La rivière de l’artière en danger

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6h30 ce matin, parking de Botanic de Beaumont.  A cette heure-là, je maudis le journalisme engagé. Mais, Nicolas Roche-Rouchon m’a donné rendez-vous pour me démontrer la sécheresse de la rivière de l’Artière et ses conséquences sur l’écosystème. Tiens d’ailleurs, il arrive d’un pas décidé: «  les truites sont mortes, asphyxiées, car plus assez d’eau. Il en reste une, viens on va la sauver… » 6H40, finalement, le journalisme engagé va me faire vivre une belle histoire et une grande prise de conscience….

 

Nicolas connaît Beaumont et son cours d’eau, l’Artière, comme sa poche. Maraîcher, installé depuis un an sur la commune, il a été élevé près du ruisseau par ses grands-parents.  » Tous les anciens te le diront, ils n’ont jamais vu ça. » Je mets un peu de temps à me rendre compte que nous sommes dans le lit du ruisseau, pas une goutte à l’horizon, comme un beau chemin de pierres. Nicolas me montre les truites mortes dans la nuit: «  Hier, il y avait encore un peu d’eau, je pensais qu’elles survivraient à la nuit, mais là c’est vraiment sec. »

Nicolas qui a fait une formation d’accompagnateur de guide de pêche, adore les poissons « ils sont très intelligents, ressentent beaucoup de choses. Il reste une truite dans un petit fond d’eau un peu plus loin, on va essayer de la sauver celle-là… »

Seau à la main, Nicolas se déchausse et tente d’attraper la superbe truite Fario. » Il ne faut pas la toucher, car nos mains sont trop chaudes, on risquerait de la brûler ou alors il faut bien se refroidir dans l’eau, avant. » la truite se cache, Nicolas passe plus de 15 minutes à tenter de la dompter. Au bout d’un moment, l’animal se laisse mettre dans le seau.  » Je suis persuadé qu’elle sait que dans ce petit fond d’eau de toutes façons, elle est perdue. Regarde, elle ne se débat pas. Nous sommes son seul espoir de survie. » 

 

Je prends en photo la truite dans le seau. «  Dépêche-toi, on n’a pas le temps. Dans le seau, l’eau perd son oxygène, il faut qu’on se grouille. » Retour au pas de charge à la Kangoo. Direction un peu plus haut.  » On trouvera plus d’eau. » Dans la voiture, le seau est sur mes genoux. A chaque ralentisseur, l’eau se renverse sur mes cuisses. Je parle à la truite, comme un médecin le ferait avec un blessé dans une ambulance. Le temps nous est compté. Je descends le seau. J’ai peur de renverser la truite. Nicolas trouve l’endroit idéal. Il met délicatement le seau dans le cours d’eau. La truite hésite à repartir. J’ai l’impression qu’elle nous aime bien…Elle finit par s’aventurer un peu plus loin. Nous la regardons partir : J’ai sauvé ma première truite. Nicolas assassine ma fierté «  bon ici, elle a peu de cachettes, elle risque de se faire bouffer par un héron… » 

Retour dans la voiture. « Mais Nicolas, pourquoi l’Artière est-elle à sec ? » 

Une chose est évidente, cette année, les précipitations se font rares. Mais, selon Nicolas, d’autres raisons viennent aggraver la situation. Beaumont était une ville de 3000 habitants, voilà moins de 50 ans. Aujourd’hui, 13 mille personnes sont venues agrandir la commune.  » J’ai étudié le réseau de captage et la consommation des gens. L’équation est impossible. » 

Beaumont, Ceyrat, ou encore Saint-Genès Champanelle sont alimentés en eau par un captage principal à Pessade et des puits à Fonfreyde et sur Saint Genes Champanelle. « Sur le bassin versant, c’est-à-dire en amont de la rivière, au niveau de ses sources, dans la chaine des Puys. » D’autres captages viennent s’ajouter en complément, notamment au Cendre, mais les besoins ne cessent d’augmenter.

