« La Ferme des Raux » à Gerzat : Pour une approche sociale, environnementale et philosophique de l’agriculture

Voilà désormais quinze ans que Chantal et son mari Jean-Sébastien Gascuel expérimentent sur les terres noires de Limagne une agriculture bio et paysanne dans le respect le plus total de la faune et la flore. Par pure curiosité journalistique, Médiacoop est allé pousser les portes de cette ferme puydômoise où “agriculture” et “protection de l’environnement” font bon ménage. 

 

Sise sur la grande plaine située à l’est de Gerzat, « La Ferme des Raux » est à l’abri des désagréments sonores liés au trafic routier. Dans cette petite exploitation familiale, Chantal y est née, il y a de cela 62 ans. Tout d’abord, son grand-père y a travaillé en tant que métayer, élevant vaches laitières et brebis. Par la suite, c’est son père qui a acheté la ferme. Dans le courant des années 60, en pleine période du remembrement rural, ce dernier s’est exclusivement consacré à une production céréalière faite de blé et de maïs.

Mais l’évolution significative de « La Ferme des Raux » a eu lieu en 1983, date à laquelle Chantal et Jean-Sébastien ont repris l’affaire. Sur les conseils d’un notaire, le couple Gascuel a opté pour un Groupement foncier agricole (GFA) favorisant la transmission de l’exploitation familiale. « Nous possédions des parts dans cette société civile tout en étant locataires de cette ferme » précise-t-elle.

Pendant vingt ans, ils ont pratiqué une agriculture dite “conventionnelle”. Lucide, Chantal parle plutôt d’« une agriculture chimique ». Insatisfaits de ce mode de production artificiel, il leur a fallu mettre en accord leurs pratiques et leurs convictions. « Nous nous posions beaucoup de questions  par rapport à la pollution de l’eau, à l’entretien du sol, à la qualité de nos produits, etc. » énonce-t-elle avant de reprendre : «  L’aboutissement final de cette réflexion, c’est le passage à l’agriculture bio en 2003 ».

 

Un système de culture diversifié

 

Selon l’aveu de Chantal, cette conversion agricole doit inévitablement résulter d’un raisonnement global sur la ferme. « Il ne faut pas avoir peur. Il faut surtout côtoyer d’autres sphères techniques, s’ouvrir à d’autres approches de l’agriculture… Une approche plus sociale, plus environnementale voire même plus philosophique de l’agriculture ».

S’il y a les paroles, il y a également le passage à l’acte avec la mise en place d’un système de culture beaucoup plus diversifié qu’auparavant. Sur les 80 hectares de terres grasses de Limagne, l’agriculture bio suggère désormais une rotation culturale beaucoup plus longue pour le couple Gascuel (luzerne / luzerne / luzerne / maïs / blé / soja / avoine / orge-pois / tournesol / tropical-féverole / orge). « De quatre cultures, nous sommes passés à douze cultures avec la luzerne en tête de rotation, ce qui permet de nettoyer la parcelle dans un premier temps » détaille-t-elle savamment.

Une fois les parcelles purifiées, de nouvelles plantations peuvent y être semées.  Enchaînant avec différents types de cultures, Chantal et Jean-Sébastien privilégient, depuis 2003, l’alternance entre cultures d’hiver et cultures de printemps… Une méthode naturelle permettant à la fois d’éliminer les “mauvaises herbes” et de rompre biologiquement les cycles de reproduction de certains insectes ravageurs. A leur petite échelle, ce couple d’agriculteurs contribue à lutter modestement contre l’épuisement des sols. D’après Chantal, « la succession et la multiplicité de la biodiversité cultivée ont pour but d’enrichir la terre ».

 

De l’agriculture bio au bois d’oeuvre

 

Repensant à leur installation en 1983, Chantal et Jean-Sébastien se souviennent parfaitement de l’absence cruelle d’arbres  et de haies sur l’exploitation. « Dans les années 80, nous avons replanté des arbres et des haies pour des aspects paysagers avant de prendre conscience que ces éléments étaient indispensables à la production agricole ». Aussi, depuis une trentaine d’années, ce couple d’agriculteurs pratique “l’agroforesterie” en associant cultures, arbres et haies dans leurs champs de céréales.

Favorisant le développement de la biodiversité, « plusieurs haies ont été plantées autour des parcelles dès 1989 » se remémore Jean-Sébastien. Surtout, l’avantage principal de cette pratique ancienne demeure bel et bien la production de fruits, essentielle pour les abeilles, les hérissons ou encore les oiseaux insectivores… « Sans oublier le bois de chauffage pour le poêle à bois » surenchérit-il. Par ailleurs, si Chantal s’accorde à dire que la chimie tue le sol, la plantation d’arbre permet au contraire de le nourrir. « Planter des arbres, c’est appeler la pluie » poétise-t-elle d’un ton amusé.

