« C’est la fin de l’éducation pour tous », le monde de l’enseignement dans la tourmente

Aussi bien dans l’éducation nationale que dans l’enseignement supérieur, les réformes s’enchaînent malgré la colère des syndicats. Jeudi 14 mars, les organisations enseignantes et étudiantes tiennent une réunion publique pour informer sur ce qu’ils considèrent être la destruction de l’enseignement public.

Des drapeaux français et européens dans toutes les classes ! Le détail a fait grand bruit, il y a quelques semaines, et provoqué l’exaspération de bon nombre de professeurs. Mais au-delà de l’anecdote, ce sont des réformes bien plus importantes qui inquiètent les organisations syndicales. Sophie Brutus et Frédéric Campguilhem de la CGT Éduc’action, et Benoît Imberdis et Anna Mendez de l’UNEF, reviennent sur le contenu de ces nouvelles lois.

« Il y a plusieurs réformes en cours qui changent en profondeur le système éducatif », commence Frédéric Campguilhem. « La logique qui est derrière, c’est que tout le monde n’est pas fait pour faire des études. On crée donc une éducation à deux vitesses, dans la continuité de ce qui a été fait avec les collèges par Najat Vallaud-Belkacem : il y a les établissements d’élite, et les établissements populaires. C’est l’abandon de l’idée de l’école pour tous. »

« On ne fournit plus aux élèves des connaissances qui leur permettent de poursuivre les études s’ils le souhaitent, à la place on leur apprend à lire une notice. »

En cause en premier lieu, la fameuse « réforme du lycée », qui instaure de multiples spécialités à la place des trois filières générales, et laisse leur mise en place à la discrétion de chaque établissement. « L’illustration parfaite, c’est le latin : à Ambroise Brugière, la section latin n’existe que s’il y a un nombre d’élèves suffisant. À Blaise Pascal, elle continuera d’exister quoiqu’il arrive. » La conséquence probable : un baccalauréat dévalorisé dans les quartiers populaires. Le lycée professionnel n’est pas épargné non plus, et a droit a sa réforme dédiée. « En gros, on passe d’une formation en quatre ans à une formation en deux ans et demi », résume Sophie Brutus. « Et ce qui est particulièrement grave, c’est que les matières générales deviennent utilitaires par rapport à la spécialité du parcours. C’est à dire qu’on ne fournit plus aux élèves des connaissances qui leur permettent de poursuivre les études s’ils le souhaitent, à la place on leur apprend à lire une notice. L’ensemble de la formation doit correspondre à ce que demande le patronat. »

Difficile après un tel bac d’accéder à l’université, qui choisit ses étudiants sur dossier depuis l’instauration de la loi ORE. « Cette réforme, qui instaure une sélection qui ne dit pas son nom, est en vigueur depuis la rentrée dernière et déjà, la sociologie des primo-entrants est bouleversée », estime Benoït Imberdis. « Il n’y avait déjà que 10 % d’enfants d’ouvriers dans les universités, leur nombre a probablement plongé depuis septembre. » Autre réforme qui touche l’accès à l’enseignement supérieur, l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers hors union européenne pourrait épurer encore les bancs des facultés. Pour le syndicaliste étudiant, il s’agit d’une loi profondément discriminante. « Les prix vont rester attractifs pour les étudiants de Grande Bretagne ou d’Amérique du Nord, mais rendront les études complètement inaccessibles à ceux d’Afrique ou d’Asie, par exemple. » Une fois dans les amphithéâtres, l’écrémage continue : la modification de l’arrêté licence, qui laisse la possibilité aux universités de supprimer les rattrapages et la compensation, touche encore une fois les plus défavorisés, selon l’UNEF. « Ce sont les étudiants salariés qui vont en pâtir le plus, puisqu’ils ont besoin de ces systèmes pour compenser le temps qu’ils passent au travail », dénonce Anna Mendez. « Avec ça, les fusion d’universités réduisent la représentation étudiante dans les conseils. Donc il est de plus en plus difficile de faire modifier les conditions d’accès aux régimes spéciaux pour les adapter aux emplois précaires des étudiants. »

Cerise sur le gâteau pour les enseignants : ils se voient astreints d’un devoir de réserve. D’après les syndicalistes, il s’agit de les empêcher de critiquer l’institution, y compris en dehors de leur temps de travail. Une mesure d’autant plus contestée qu’elle précède de peu la Réforme globale de la fonction publique (anciennement « Cap22 »), qui remet en cause le statut de fonctionnaire. « Ce statut protège le fonctionnaire pour qu’il soit indépendant du pouvoir politique », rappelle Frédéric Campguilhem. Particulièrement inquiets pour leurs libertés syndicales, les enseignants redoutent également un impact néfaste sur les élèves. « Comment voulez-vous former une génération éclairée sans jamais leur montrer un esprit critique ? »

Destruction du cadrage national des diplômes, augmentation du rôle des entreprises dans le choix des formations proposées, regroupement d’établissement à tous les niveaux… La liste est encore longue des mesures qui inquiètent enseignants, étudiants et parents d’élèves. Pour en débattre, neuf syndicats et associations appellent à une réunion publique à la faculté de lettres, jeudi 14 mars, à 19 h 30.

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3 réflexions sur “« C’est la fin de l’éducation pour tous », le monde de l’enseignement dans la tourmente”

  1. Et la mise en route dès cette année du SNU (service national universel pour les lycéens), financé par le budget de l’Education nationale et non celui de l’armée, on en parle pas? C’est pourtant le moment de s’en soucier comme de toute la réforme Blanquer !!!!
    LISEZ CET EXCELLENT ARTICLE PARU DANS LE BLOG DE MEDIAPART LE 21 FEVRIER dernier (après tant d’autres depuis cet été qui donnaient l’alerte) :
    https://blogs.mediapart.fr/edition/le-service-national-universel-face-lurgence-ecologique/article/190918/snu-le-creuset-republicain-va-t-il-finir-par
    Si ce n’est pas la mise au pas de toute une classe d’âge pour l’adapter aux demandes de main-d’oeuvre « taillable et corvéable à merci » du Medef et des grands patrons, qu’est-ce que c’est?????

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