Deux manifestants condamnés en comparution immédiate à la suite de l’acte XV

Après les nombreuses arrestations lors de l’acte XV des Gilets jaunes, l’heure du jugement est venue. Hier, lundi 25 février, huit jeunes hommes sont passés devant le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand. Nous avons assisté à l’audience des quatre premiers.

La sonnerie retentit, le public se lève. Il est 14 heures, et dans la salle B du palais de justice de Clermont-Ferrand, le silence règne. Sur les bancs réservés au public, on croise le regard inquiet des familles des inculpés ; certains ont les yeux rougis par l’angoisse. La place manque, dans le box des accusés : les quatre jeunes hommes convoqués aujourd’hui pour leur comparution immédiate sont encadrés de près par le double de policiers. Ils ont entre 18 et 30 ans, tous clermontois. Ils sont accusés de violences volontaires contre les forces de l’ordre sans avoir entraîné d’ITT, et de participation à un groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences (1). Les quatre reconnaissent le premier chef d’accusation, et contestent le second. Ce soir, trois d’entre eux dormiront en prison.

« J’ai participé à cette manifestation pour défendre mes convictions politiques, ce n’est pas pour me défiler maintenant ! »

L’audience s’ouvre, le public se rassoit. Le tribunal commence par traiter les demandes de délai, qui peuvent être sollicitées par les prévenus pour préparer leur défense. C., le plus âgé des accusés, hésite. Au cours de sa garde à vue, il n’a pas eu l’occasion d’en discuter avec son avocat, et la pression semble terrible pour le jeune homme. Placé volontairement sous curatelle pour échapper à une situation sociale difficile, il ne veut pas qu’une détention provisoire ruine ses efforts pour trouver un travail, qu’il doit commencer prochainement. Il le répète, il n’a pas l’intention de s’enfuir. « Je compte assumer mes actes », plaide-t-il, en choisissant le délai. « J’ai participé à cette manifestation pour défendre mes convictions politiques, ce n’est pas pour me défiler maintenant ! » Son avocat décrit « un homme intègre qui défend ses idées » malgré un rapport difficile à l’autorité hérité de parents maltraitants, qui lui a valu une condamnation pour outrage à agent il y a plusieurs années. Il fait valoir que son client s’est « opposé à des casseurs » durant la manifestation ; il demande le contrôle judiciaire, jugeant une détention provisoire « complètement disproportionnée ».

Ce début d’audience dessine un parcours similaire pour trois des quatre accusés : jeunes clermontois passés par une situation sociale difficile, des actes de petite délinquance durant l’adolescence (jamais des agressions), mais une volonté de s’en sortir et une reconstruction en cours. Des oubliés du système social, mais pas du système judiciaire. « Il y a encore un an, j’étais SDF », raconte T., 22 ans, qui sollicite lui aussi un délai pour préparer sa défense. « Aujourd’hui, j’ai un travail. Me placer en détention provisoire, c’est me remettre dans ce cercle vicieux, dans la rue avec juste un sac à dos, à chercher toujours un endroit pour dormir… » Comme les autres, il insiste sur sa volonté pacifique, décrit une réaction de colère liée à la violence de la répression et à l’effet de groupe. Son avocate fait valoir les quatre ans qu’il a passé dans la rue, les conséquences désastreuses que pourraient avoir une détention préventive. « Certains reçoivent une voiture à leurs 18 ans, lui a été mis à la porte par ses parents car ils ne touchaient plus l’allocation familiale », rappelle-t-elle. « Il dit que vivre dans la rue n’est pas facile, mais être policier et recevoir des cailloux n’est pas facile non-plus », fait claquer la procureure, cinglante. Malgré leur volonté d’assumer leurs actes, le tribunal juge que leurs garanties sont insuffisantes, et les deux accusés sont placés en détention provisoire. Ils y resteront jusqu’à leur procès, renvoyé au 25 mars à 14 heures.

« Nous ne sommes pas là pour faire le procès des casseurs ou des Gilets jaunes, mais celui de Mr G. ! »

Après ces deux premiers dossiers, le profil du troisième prévenu ne surprend personne. Lui n’a pas demandé de délai. G., un ouvrier de 26 ans, habite chez son père malade. Condamné pour consommation de stupéfiants en 2015, il assure « se tenir à carreau » depuis qu’il a trouvé un emploi stable, ce qu’attestent les contrôles réalisés en garde à vue. Le jeune homme en est à sa dixième manifestation avec les Gilets jaunes, chacune sans incidents. Il raconte s’être fait confisquer un instrument de musique au cours d’un mouvement de foule, les policiers ne l’interpellant pas à ce moment-là, n’ayant rien à lui reprocher. Plus tard, c’est un tir de LBD qui déclenche sa colère, et sa réaction violente. « Je ne sais même pas si je suis encore en capacité de travailler, je ne peux toujours pas lever le bras ! » raconte le manifestant. « Après ça, j’ai agi de manière incohérente. » Un rapport de police indique que G. a lancé des pavés, et incité les personnes autour à en faire de même. L’inculpé conteste cette version : il assure avoir appelé les autres manifestants à reculer pour s’éloigner des affrontements. La procureure, elle, met en avant la dangerosité d’un jet de pavé. « Vous savez qu’un policier peut perdre un œil, ou être gravement blessé ? » demande-t-elle, décrivant « plusieurs dizaines de casseurs qui déferlent sur notre ville » pour la « transformer en champ de bataille ». L’avocat dénonce les « généralités » qui sont faites. « Nous ne sommes pas là pour faire le procès des casseurs ou des Gilets jaunes, mais celui de Mr G. ! » rappelle-t-il. Sans manquer d’indiquer que « se prendre un tir de flashball dans l’épaule à 15 mètres de l’OPJ (2), le tir devait être un peu haut ». Estimant qu’on ne peut reprocher à son client d’être venu dans le but de participer à un groupement violent, il demande la relaxe pour ce chef d’accusation, et le sursis avec mise à l’épreuve pour les violences envers les forces de l’ordre.

Dans le lot des accusés, le dernier à être jugé dénote légèrement. Âgé d’à peine 18 ans, A. a été interpellé après la manifestation, reconnu par des policiers à cause de ses cheveux teints. C’est la première fois qu’il a affaire à la justice. « Je n’avais jamais participé à une manifestation, et c’était la dernière », assure le jeune adulte, apprenti dans la vente. Lui aussi insiste sur une volonté de manifester sans violence, et un comportement qui a dérapé une fois confronté à la répression. La procureure demande huit mois de prison dont la moitié avec sursis, estimant que « la volonté de commettre des exactions existe ». De son côté, l’avocate demande au tribunal de « garder le recul nécessaire à une justice indépendante ». « Une peine prise dans le feu de l’action et des médias ne peut pas être juste ! », argue-t-elle, plaidant pour des mesures éducatives. Le juge reconnaît que la démarche pacifiste est attestée par le fait que le jeune homme est venu avec un instrument de musique.

Il sera tout de même reconnu coupable de tous les chefs d’accusation, dont celui de participation à un groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences, et condamné à huit mois de prison dont six avec sursis. Il n’a pas été enfermé à l’issu du procès, des aménagements de peine étant encore possibles. G., lui aussi déclaré coupable pour toutes les charges retenues, a été conduit directement à la maison d’arrêt de Riom. Il a été condamné à six mois de prison ferme.

(1) Sur le délit-obstacle de participation à un groupement violent, voir le papier de Lundimatin (juin 2017).

(2) Officier de police judiciaire

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