Épisode 2 – La prison et les médias

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Paroles de détenus

 

Chaque semaine, nous allons a la rencontre des détenus de la maison d’arrêt 2 du centre pénitentiaire de Riom, dans le cadre de nos ateliers d’éducation aux médias. Chaque semaine, nous choisissons un thème sur lequel nous travaillons.

Nos textes écrits à plusieurs mains, sont anonymes.

Cette semaine, la question des médias.

 

«  BFM nous saoûle, ils font d’une flaque d’eau, des intempéries ». Stéphane raconte le jour durant lequel il découvre l’insolence de BFM. «  On parlait inondations, et franchement, il ne pleuvait plus, tout allait mieux, mais il fallait remplir, la nana s’est mise sous un parapluie sec, des bottes aux pieds, dans une flaque d’eau…là je me suis dit, que l’information c’était du théâtre. » Pour la mise en scène, Damien trouve qu’il a raison, d’ailleurs il raconte à tout le monde, les émissions de téléréalité «  celles qui font que tu vas avoir envie d’une autre vie, La famille Kardashian en est l’exemple concret, alors que finalement si on réfléchit deux minutes, hormis susciter l’envie, ces émissions ne servent à rien. Elles sont ridicules. »

Mais tous les détenus s’accordent à dire une chose «  le problème de la prison, c’est qu’ici, tu n’as que la télé, et qu’elle peut te bouffer l’esprit, si tu n’as pas de valeur pour la vaincre, tu crois rapidement tout ce qu’elle dit. » heureusement, parfois les surveillants filent le journal «  oui, et là tu découvres les affaires des détenus des autres cellules. Et tu te rends compte que même dans nos propres affaires, aucun journaliste ne sait faire son boulot. Franchement, il donne ton nom alors que tu n’as pas encore été jugé. Il raconte des énormités et parfois la mauvaise médiatisation de ton affaire se retourne contre toi… » En prison, la télé est une amie quotidienne. Les détenus n’ont que deux promenades par jour, d’une heure chacune, le reste du temps, ils le passent en cellule. «  le pire ce sont les repas, tout seul devant ton plateau franchement dégueulasse, là, si t’as pas la télé, tu déprimes sévère.. » Pour Jean-Philippe, «  la télé est anxiogène, il ne passe que les merdes du monde, c’est glauque, alors que la vie, c’est aussi des bonnes nouvelles, des trucs positifs, des happy ends…mais ça, ça ne terrorise pas assez le spectateur… » Bon en été, les détenus se sont accrochés au J.O «  c’est vrai que le sport à la télé, c’est vraiment sympa…après t’as envie d’un bon footing, mais merde, t’es en prison… » . Jean- Pierre pose le débat : «  soyons clairs, les amis, les médias mentent pour orienter l’avis, et influencer l’opinion publique. Regardez le pataquès avec le burkini. Si on n’en entendait pas parler, on saurait à peine que ça existe, on n’en ferait aucune polémique. Et le débat serait clos… » Fabrice, lui est encore plus sévère : «  les médias servent à activer la violence, ils mettent la haine sur tout le monde. Et ici, en prison, on ne reçoit pas les informations de la même façon. Un exemple, là, nous sommes en plein été, quand tu regardes les images de plage, je t’assure que tu les prends comme une gifle en pleine figure. C’est sûr ça fait réfléchir à notre position d’enfermement. »

Pour les détenus, les médias sont trop maîtrisés par les grands de ce monde. «  moi j’aimerais savoir qui choisit la une de notre info. Le rédac chef aura l’impression que c’est lui, mais il est guidé par ce qu’on lui demande de penser…l’influence est forcément plus en haut.. ; » 

