Emmanuel Vigne , le monsieur cinéma engagé

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On l’appelle Manu. Dans le milieu du cinema Art et Essai, tout le monde le connaît. Après avoir ouvert des lieux de projection à Marseille, il s’attelle depuis quelques années, à redonner vie au cinéma de Port de Bouc. Il a été l’un des premiers à recevoir  » Sur la route  d’Exarcheia », notre fim sorti en octobre. Et depuis? Depuis, il est notre boussole, notre ami, notre soutien et de ceux qui nous rappellent que l’important c’est d’être vivant. Portrait. 

 

Quand on fait une interview avec Manu, il faut prévoir à peu près trois heures, le temps de se confier l’un à l’autre sur la vie, le monde, la société, l’amour. Puis, on entre dans le dur «  allez Manu, raconte-moi ta vie? » Manu, homme mince aux yeux pétillants d’empathie, se marre.  » Je suis obligé de donner mon âge? » Pour le quadra, la vie passe trop vite. Il est né dans le 91 d’une mère d’origine italienne, et d’un père issu de la bourgeoisie bordelaise. «  Bon, mais lui, il s’est barré, lorsque je n’avais qu’un an. » S’ensuit une vie juste auprès de sa mère.  » Notre rapport était bizarre, nous étions potes. Elle m’amenait au cinéma très souvent. Je regardais du Pasolini ou Bergmann dès mes huit ans. » Il suit sa mère dans le milieu homosexuel parisien. » Ma marraine était la secrétaire de Maria Callas ». Très vite, il se sent en décalage à l’école «  J’ai été lapidé par mes camarades. » Alors qu’il a 9 ans, sa mère, employée de banque, est mutée à Marseille.  » Le harcèlement a continué. Mais il faut dire que j’étais bizarre, je lisais Proudhon en 3eme, et je passais ma vie à regarder des films. avec ma mère, on pouvait s’en taper une dizaine en un week-end. »  Au lycée, il se met à fréquenter les milieux libertaires, punk, situationnistes, malgré une mère plutôt de droite.  » Même si elle venait d’un milieu communiste. » 

Emmanuel se construit donc tout seul, gêné par une timidité maladive.  » Je ne parlais pas, je marmonnais, personne ne comprenait ce que je disais, je m’excusais presque d’être en vie. » Les seuls gens qui l’acceptent sont des gens hors de normes.  » Je n’arrivais pas à me faire à l’institutionnel et au pouvoir. ce n’est pas un choix que j’ai fait, mais réellement ça s’est imposé à moi, je ne pouvais faire autrement. J’en suis incapable. » Manu n’arrive pas à gérer l’autorité ni la norme. Il n’a même pas de carte de sécu. 

Alors qu’il est très cultivé, Emmanuel arrête l’école qu’il déteste, et se met à bosser en usine, dès ses 17 ans. Il est ouvrier. Jusqu’au jour où on lui propose un boulot de projectionniste au Cinéma «  Le César  » à Marseille. Il a 23 ans, et sait désormais qu’il veut vivre du cinéma. Dans les années 90, il organise des projections  dans des lieux alternatifs comme des squats, des bars clandestins, des granges. Il y passe le cinema expérimental des années 60. En 2001, il ouvre Vidéodrome, avec notamment l’équipe de nos confrères de Primitivi. Il devient le gérant du lieu. En 2007, en parallèle, il crée une boîte de production à Paris. En 2012, une copine lui parle du cinema  » Le Meliès » situé à Port De Bouc qui cherche un directeur. Mais elle n’oublie pas d’ajouter qu’il ne faut pas y aller, que c’est  » l’un des cinémas les plus durs de France« . Il n’en faut pas plus à Manu pour se lancer.  » J’ai toujours aimé les défis« . Le jeune libertaire doit se confronter à un lieu loin d’être alternatif, et se cogner à l’institution qu’il déteste tant.  » Malgré les enjeux de fric, de pouvoir, de règles dans l’industrie du cinéma, je me mets à bosser dur juste pour le plaisir du cinéma et de l’offrir aux habitants. » Il déchante assez vite sur ce monde pour lequel pourtant il ne s’est jamais fait d’illusion. » C’est un milieu dans lequel on ne parle jamais de …cinéma! » 

Au Méliès, il doit jongler «  à passer des films grand public et des documentaires ou films d’auteur. »  Il se met à l’éducation populaire qui lui est si chère. «  Au bout d’un moment, les gens se sont intéressés aux films que je proposais à côté. »  Sur 17 mille habitants, seule une dizaine vient régulièrement au cinema la première année. Mais Manu ne lâche rien. «  Pourtant, ce n’était pas gagné, la salle devait essuyer un gros déficit. on en a passé des films pour 5 personnes! A un moment, je me suis dit que mourir serait plus pratique« , mais épaulé par Christelle, une amie qui passe quotidiennement le voir, il remonte la pente et les chiffres du ciné. Aujourd’hui, il organise une quinzaine de soirées par mois. «  Ca va beaucoup mieux même si ce n’est pas encore gagné… » 

Manu a un combat parmi tant d’autres: lutter contre la crétinisation des gens, leur montrer que dans son univers il n’existe pas seulement des films supers chiants, et faire la chasse  » aux cultureux qui débarquent avec Télérama sous le bras… » 

Pour le directeur de salle, «  si tu veux changer le monde, tu ne le fais pas dans une salle facile..je t’assure que désormais, au cinema, je n’ai pas que des convaincus…mais les mentalités changent. Et puis, il faut être honnête, sur les 700 films qui sortent par an, les 2/3 sont à jeter et ne servent à rien… Mais aujourd’hui si tu n’as pas de distributeur, hormis quelques ovnis, tu ne peux pas vivre… » 

Manu a pour projet de se mettre à la réalisation, et de continuer ce combat de diffusion dans les milieux plus ruraux. «  Il faut être lucide, les cinémas Art et essai sont voués à disparaître. Il faut vraiment lutter, maintenant…Et puis, grâce à mon métier, je rencontre des gens extraordinaires..n’est-ce pas? » 

Alors à Port de Bouc,  » cet endroit où faut être si tu veux donner un sens à ton combat pour le cinéma », Manu s’affaire, court, fume, mais rit, toujours. Aime profondément. Et vit intensément.

Un personnage digne des plus beaux films de Pasolini…

 

Eloïse Lebourg

 

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