Scott, squatteur activiste

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Il faut d’abord actionner une pédale pour ouvrir la porte…Il faut ensuite, passer le porche, frôler la cuisine, border les vélos et aller au fond de la cour…
Scott est là, sur sa terrasse, devant sa cabane entièrement construite de palettes et d’objets de récupération. 
Nous sommes à l’hôtel des vil(e)s , le squatt clermontois ouvert depuis 2009. 
Scott en est devenu une des figures …Pourtant, rien, il y a encore quelques années, ne le prédisait à quitter sa vie, avec femme, appartement et bon salaire. 
Récit d’une prise conscience…

Scott est né au Canada, après l’immigration de la famille anglaise de sa mère. Son père autrefois marin, est réparateur de machines à écrire. 5 enfants naissent et grandissent dans une province sinistrée du Canada. Scott aime beaucoup l’école et est plutôt débrouillard, mais sort rapidement du cursus scolaire pour vivre de sa passion : l’ informatique. A 21 ans, il repart en Europe, en France. Dans le Puy-de-dôme exactement. A cause d’une photo des volcans d’Auvergne qui le poursuit et l’enchante. 3 ans après son arrivée, il part pour Paris, gagner de l’argent, travailler chez un importateur, et vivre une vie luxurieuse. Il revient 15 ans plus tard travailler comme prestatire chez Michelin, puis pour ACC dont il deviendra le délégué du personnel de 2010 à 2012.
Scott est alors un col blanc des plus classiques. Son statut d’immigré, d’étranger, l’empêche de voter. Il regarde le monde défiler, s’ennuie dans les manifs, et se demande à quoi servent tous ces combats face à une société capitaliste et de consommation aussi puissante…

 

Puis, le printemps arabe éclot. Avec lui, les mouvements citoyens. Pour Scott il est l’heure « de prendre la place ». 
« Le truc un peu con, c’est que ces mouvements m’ont réveillé, j’ai passé mon ancienne vie à dormir, et là, j’ai été insomniaque, d’abord de façon égoïste, j’ai eu peur d’être expulsé, mais j’ai compris que j’avais finalement plus de libertés que je ne pensais, que j’avais celle de me battre… Je suis monté à la capitale occuper la défense quelques heures avec les indignés. C’est à ce moment précis que j’ai pris mon virage, le virage de ma vie » . 
Le 11 novembre 2011, un appel à créer Occupy Clermont le guide place de Jaude. Il pense alors rejoindre des centaines de gens. Ils ne seront que 5. Mais 5 motivés. Toutes les semaines, leur but est d’occuper l’espace public, d’informer sur les droits citoyens. Leur groupe grossit. certains habitants de l’hôtel des vil(e)s les interpellent. Le squatt deviendra alors petit à petit le QG de Scott.
 

Il faut dire que l’endroit est alléchant, on y construit une société en dehors du temps, du monde, des modes de consommation. L’autogestion est maître-mot, dorloté par la solidarité et l’échange. 
Scott a eu besoin d’un catharsis : une rupture douloureuse saupoudrée de problèmes d’argent. 10 ans de lutte contre un système juridique, bancaire et relationnel avec une femme qui déconstruit tout un passé, le laissent amer, déboussolé et fauché…
Activiste désormais chevronné, il se décide alors d’emménager à l’hôtel des Vil(e)s. Nous sommes en 2013. 

« J’ai alors fait le point sur ce que j’avais, j’ai pris au sérieux la notion de décroissance, et de sobriété heureuse. Si je n’avais pas eu ce mariage raté, serais-je devenu comme ça ? C’est une question que je me pose. J’ai eu besoin de ce coup de taser. Etre malmené par le système m’a épuisé, mais m’a fait comprendre combien tout ce monde était réellement pourri…et qu’on pouvait l’oublier, puis le changer… » 
D’ailleurs ça le fait marrer, il se rappelle soudain, qu’en 1993, lors d’une soirée arrosée, il avait promis , poing levé, de faire « péter le capitalisme », déjà conscient, malgré ses bagnole, télé, appartement, que rien ne tournait vraiment rond… 
« Après je ne suis pas très fier, car j’ai profité de ce système, et je me rends compte que j’ai passé un long moment de ma vie à me mentir ou au mieux, me fermer les yeux aux doutes qui me rongeaient quand même les entrailles. D’autres se seraient suicidés, seraient devenus alcoolos, auraient plongé dans la drogue, moi je me suis battu contre ce mariage raté…et cette bataille s’est transformé en combat… » 
Le cheminement intérieur de Scott l’amène à redéfinir le monde et la vie dans leur globalité. « Ce que je déteste désormais c’est l’opportunisme qui permet et que permet le capitalisme, en gros, tu prends ce que tu peux tant pis pour les autres…une société individuelle. » 