Jean-philippe attaque sur un sujet brûlant : «  le problème c’est l’interprétation que chacun va en faire : regarde la radicalisation, les jeunes vont voir un truc à la télé, ils vont se renseigner sur Internet, et là, Daesh est très fort en propagande, ils font de supers vidéos. Il suffit que tu sois un peu influençable, ben tu tombes dedans. On neutralise les infos à heure de grande écoute mais on laisse tout passer sur Internet… »

Stéphane, lui, estime que l’information doit rester des faits et non des explications. Jean-Pierre n’est pas d’accord : «  non, c’est important qu’on enquête pour nous, et qu’on chercher à comprendre. C’est comme pour nous ;  on a merdé, mais pour nous en sortir, on doit comprendre comment on en est arrivés là… »

Damien a un exemple précis «  rappelle-toi le TGV à Strasbourg qui fait des morts, on en a peu parlé parce que c’était pile au moment des attentats de novembre. Dans une autre période, ce fait serait devenu la une pendant des semaines. » Adil demande alors comment on fait pour hiérarchiser l’info. «  Au nombre de morts, et parce que c’est près de chez nous… »

«  Moi, je pense que nous sommes dans une société d’immédiateté qui nuit à l’information, non vérifiée, non argumentée. Regarde, on le voit en prison, ici, tout est au ralenti, tu commandes ta cantine, tu la reçois des semaines après, tu demandes l’autorisation d’un parloir ou d’un coup de fil, tu n’as la réponse que la semaine suivante. Du coup, l’immédiateté des chaines d’info continue ça nous choque ici. » Hormis, l’info sportive agréable à regarder en direct, tous s’accordent à dire qu’il faut laisser reposer l’info avant de la digérer.

«  les peuples les plus heureux sont ceux qui n’ont pas la télé…faut que tu enquêtes Eloïse, mais je suis sûre que j’ai raison ! »

Et concernant les prisons, les médias, ils sont bons ?

«  alors, moi je dirai qu’il faudrait enquêter sur nos barquettes repas, elles ne sont pas écologiques, je suis sûr qu’on n’a pas de recyclage en prison… c’est un vrai sujet… »

«  En fait, concernant les prisons, les médias disent toujours la même chose : «  c’est surpeuplé », mais la parole des détenus n’est pas prise en compte, personne n’écoute par exemple,  le problème des surveillants. » Double problème d’ailleurs, ceux des surveillants eux-mêmes condamnés à être des «  porte-clefs » sans lien avec le détenu et celui du détenu qui se sent parfois maltraité par les surveillants. «  Dehors, personne ne sait ce que l’on vit, on n’en parle pas lors de nos parloirs, nos familles et amis, on les rassure…. »

Jean-Philippe a une autre explication «  les médias suivent l’opinion publique, et l’opinion publique dit que les gens en prison méritent leur place, donc les médias disent pareil. Et effectivement on mérite peut-être l’enfermement. On ne remet pas ça en cause. Mais on pourrait réfléchir à ce que nous apporte l’enfermement, ce qu’il se passe dans nos têtes, pourquoi tant de récidives. En fait, nous sommes les oubliés des médias, on ne mérite pas que l’on nous prête attention. Alors que finalement, dans une classe, le prof va tenter d’aider celui qui a des lacunes d’intégration, qui fait des bêtises, ou qui est en retard. Mais dans notre société, on va laisser tomber les mauvais élèves comme nous. »

«  Oui, tu as raison, il faut parler de la prison dans les médias, de notre problème de réinsertion, du regard de l’autre. Tu vois par exemple, moi je refuse le bracelet électronique, pourtant, dans l’opinion publique, c’est quand même bien le bracelet, mais y’a pas pire que d’être enfermés dehors. Tu as toutes les tentations, mais tu es tenu à être nickel avec ton bracelet électronique, à respecter tes horaires, moi je sais qu’il vaut mieux que je sois en prison…Mais ça, tu vois, quand les gens vont le lire, ils vont se dire, mais quel con ce mec, parce que les médias ont vendu le bracelet comme une chance pour les détenus… » 

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