« Ras-le-bol » chez les retraités !

Dans le cadre d’un « Printemps des retraités, les manifestants ont investi les rues clermontoises, le jeudi 11 avril. Suite à un appel intersyndical, cette journée nationale de mobilisation a été l’occasion de défendre le pouvoir d’achat des retraités. A Clermont-Ferrand, 700 personnes sont venues exprimer leur « ras-le-bol ». Inquiètes pour leur niveau de pensions, elles sont nombreuses à déplorer l’érosion progressive d’un système de retraite « permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours » ; héritage ancien d’un texte émanant du Conseil national de la Résistance (CNR).

Les retraités se dirigent vers la Place de Jaude

13 h 30, Place Delille. Nous pouvons déjà percevoir au loin quelques tempes grisonnantes, réunies sous un ciel maussade. Bien que le temps ne soit pas clément à leur égard, une trentaine de personnes attendent patiemment l’arrivée en nombre de leurs semblables. Sakib et Françoise sont de ceux-là. Lui, est à la retraite depuis 2014. Ancien chauffeur, il nous explique les raisons qui l’ont poussé à sortir dans la rue, aujourd’hui : « On est ici par solidarité avec ceux et celles qui, chaque mois, ne touchent pas grand-chose ». Françoise, retraitée de la fonction publique depuis 2015, reconnaît avec sincérité qu’elle et son mari ne font « pas partie des plus malheureux ».  Néanmoins, elle tient à ajouter que « la hausse de 25 % de la CSG a eu un impact significatif sur ses fins de mois ». S’ils ne sont pas à plaindre comme ils tiennent à le signaler, depuis six ans leur retraite n’a que très peu augmentée. Françoise prend l’exemple de son mari pour illustrer ses propos : « Depuis que Sakib est à la retraite, celle-ci a seulement été augmentée de trois euros. Ce qui n’est rien comparé à la hausse considérable du coût de la vie. Trois euros, ça fait deux journées de pain, pas plus » conclut-elle avec ironie.

En s’approchant un peu plus, nous pouvons également apercevoir les premiers drapeaux syndicaux battant au vent. Toutes les couleurs semblent représentées pour cette septième manif’ liée aux retraites sous l’ère macronienne[1]. Assis sur un banc, Marie et Bernard contemplent avec intérêt ce spectacle multicolore. « Nous, personnellement, on arrive à s’en sortir mais d’autres ne touchent même pas le SMIC » fulmine Marie, ancienne Aide à domicile. Bernard, Agent de fabrication caoutchouc à la retraite depuis onze ans, pense aux plus jeunes et s’inquiète pour leur avenir : « Je plains la jeunesse. Avant, les salaires et les retraites suivaient plus ou moins la hausse du coût de la vie mais maintenant c’est fini. Si on fait l’addition de tout ce qui augmente en ce moment, le compte est vite fait ». « On en a marre » tempêtent-ils en rappelant que la hausse de 6 % du prix de l’électricité va être appliquée sous peu ; au plus tard le 1erjuin.

Place Dellile, la foule s’agrandit peu à peu

« Motivés, motivés ! ». Sur air musical entêtant, la foule s’agrandit peu à peu. Parmi un panel de couleurs assez large, l’une d’entre elles attire tout particulièrement notre attention. Facilement distinguable, le jaune est également de la partie. Plusieurs gilets, arborés fièrement, sont réunis au beau milieu d’une masse populaire s’apprêtant à partir en direction de la Place de Jaude. Certains, sans gilet apparent, portent des bonnets aux couleurs du mouvement. D’autres, affichent discrètement de petits badges sur leur poitrine en signe de reconnaissance. Échangeant sur le combat qui les unit depuis bientôt cinq mois, trois d’entre eux n’ont pas l’air d’avoir l’âge requis pour profiter tant bien que mal de leur retraite. Pourquoi sont-ils présents ? Carole, Cristina et Georges n’ont pas tardé à nous répondre : « Pour la convergence des luttes !». L’augmentation des pensions de retraite fait partie de leurs revendications : « Il faudrait diminuer les retraites de ceux qui touchent beaucoup d’argent » tempête Georges, cigarette électrique à la main. « Les plus pauvres doivent sans cesse payer des taxes » ajoute Carole qui a endossé le gilet jaune dès le premier acte du mouvement, le 17 novembre 2018. « Non politisés », leur présence ici est une évidence d’après Cristiania qui a déjà participé à des actions populaires dans son pays natal. Avec un doux accent italien, cette mère de famille affirme avec détermination « une solidarité profonde avec les plus anciens ».

Des gilets jaunes pour une convergence des luttes

Plus loin, au détour d’une conversation, un homme vient à notre rencontre. Il s’appelle Georges également. Ce septuagénaire est à la retraite depuis 15 ans. Malgré tout, il milite toujours pour le parti de Nathalie Arthaud, Lutte Ouvrière. « Je travaillais dans l’enseignement. Je suis présent aujourd’hui car ceux qui ont passé toute leur vie à travailler devraient avoir les moyens de vivre dignement ». Pour lui, la solution serait de réindexer les pensions de retraite sur le coût de la vie ; un système déjà instauré par le gouvernement de Jacques Chirac en 1987. « Aujourd’hui, beaucoup de retraités touchent une pension inférieure au SMIC » déplore-t-il désabusé. A regret, Georges estime que « ces manifestations ponctuelles ne sont pas efficaces pour espérer changer les choses ». D’après lui, il faudrait que des millions de salariés se montrent solidaires avec ceux qui, aujourd’hui ne travaillent plus. Une grève générale lui semble être le meilleur moyen pour que « le pouvoir en place, qui roule pour les puissants, puisse entendre les revendications des plus modestes ».