Ici, à l’hôtel des vil(e)s, le Centre Social Autogéré, les habitations côtoient la cuisine collective, les hébergements d’urgence, les activités culturelles, le magasin gratuit. Une occupation sans droit ni titre de l’ancienne auberge de jeunesse “le cheval Blanc”. Un lieu illégal que, malgré tout, la mairie tolère. 
« Depuis ma prise de conscience, tout porte un sens. J’arrive à lire le monde, les hommes et les femmes…mais c’est épuisant, car chaque acte est un choix, à pied ou en voiture, local ou pas, neuf ou d’occasion. Pour un appareil électrique, on regarde, la provenance, les composants, l’empreinte carbone, l’indice pollution… » 
Mais Scott relève la tête malgré la fatigue, « je suis enfin l’homme que je voulais être, je me marre, je ne suis jamais seul quand je ne le veux pas. Nous avons créé ici une zone de partage pour faire reculer la solitude, l’exclusion et l’isolement. L’autogestion est un espoir, un exemple de ce qui peut marcher…Pour en être sûr, je pars parfois dans des endroits comme Barcelone, dans les ZAD, je m’imprègne des expériences de chacun… » 
Malgré tout, vivre en autogestion n’est pas toujours simple. Parfois certains ne comprennent pas les règles du jeu. Ils refusent de faire la vaisselle s’ils n’ont pas utilisé les assiettes en question…
Pour ce genre de raisons, certains squatts se meurent, ici et là. A Clermont-Ferrand la Crochette n’aura tenu qu’un hiver. « L’autogestion a ses frontières, ses limites. Et c’est à nous de toujours les repousser ! Ici, tout est mis à disposition, tout retrouve un usage commun, mais quand une facture arrive, ou quand on doit se nourrir, on est à chaque fois confronté au partage, alors on cherche tout ce qui est récupérable, et puis on a la ressourcerie avec une base d’économie sociale, un vrai magasin solidaire monté en association dont je suis le président.. Le prix libre c’est important, ( c’est même la base de notre fonctionnement) donne si tu as, si tu n’as rien, ne donne rien, mais surtout ne te sens jamais redevable… » 
Le squatt est en quelque sorte cet endroit sans espoir de reconnaissance, un lieu dans lequel on n’entendra pas forcément « je te revaudrai ça ». Pourtant, selon Scott « le squatt est un lieu hostile, car sans chef ni tâche, chacun doit donc bien se comporter. Il nous est déjà arrivé de demander le départ de certains. Mais on revendique, contrairement à la société actuelle, le droit à l’erreur, à la maladresse, à l’échec. C’est super important de se planter. Primordial, même… »

Quand on vit en communauté, l’argent n’est pas non plus un problème. Enfin presque plus. Pour Scott, bien vivre c’est se nourrir, se loger mais aussi être bien, avoir des activités culturelles. « Le minimum devrait être à 800 euros par personne, loin des 500 euros du RSA. C’est grâce à notre système que les plus démunis peuvent s’en sortir. Tout est acheté en gros. Nous glanons les vergers abandonnés, nous mangeons collectivement, et surtout nous ne gaspillons jamais. »

Scott a finalement vécu la déconsommation de façon lente. « J’ai éteint la télé et me suis mis aux médias alternatifs, France 3 a voulu tourner ici, nous avons refusé. Les grands médias et nous, nous nous ignorons totalement et c’est mieux comme ça ! , j’ai lâché ma télé pour une vie sociale, ma bagnole pour le vélo, je mange moins de viande, j’ai lâché mon appartement, j’ai tout donné à la ressourcerie…et là, je viens de demander une rupture conventionnelle dans mon boulot… et malgré tout ça, malgré le fait que je vive dans une cabane, je continue à gérer l’abondance. Trop de noix, de pommes, de châtaignes, de couvertures, de vêtements chauds. En fait, la seule chose qui me manque, c’est le temps… »

Pour Scott, l’essentiel est pourtant de rester dans l’ici et le maintenant afin de réveiller les consciences.« Autre chose nous attend : ce monde que l’on construit, ici, on ne vivote pas, on vit pour de vrai…et ceux qui ont besoin de voir pour croire peuvent venir chez nous ! »

La règle d’or du squatt c’est de s’intéresser au mouvement plus qu’aux constituants, les personnalités ne sont essentiels qu’à travers le collectif, un peu comme “la théorie du chaos ” …Certains sont très militants, d’autres ne semblent mener aucun combat, ne sont pas voués à la lutte anti-capitaliste. Tous en revanche ont un point commun : leur démarche est apolitique. Malgré tout Scott reste prudent : « Où est la part de l’illusion dans notre démarche ? Combien de communautés comme la nôtre ont été tout simplement dégommés par les missiles, ailleurs dans le monde ? Combien de temps supportera-t-on l’existence de notre squatt, si le vent tourne, il ne sera pas dur de nous détruire. Mais finalement, l’essentiel c’est de ne pas chercher la permanence mais bien l’éphémère… » 
C’est effectivement par petits morceaux d’histoire éphémère que l’on pourra, peut-être, un jour, raconter la grande…

Les photos ont été prises par capucine, 7ans.

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0 réflexion sur “Scott, squatteur activiste”

  1. Hé Scott, il nous a bien Hé Scott, il nous a bien aider a « la crochette » l’année dernière , ça fait plaiz de le voir . super Scott. Toi et ton fils . bise a bientôt j’espère. 🙂

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