Soucieuse de l’avenir, cette agricultrice nous révèle également que les lignes d’arbres, que nous pouvons facilement apercevoir de chez elle, sont destinées pour le bois d’oeuvre. « Il faut attendre encore 50 à 80 ans. Nous, on ne le verra pas mais peut-être que les personnes qui nous succéderons penseront à nous. C’est une valeur économique sûre pour la menuiserie, l’ébénisterie ou la lutherie » avoue-t-elle d’un air secret.  En tout et pour tout, ils ont planté douze espèces d’arbres parmi lesquels nous pouvons apercevoir le merisier, l’alisier-torminal, l’orme, le février d’Amérique, le cormier, ect.

 

Pour les volailles comme pour l’agriculteur, le bio permet une ouverture sur l’extérieur !

 

A « La Ferme des Raux », les cultures sont également complétées par un élevage d’environ 2000 volailles par an. Chaque mois, poulets, pintades, oies et canards sont vendus en circuit court et biologique. Militant pour fournir à leurs clients une viande de qualité, Chantal et Jean-Sébastien élèvent leurs volailles en plein air. « Elles ont de la place, elles peuvent s’ébattre librement dans leur parc. Notre élevage n’est pas poussé à outrance. Nous produisons une partie de leur alimentation sur place et, surtout, nous choisissons des races de viandes qui sont à croissance lente. Nous leurs permettons de vivre sereinement même si à la fin ces volailles sont destinées à la consommation » ironise l’agricultrice.

Tous les mois, Chantal envoie un mail à sa liste de clients. « On ne peut pas faire plus court comme circuit. Ils me disent ce dont ils ont besoin et ils viennent sur place acheter mes produits ». Profondément attachée aux liens humains, elle estime que le contact direct avec le consommateur est un élément fondamental pour l’agriculteur. « Bien souvent, les paysans ont très peu d’ouvertures sur l’extérieur. Nous voulons absolument avoir une ferme à taille humaine. C’est ce qui nous permet de rencontrer des gens qui viennent chez nous exprès. Ils peuvent nous poser plein de questions concernant nos pratiques et notre exploitation. C’est ce qui a de plus enrichissant pour nous ». Malheureusement, d’après Chantal, le système agricole dominant aurait de plus en plus tendance à isoler l’agriculteur.

 

Comment faire perdurer le modèle d’agriculture bio à travers les générations ?

 

Loin d’être isolés, Chantal et Jean Sébastien entendent bien léguer leur exploitation à d’éventuels repreneurs. « Nous n’avons jamais souhaité que la ferme soit vendue et que les terres soient dispersées entre plusieurs exploitations » prévient Jean-Sébastien. Pourtant la question de succession s’est déjà posée, il y a de cela quelques années. Lorsque la mère de Chantal décède en 2011, le problème de la transmission de l’exploitation est logiquement intervenu. « Mes frères et sœurs souhaitaient vendre leurs parts pour financer divers projets » souligne-t-elle. Ainsi, c’est naturellement que le couple Gascuel s’est rapproché de l’association “Terre de Liens” à laquelle ils sont aujourd’hui liés par un bail environnemental.

« 46 hectares du GFA et les bâtiments de l’exploitation ont été rachetées par “Terre de liens” » nous révèlent les agriculteurs. Locataires selon les principes du “fermage” depuis 2014, Chantal et Jean-Sébastien sont désormais certains qu’une fois à la retraite, leur modèle d’agriculture bio pourra perdurer en ces lieux. A la fin de l’année 2019, Chantal va certainement mettre un terme à son activité agricole. Elle, qui ne souhaite pas que son travail soit anéanti par ses successeurs, peut être rassurée à présent. « Nous souhaitions que cette ferme devienne un outil agricole collectif. Il pourrait servir à une, deux ou trois personnes. D’ailleurs, nous connaissons nos successeurs maintenant. Ils seront trois. Ils sont deux à avoir leur CAP boulanger, comme ça ils pourront transformer les céréales en produisant farine et pain » détaille Chantal, tout de même fière de voir parmi ces jeunes, l’un de ses enfants.

Eux, seront également liés à “Terre de Liens” par un bail environnemental et pourront jouir d’un bel outil de travail sans pour autant s’endetter lourdement… Une belle façon de sauvegarder à travers le temps une agriculture bio et paysanne, respectueuse de notre écosystème.

 

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