Drôle de couvre-chef à l’adresse d’Emmanuel Macron

14 heures 30, sur l’air toujours aussi entraînant du chant de révolte italien « Bella cio », le cortège s’élance en direction de la Place de Jaude. Environ 700 personnes longent la voie de tram dans une ambiance chaleureuse malgré la frilosité du temps. Peu de slogans à l’horizon. Seule une mamie, vêtue de rouge, arbore élégamment un curieux couvre-chef sur lequel nous pouvons lire : « Monsieur Macron, les fainéants vont vous répondre ! ». Tous avancent à la même cadence dans la joie et la bonne humeur. Certains s’essayent même à quelques pas de danse. Après un bref arrêt à Gaillard, les manifestants parviennent à atteindre, d’un pas léger, la place principale de la ville ; « Le temps des cerises » en fond sonore.

Sous l’œil discret de Vercingétorix, Manuel, Cégétiste et retraité de la SNCF, est le premier à prendre le micro pour se faire entendre. « Dès son arrivée à la présidence de la République Monsieur Macron a attaqué les retraités avec le gel des pensions pour 2018 et 2019 ; l’augmentation de 25 % de la CSG, soit une perte de pouvoir d’achat de 5 % en deux ans ! Il a provoqué la colère, que plus de 200 000 personnes ont exprimé en manifestant le 15 mars 2018 ». Réclamant l’indexation des pensions de retraite sur les salaires, Manuel pointe du doigt l’Impôt Sur la Fortune en rappelant que « l’exonération de l’ISF est un manque à gagner de 4,5 milliards d’euros pour les caisses de l’État ». Ironiquement, il souligne que « l’augmentation de la CSG a rapporté 4,5 milliards d’euros. Un hasard sans doute. On fait payer les petits et on offre des cadeaux au plus gros » lance t’il avec ferveur.

A ce moment précis, un homme tente de se faufiler entre les gens attentifs au discours. A chacun d’entre nous, il tend un papier d’un genre curieux. Il s’agit en réalité d’une carte postale adressée à… « M. le Président de la République ». Son adresse y est inscrite. Au dos, nous pouvons retrouver les différentes revendications intersyndicales parmi lesquelles : « le maintien et le développement des services publics de proximité ». Une fois la carte postale signée, chacun pourra l’envoyer à destination de l’Elysée !

A son tour, Jacques, également Cégétiste s’empare avec énergie du micro en revenant notamment sur la question des EHPAD. Il commence par dénoncer les mauvaises conditions de travail qui règnent au sein de ces établissements. « A ces problèmes, l’unique réponse du gouvernement est la privatisation ». Pour appuyer ces propos, Jacques évoque le cas de l’EHPAD de Riom, passé récemment au privé : « Désormais, à Riom, les résidents devront payer 15 euros de plus par jour. Cela fait 450 euros par mois ». Payant 51,95 euros par jour, chaque personne devra désormais s’acquitter de 67 euros pour demeurer en ce lieu. Malgré les hués de l’assistance, il poursuit son discours en dénonçant la fermeture de nombreux lits : « 41 lits vont être supprimés à l’EHPAD de Tauves ». Des mesures qui paraissent paradoxale puisque 5000 personnes, d’ici 2020, relèveront de ces établissements, rien que dans le Puy-de-Dôme. « Ça va être la guerre ». Déplorant « la destruction de notre système de santé », Jacques affirme que « la fonction publique est menacée par le gouvernement ». Comme semble le prévoir le Plan Santé, « les retraités vont être condamnés à rester chez eux sans aides suffisantes ». D’après lui, ils seront à la charge de la famille, sans un réel suivi au quotidien, c’est notamment ce que prévoit le projet de loi “Ma Santé 2022 » avec l’hospitalisation à domicile, actuellement au coeur du débat.

15 h 20, la manifestation touche à sa fin. La foule va pouvoir se disperser. Néanmoins, nous décidons de suivre une petite délégation s’éloignant promptement de la Place de Jaude. Jacques et Manuel en font partie. Ils se rendent à la Préfecture afin de s’entretenir avec le directeur de cabinet de la préfète du Puy-de-Dôme, Anne-Gaëlle Baudoin-Clerc. Espérez-vous des réponses ? « Pour l’heure actuelle, je ne pense pas » déclare, sûr de lui, Manuel. Finalement, la rencontre a durée plus d’une heure. « Il a écouté tous ceux qui ont pris la parole. On a échangé notamment sur le projet de loi “Ma Santé 2022’’. Plusieurs amendements sont passés par ordonnances, sans aucun débat. Nous avons réaffirmé notre désaccord avec la privatisation des EHPAD, résultant d’une politique néfaste. Maintenant, tout cela va remonter jusqu’aux oreilles de la Préfète. Ils ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas ».

 

 

 

[1]La CGT retraités ; FO  ; FSU  ; Solidaires retraités , retraitées ; CFTC ; CFE CGC ; FGR-FP Retraités Fonction publique ; UNSA retraités ; LSR ; ADRA 63.

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