) et est donc considérée comme illégale sur le territoire. Mes filles à moi se taisent mais vont proposer des bonbons et des madeleines à tout le monde sauf aux policiers. «  Maman, pourquoi ils ne les laissent pas tranquilles, regarde, le papa pleure, va leur dire de les laisser tranquille. » Je comprends la violence du moment aussi dans le regard de mes deux filles, capucine 10 ans et Constance bientôt 7 ans. Elles ne quittent pas des yeux les armes autour de la taille des policiers. Leurs grosses chaussures aussi. Heureusement, rapidement des têtes connues. Sofiane d’Alternatiba, ou Scott. Ils sont en train de mettre de l’électricité sous la tente  » repas ». Toujours avec la bonne humeur. Et puis Arold, l’animateur du campement, nous explique la raison de sa présence ici depuis le début. «  J’habite dans le quartier depuis 5 ans. Tous les jours, je passe sur cette place, et donc naturellement, je suis venu m’amuser avec les enfants, leur faire faire du yoga. » Il nous fait une démonstration. Les filles rient, discutent avec les autres enfants présents. Constance offre sa trottinette à une petite fille qui parle parfaitement le français. Le paquet de bonbons s’amenuise.  Martine de RESF a recensé les 48 tentes et les 14 nationalités: Albanie, Georgie, Kosovo, République Démocratique du Congo, Serbie, Ethiopie, Guinée, Soudan, Irak, Sierra Léone, Nigéria, Macédoine, Cameroun, Côte d’Ivoire. Elle m’appelle « Viens voir, regarde, nous avons une nouvelle famille. » Depuis la fermeture du camping de Cournon, c’est l’enfer. En une semaine, nous sommes passés d’un campement de 50 personnes à 107. Deux femmes enceintes, un bébé de deux mois et un autre de sept mois.

Malgré tout et grâce à la volonté des citoyens, la vie sur le camp commence à devenir un peu moins précaire. Le PARCC Oasis a installé des douches solaires. La mairie a ouvert hier, les toilettes publiques. Il manque cependant du matériel. Sofiane, perché sur une chaise me dit «  tiens, on aurait besoin de batteries de voiture ou de camion pour la mise en place de la lumière. Tu l’écris dans ton article ? » Alors d’autres m’interpellent «  De l’eau en bouteille, de la moutarde et du vinaigre, de l’ail et de l’oignon, des épices, des boites de sardines, du thon, du shampoing et du savon, des légumes, du maïs, des champignons, des haricots, des petits pois, et du lait et le chocolat en poudre pour les enfants le matin… »

Les enfants justement rentrent peu à peu de l’école. Certains font leurs devoirs à même le sol, d’autres racontent leurs journées et combien c’est génial d’avoir une classe et une maîtresse. Les filles se taisent.

Fanny arrive. Elle est là depuis le début, soit depuis une semaine, elle passe tous les soirs après le travail. Tout le monde l’attend, avec son si beau sourire et son éternelle douceur. Elle prend soin de tous et chacun la remercie. Elle enseigne le français, pas très loin d’ici. « Ce n’est pas facile de voir ça, mais ne pas s’y confronter c’est pire. » Peu à peu, les citoyens débarquent de leur journée de boulot, RESF ou La Cimade. Des étudiantes débarquent apporter un peu de leur temps. Les gens se questionnent sur l’incendie commis à l’école de Ménétrol. La maire du village vient souvent sur le campement. Beaucoup pensent qu’il s’agit d’un feu criminel causé par des fascistes. Surtout qu’un Local du Secours Populaire a brûlé aussi voilà quelques jours. 

Les policiers sont encore là, l’homme pleure, tête baissée. « Maman, ça finit sa journée à quelle heure un policier ? »  me demande Constance. Personne n’ose lui répondre. « Ils veulent les emmener où ? » on répond qu’il s’agit d’un centre de rétention, un genre de prison. Mais Capucine renchérit tout de suite : «  Oui, mais une prison dans laquelle on met des gens qui n’ont rien fait…ça c’est injuste ». On regarde tous médusés, l’albanais offrir sa bouteille d’eau aux policiers assoiffés. 

Un bénévole se revendiquant de RESF ou la Ligue des Droits de l’Homme s’énerve contre nous, alors que nous sommes en train de discuter avec le réfugié. «  C’est peut-être pas le moment pour l’interview. » On lui répond qu’on connaît notre métier. On a envie de lui dire que pour un humaniste crier sur une maman devant ses enfants, ça fait tâche, et qu’il ferait bien de partir plutôt que de blesser l’humain. Mais il est vexé, s’énerve tout seul. Heureusement, les autres bénévoles nous réconfortent. Même dans les associations ou collectifs, les hommes ne savent pas toujours se tenir.

Doucement, nous arrivons au soir. Les filles n’ont pas fait leurs devoirs. Constance a soif et faim. Sa sœur la réprimande : «  non mais tu ne vas pas te plaindre, tu as vu les autres enfants qui dorment sous une tente ? » Constance se reprend. Mais je sens que cela fait beaucoup, ces quelques heures déjà. On remonte dans la voiture. Constance ne dit pas un mot. Capucine a pris soin d’aller embrasser le petit garçon auprès de son papa qui pleure, entouré des policiers. Elle me demande s’ils vont s’en sortir. Je ne mens jamais à mes enfants. «  je ne suis vraiment pas sûre. » Capucine le prend en pleine face. «  Ca peut être bien maman de mentir parfois encore à ses enfants. » Nous rions. Puis, elle me parle de la petite fille, d’Arold, du petit garçon à qui elle va offrir son ancien vélo demain. Il veut une toupie, ça tombe bien, elle a encore un peu de sous dans sa tirelire, elle lui en achètera une. J’ai bien envie de pleurer. Alors je leur dis mes doutes, que peut-être tout ça était un peu violent pour elles. Constance rétorque : «  S’il n’y avait pas eu la police, j’aurais aimé être là-bas. » Capucine confirme et rajoute «  oui et le monsieur qui t’a dit d’arrêter ton interview, en criant. » Ah oui, le militant des Droits de l’Homme ! Mais toutes les deux veulent y retourner le lendemain, jouer avec leurs nouveaux copains, faire du Yoga avec Arold, et recroiser les sourires de Fanny et les autres.

Ce matin, Capucine et Constance ont savouré leur petit déjeuner, et leur douche. Ce matin, à son réveil, Constance m’a dit avoir fait le plus beau rêve de sa vie : « Tu sais maman, sur la place, il n’y avait plus de tente, chaque enfant vivait  dans une maison avec leurs parents… » Pourquoi parfois est-il si dur de réaliser les voeux  de nos enfants ?

 

Eloïse lebourg

 

Un rassemblement est prévu, à 14h, samedi 15 septembre, place du 1er mai, en soutien à ses familles délaissées par les pouvoirs publics. 

 

 

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