En repartant, Nicolas me montre les piscines qui bordent la rivière. «  En fait, tous les captages se trouvent au-dessus de Beaumont. Une fois arrivée à Botanic, tout est sec. Et Ensuite, vers Aubière et en direction de l’Allier, le cours d’eau reprend du volume. Mais regarde le gâchis... » Devant nous, la pépinière du magasin bio Botanic est arrosée sans discontinu. « Il va falloir comprendre que l’eau est une denrée vitale et qu’il faut l’économiser. Avant, on lavait les légumes dans la source, on ne faisait pas de piscine, on ne prenait pas un bain par jour. » Ce maraîcher sait de quoi il parle. Pour ses 5000 m2 de terrains, il n’utilise à l’année que 200 m3 d’eau. « En gros, l’équivalent de 2 remplissages de piscines. Je fais vraiment attention, alors que la législation me permet d’utiliser pour mon travail, 1000 m3. » Un couple sans enfants use, en moyenne à l’année, de 80 m3 à 120 m3 d’eau par an, selon le Service Public de l’Eau. Nicolas le reconnaît volontiers, le fait de faire attention à sa consommation entrave son travail: « les conditions sont du coup très compliquées pour travailler. Mais je serais trop malheureux d’aller vendre mes légumes, de nourrir les gens en sachant que j’ai tué pour cela des poissons, des crevettes, des écrevisses... » Pour ce maraîcher naturaliste et écolo, certaines choses ne sont pas acceptables :  » Le concours du jardin le plus fleuri, c’est beau sur le papier, mais ça peut inciter les gens à consommer… ou Botanic, implanté sur une ancienne source.. » Nicolas a donc interpelé les élus. La mairie de Beaumont, dont son élu à l’urbanisme et son technicien à l’environnement, a réfléchi sur cette problématique mais la métropole clermontoise a récupéré la compétence de l’urbanisme. La mairie de Beaumont a posté aujourd’hui un message appelant au civisme sur sa page Facebook, un arrêté préfectoral devrait être émis en urgence. « Et quand tu interpelles les élus à l’agglo, ils te répondent qu’il faut attendre que les dossiers soient étudiés ou le retour de vacances du garde-champêtre… » Il y a pourtant urgence. Nicolas a donc décidé d’investir dans une citerne hors-sol pour l’année prochaine « je récupèrerai l’eau en Hiver, et je la stockerai pour mon été. En plus, mon arrosage réalimentera les nappes phréatiques l’été. » Mais, il ne décolère pourtant pas : « j’aurais même le droit de réaliser un forage mais tu imagines les dégats, non il faut que chacun se responsabilise. Les élus comme les particuliers : les propriétaires de puits ne se rendent pas compte, ils prennent de l’eau tant qu’il y en a, mais eux aussi doivent économiser. » Malgré tout, Nicolas voit bien que cette préoccupation est partagée par bon nombre d’habitants, « même parmi ceux qui ont des piscines... » Il pense même fonder une association pour la sauvegarde de l’artière. » Et maintenant, ils veulent construire un lotissement à Ceyrat, pile à côté du captage, en amont de l’endroit où nous avons récupéré la truite. » Ceyrat va effectivement se doter d’un parc de 200 logements. « S’ils ne le font pas, ils vont avoir une amende car il n’ont pas assez de logements sociaux sur leur commune, mais cela rajoute 600 personnes, 300 bagnoles à laver, pile au mauvais endroit… en gros, ils doivent choisir, soit échapper à l’amende, soit sauvegarder la rivière… contre l’argent, l’écologie ne risque pas de gagner... » 

Nicolas a pourtant plein d’idées : « il faudrait faire plus de véritables éco-quartiers et des systèmes recyclage d’eau de pluie, chasse d’eau sans eau, prime sur les douches à faible consommation. Il faudrait aussi aider financièrement les jardiniers amateurs à se payer une citerne, car leurs puits se rechargent dans les nappes phréatiques la nuit. » 

Le maraîcher doit retourner voir ses courgettes. « Tu vois on dit qu’on veut que nos enfants mangent local ou bio dans les cantines, mais on ne fait rien pour préserver la nature et ainsi aider les petits producteurs dont je fais partie. On ne fait rien non plus pour aider les gens à prendre conscience du problème. » C’est vrai, on devrait tous au moins sauver une truite de l’asphyxie, pour se rendre compte que c’est juste à coté de chez nous, juste à côté des piscines, et juste après avoir pris une douche…

Nicolas me félicite pour le melon qui est en train de pousser dans mon jardin, ça tombe bien, ça n’aime pas trop l’eau. Je retourne vers ma voiture, garée sur le parking de Botanic. La pépinière continue d’être arrosée, sans interruption. La sensation que la survie de l’Artière ne sera pas un long fleuve tranquille…

 

Eloïse Lebourg

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