« Il faut sortir de la prison de la réussite ». À La Jetée, le réalisateur guinéen Thierno Souleymane Diallo fait salle comble.

Avec le documentaire Nô Mëti Sifâdhe, Thierno Souleymane Diallo donne la parole à des mineurs non-accompagnés. Réalisé à Bordeaux à destination de la Guinée, le film a rencontré un vif succès à Clermont-Ferrand et suscité un débat riche, lors d’une projection à La Jetée, ce mardi 16 avril.

« Je remercie toutes les personnes qui ont contribué à faire vivre cette projection… Et du coup je me remercie moi aussi », plaisante le représentant du fanzine Echo Faratanin, partenaire de la projection. Une manière d’évacuer le trac devant la salle pleine à craquer ; le succès est tel que les organisateurs ont failli ne pas trouver de places pour tous les spectateurs. À sa suite, le réalisateur Thierno Souleymane Diallo introduit rapidement son documentaire, Nô Mëti Sifâdhe. Un film qu’il a accepté de réaliser à la demande de l’association Guinée Solidarité Bordeaux après une longue hésitation. « Semaine après semaine, je revoyais le même jeune homme dormir dans la rue, devant une gare », raconte-t-il. « Alors j’ai accepté. J’ai rencontré les jeunes que vous allez voir dans le film pendant huit jours. Ils m’ont donné une parole que je veux emporter partout. »

Les lumières se coupent, la projection commence. La voix d’un narrateur ouvre le documentaire, puis laisse rapidement la parole aux « personnes sans visage » : les mineurs non accompagnés, comme les appelle l’institution. Guinéens, arrivés en France mineurs, la plupart d’entre eux reste anonymes. Mais au-delà des identités, de leurs visages qu’on ne voit pas, c’est leur voix qui raconte ce qu’ils sont. Entrecoupés de plans des rues joyeuses d’une Bordeaux où la vie paraît si paisible, le film montre les jeunes réfugiés qui livrent un récit poignant des horreurs qu’ils ont traverséES. « C’est difficile à raconter », répètent les interviewés, donnant son titre au film. Ils sont partis pour des raisons différentes : certains sont orphelins, d’autres ont été poussés sur les routes par des parents qui leur imaginaient un avenir meilleur en Europe. Mais tous ont vécu les atrocités sur les routes de l’exil. Chacun avec son émotion, sa colère, son calme, évoque  les épreuves endurées, et les compagnons de voyage morts sur la route : de soif dans le désert du Sahara, d’épuisement sous les coups des esclavagistes lybiens, par noyade lors des tentatives répétées pour traverser la mer Méditerranée. Les jeunes racontent aussi l’Europe, la France : un nouveau calvaire pour ceux qui se pensent arrivés au bout du chemin. La mise à la porte des hôtels passés leur majorité, la rue comme seul refuge, la menace permanente de l’expulsion forment leur quotidien. La chaleur du Sahara ne les tue plus ; c’est le froid de l’hiver et les suicides qui s’en chargent. Et finalement, certains s’en sortent : obtenues de haute lutte, les inscriptions à l’école, puis les formations en apprentissage, leurs permettent de relever la tête ; mais l’avenir est encore incertain.

« Ils sont enfermés dans une prison de la réussite qui, paradoxalement, les empêche de s’en sortir. »

Le générique se lance sous les applaudissements répétés des spectateurs, alors que la lumière se rallume dans la salle de cinéma de La Jetée. L’émotion est palpable ; pourtant habituée à de tels récits, la militante de Solidarité Accueil Jeunes Étrangers (SAJE) qui anime le débat peine à trouver ses premiers mots pour lancer la discussion. Mais le film a fait son effet : chacun a une question à poser, et le débat commence vite. Avec les spectateurs, Thierno Souleymane Diallo évoque les raisons du départ, et l’impossibilité du retour. En adressant une vive critique au mythe de l’Eldorado européen qui a toujours cours en Guinée. « C’est un fantasme issu de la réussite de ceux qui ont émigré dans les années 60 et 80, à une époque où il fallait avoir les moyens d’acheter un billet d’avion pour partir », analyse-t-il. « Mais depuis 2010 et l’ouverture d’une route par la Lybie, beaucoup de gens sont persuadés qu’il suffit de persévérer pour réussir, même en partant sans rien. » Une fois en Europe, il est trop difficile pour les jeunes immigrés d’avouer la réalité de leur condition, et ils entretiennent le fantasme en faisant croire à une vie meilleure. « Beaucoup envoient de l’argent à leur famille qui pense qu’ils en ont suffisamment pour ça, d’ailleurs certains jeunes se filment en train de danser sur une place pour mettre en scène leur succès », raconte le réalisateur. « Ils sont enfermés dans une prison de la réussite qui, paradoxalement, les empêche de s’en sortir. » C’est là tout le propos du réalisateur, qui projette son film en Guinée et prévoit un sous-titrage en espagnol et en italien. En relayant l’expérience de ces jeunes, il espère aider ceux qui sont partis à sortir de cette « prison de la réussite », et amener ceux qui préparent leur voyage à ne pas partir sans un véritable projet d’avenir. « Je veux raconter la vie de ces gens pour qu’elle en inspire d’autres. »

La projection a été accueillie par La Jetée, et réalisée en partenariat avec le Secours Populaire 63, Solidarité Accueil Jeunes Étrangers, et Echo Faratanin.

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