» Serons-nous encore obligés de défoncer des portes ? « 

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L’UPP va devoir fermer ses portes. L’Université Populaire et Polyglotte, squat renommé de Clermont-Ferrand avait ouvert pendant l’hiver en soutien à l’arrivée des jeunes mineurs isolés prévue au mois de décembre. Scott est à l’initiative de ce projet. Il revient pour nous sur cette aventure de 9 mois et l’issue incertaine pour une quarantaine de jeunes qui seront mis dehors à la fin du mois. 

 

 

« On a su dès la fin de l’été dernier que des jeunes mineurs isolés allaient arriver pendant les vacances de noël et qu’aucun hébergement ne leur serait dédié. Le réseau d’associations telles que La Cimade, RESF et d’autres ont alerté. Avec quelques-uns ( des individus), nous avons cherché des solutions. On est tombés sur ces bâtiments à l’abandon. » Il n’en a pas fallu plus à Scott pour se lancer dans un nouveau projet. Lui, qui vit à l’Hôtel des vil(e)s, autre squat clermontois, connaît toutes les ficelles administratives pour ouvrir ce type de lieu. Dès novembre, il  pénètre, avec d’autres camarades, dans l’enceinte de cet ancien établissement scolaire appartenant à la Prévoyante Immobilière du Puy-de-Dôme, afin de le sécuriser, y mettre l’eau. « Pour l’électricité, ça a été plus compliqué, mais on s’est contentés d’un peu de lumière et de quoi charger les batteries ou téléphones. » Le froid a été le plus grand défi notamment cet hiver. « Nous avions des poêles à pétrole ou du chauffage à gaz, mais ça peut vite devenir dangereux. Donc, on éteignait tout à 22 heures, ensuite on a adapté notre alimentation, on s’est rendus compte qu’il fallait bien se déshabiller avant de se coucher, ne pas mettre trop de couvertures. On a expérimenté, quoi… » Une pièce de vie au rez-de-chaussée détient un chauffage à bois, gardant une température de 15 à 17 degrés. « Autour de ce chauffage, on a développé un vrai esprit de communauté… » 

Au départ, le lieu est ouvert pour dépanner en vacances d’hiver. « On attendait ces jeunes. Ils sont arrivés finalement le 27 décembre. Au départ, 6, 7 puis 12, 18″. L’UPP va parfois avoir en son sein une cinquantaine d’adolescents. Ces mineurs isolés doivent prouver leur âge, à travers les tests osseux, obsolètes, datant des années 60.  Après un détour par La Police des Frontières et l’hôpital, les jeunes doivent se rendre devant le juge qui doit déterminer leur année de naissance et vérifier l’authentification des attestations de naissance. Sans la reconnaissance du statut de mineur isolé, ces jeunes ne sont pas pris en charge par l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance), et doivent donc se débrouiller. L’UPP les reçoit le temps de leurs papiers, de recevoir leur certificat, ou quand les institutions ont décidé de leur majorité. Alors au squat, on les aide comme on peut. Mise en place de cours de français, d’atelier de fabrication de panneaux solaires, salle de sport, d’exposition, de fête. Gratifiera, vestiaire libre pour s’habiller. « On a innové, expérimenté, échoué parfois, mais quelle expérience. » L’alcool a freiné parfois les utopies. « Tous les problèmes de violence, maltraitance ont un lien avec la boisson. On avait donc interdit l’alcool, mais ça n’a pas toujours été respecté« . malgré tout, l’UPP devient véritablement un laboratoire, une université populaire. La chaîne de solidarité se construit entre le lieu et les différentes associations qui font relais: Les maraudes, Restos du Cœur, le Secours Populaire, l’écoutille, les Eaux Vives, Solidarité et Santé…

Mais, tout le monde le sait, vivre ici n’est pas légal.  » On a rassuré le propriétaire, en lui assurant qu’on prendrait soin du lieu et que notre occupation était éphémère, le temps que le département, la mairie, quelqu’un trouve une solution ». Le propriétaire, pour des raisons  de sécurité (un squat ne peut être assuré par exemple) est contraint de porter plainte pour occupation illégale, puis entamera tardivement une procédure d’expulsion. 

« L’UPP c’est historique quand même, nous sommes le seul squat à avoir obtenu une médiation judiciaire« . Le protocole va courir sur plusieurs mois. En découleront quelques obligations: fermer les portes, surveiller les entrées, quitter l’un des 3 bâtiments et partir avant fin août. 

La mairie réagit. On ne peut pas expulser une cinquantaine de gamins. Le chef du cabinet du maire de Clermont-Ferrand, se déplacera en personne. Il propose des alternatives, afin qu’une migration soit possible pour la fin août vers un nouveau bâtiment. 

« Nous sommes le 23 août, dans une semaine, nous devons partir et nous n’avons aucune nouvelle de la mairie. Je veux bien que ce soit les vacances. Mais il y a urgence, là non ?  » 

Le collectif est fatigué d’avoir tenu pendant 9 mois un lieu qui malgré toute sa magie ne devrait pas avoir lieu d’être. « Ce n’est pas à nous de pallier les carences du département, de la municipalité ou de l’Etat! Mais nous n’avions pas le choix, soit nous ouvrions ce squat, soit nous laissions ces jeunes à l’abandon. » 

Malgré les nombreux soutiens, les coups de main, les dons, le groupe se sent isolé par les imbroglios politiques. « Ce lieu est insécurisé. Ce n’est pas normal de la part de nos élus d’avoir laissé des gens là-dedans! » Il faut dire que l’ouverture de l’UPP aura permis quelques économies aux collectivités. Alors qu’une nuit d’hébergement revient à 70 euros par personne, à l’UPP on sort les bilans: par mois, le squat dépensait 450 euros pour nourrir une cinquantaine de personnes. Scott fait rapidement le calcul, l’UPP a pris en charge plus de 10000 nuitées, 250 personnes ont posé leur tête sur un de leurs oreillers. On estime à 700 mille euros d’économies pour le département, sans compter les repas ! Actuellement 15 majeurs et 30 mineurs sont encore présents sur le site. 

Fabien est arrivé en mars. Habitué de la vie collective, il a adoré cette expérience:  » ici, tu as un sacré mélange de cultures, ça va me manquer, je m’y sens chez moi. » 

Scott reste plus pragmatique:  » On a prouvé qu’on avait besoin de lieu comme celui-ci. On a fait toutes les erreurs possibles, pourtant, mais on a proposé un modèle de fonctionnement. Une organisation sociale libre. Ici, on a croisé beaucoup de gens traumatisés par leur destin, comment faire vivre tout ce petit monde, avec chacun son baluchon de souffrance. Nous, nous apportions du calme, de la nourriture, un endroit où se poser. La première chose que l’on disait, c’est ici, tu as un endroit à toi, tu peux poser tes affaires. » 

Tous les jeunes acquiescent. Ici, c’était un peu le paradis.  » On ne sait pas où aller le 31 août. » Malgré des alertes, rien ne bouge. Le département, de la main de son président JY Gouttebel, a même déclaré que ces jeunes étaient majeurs et que donc leur relogement ne faisait pas partie de ses compétences. 

Se pose alors une question ? 

Le 31 août, si rien n’a bougé, «  Serons-nous encore obligés de défoncer des portes ? » 

Éloïse Lebourg

Ici, le récit de vie poignant d’un jeune recueilli à l’UPP : « Siaka ou le voyage d’un migrant de 15-ans »

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