Siaka, ou le voyage d’un migrant de 15 ans:  » Mon existence ne rime à rien »

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À l’UPP, Université Populaire et Polyglotte, squat clermontois, j’ai rencontré Saika, un jeune adolescent ivoirien de 15 ans et demi. Il a décidé de me confier son terrible destin de jeune migrant. Parsemé de silence et de larmes, son récit nous montre la détresse et l’espoir d’un enfant en quête de vie meilleure. Poignant. 

 

Siaka est né en Côte d’Ivoire. Son père décède en 2002, pendant la crise ivoirienne*. Siaka n’a qu’un an. « Ma mère n’a jamais voulu m’expliquer les circonstances de la mort de mon papa. Mais, je sais qu’il a été assassiné car il fuyait Abidjan. » Siaka a 2 frères, bien plus grands. Il vit seul avec sa mère. Dans un petit village. À 7 ans, il doit commencer l’école, mais un jour, son oncle vient le chercher pour le faire travailler dans ses champs. Sa mère ne peut rien faire. Sauf une chose: Elle lui paie l’école. Siaka se lève tôt le matin pour cultiver le cacao et le café, va à l’école et revient dans les plantations. « Mon oncle était très méchant, il me frappait, j’étais fatigué, je ne mangeais pas à ma faim. » Alors qu’il entre en 4eme, sa mère qui cultive le manioc, n’a plus de ressources, et ne peut plus lui payer sa scolarité.  Siaka a 13 ans.  » Je n’en pouvais plus, alors un jour, je me lève, je m’habille, et je commence à partir dans les champs, mon oncle était devant en mobylette. Je prétexte avoir oublié quelque chose. Je fais demi-tour et je m’enfuis. Mais je ne pouvais pas retourner chez ma mère car elle m’aurait trop fâché et mon oncle m’aurait retrouvé. » Seul sur la route, le petit garçon monte dans un camion. Son oncle ne lui donnait jamais d’argent. Il n’a rien. Il arrive à la gare d’ Abidjan et s’endort dans une brouette à bagages. « Là, je me suis fait 2 copains, nous transportions les bagages des gens dans nos brouettes, nous dormions dans la gare. Nous avions un peu d’argent. Un jour, l’un de mes amis nous a dit qu’il avait reçu un coup de fil de son frère qui l’attendait dans une autre ville, au nord du pays. Nous l’avons suivi. » Le grand-frère en question accepte de les héberger quelques temps tous les trois. Il travaille dans les champs de mangue. « Je n’avais pas fui les champs pour y retourner, c’était plus fort que moi ! » Avec son ami Issa, il décide donc de continuer son chemin. «  Sur notre route, nous avons rencontré des ivoiriens qui nous disaient de nous rendre au Mali, à Sikasso. » Siaka et son ami n’ont aucun but. Ils errent, sans savoir vers où, vers qui se tourner…En suivant la route des migrants, ils se retrouvent donc au Mali. « Là, nous avons fait le même travail à la gare de Sikasso: les brouettes! Nous avons rencontré une dame qui nous autorisait à dormir dans son couloir, sur un matelas. Nous sommes restés 2 mois. Pendant ces 8 semaines, nous avons vu les gens partir pour l’Europe. » Siaka voit bien que l’Europe c’est trop loin, trop cher. Le soir, avec son ami, il compte leur butin: 300 à 6000 francs CFA par jour (entre 0,46 cents à 9 euros). Ils peuvent à peine manger.  Mais un jour, on leur propose d’aller à Bamako pour 5000 francs CFA à 2. Ils acceptent, s’éloignant de plus en plus de leur famille. Saika n’a pas encore appelé sa mère, «  j’avais trop peur qu’elle me dispute. » 

A Bamako, ils rencontrent des passeurs qui veulent les faire passer en Algérie. « Nous avons roulé 5 jours, ils nous changeaient de véhicules, nous redemandaient de l’argent. » Mais, ils finissent par arriver. Ils seront maçons sur les chantiers pendant un mois. Des passeurs leur proposent le Maroc. « Un de mes pires souvenirs… » 

Arrivés à la frontière, les passeurs les dépouillent et les laissent seuls avec 8 autres personnes. La frontière est en fait un trou de 7 mètres entouré de gros barbelés. «  La première fois, on a dû renoncer. » Puis, un soir, ils  se décident. Mais les policiers leur courent après. Saika court plus vite. Il pense suivre Issa. Mais il s’est trompé, il a suivi un inconnu. «  Là, j’ai pleuré et je pleure encore. Car, lorsque les passeurs nous ont dépouillés, ils nous ont battus, et Issa avait très mal à un bras. Ensuite, nous avons dû marcher des heures et des heures avant d’arriver à la frontière. Il souffrait le martyr. Son bras pendait. Jamais je ne l’aurais laissé tomber. Que doit-il penser de moi? Où est-il? A-t-il réussi à passer la frontière? Je ne me le pardonnerai jamais… » Le jeune garçon reste silencieux quelques minutes.  » J’ai donc poursuivi tout seul, et ça, c’est terrible… » 

Il fait quelques rencontres, mais ne mange pas à sa faim, il travaille et dort sur un chantier, puis arrivera dans un camp. Là, on lui parle de la traversée en mer. Il la tente. Mais en plein milieu de la méditerranée, le bateau s’arrête.  » Nous étions 52, dont 7 femmes et un enfant. Lorsque j’ai vu le Zodiac, j’ai compris qu’on n’irait pas au bout. Mais que pouvais-je faire d’autre que tenter, après un an de voyage? »  Ils seront repêchés, tous vivants. Parti à 5 heures du matin, il sera secouru à 16 heures. «  Nous sommes arrivés en Espagne, trimballés dans des camps pour arriver sur Madrid dans une ONG. » Là-bas, il ne comprend pas la langue, personne ne l’aide pour trouver du travail ou un but. Alors, machinalement, il monte dans des trains. Puis, le soir du 27 mars 2017, il arrive sur Paris.  » Là, c’était beaucoup trop grand pour moi. J’ai eu peur. Si seul. J’ai dormi dans le métro ma première nuit. Puis j’ai été dans une gare. Je ne sais même plus laquelle. Mais, il n’y avait pas de brouette pour me faire un peu d’argent. Personne ne voulait m’aider. Je n’avais pas mangé depuis l’Espagne. Je suis alors remonté dans un train et j’ai espéré qu’un policier m’attrape, pour qu’enfin quelqu’un sache que j’existais et que j’avais besoin d’aide.  » Mais le sort s’acharne: pas de contrôleur et un terminus: Clermont-Ferrand. «  Là, je suis descendu, comme tout le monde. je me suis effondré dans la gare. J’avais tellement faim. » Il ne mangera pourtant que 2 jours après, à l’accueil de jour.  » J’ai rencontré un noir à qui j’ai osé demander de l’aide. C’est lui qui m’a conduit là-bas. Je n’osais pas parler avec les blancs. » A Paris, il n’a pas ressenti la faim tellement il y a été stressé. A Clermont-Ferrand, l’homme qu’il rencontre va le prendre sous son aile, le dépose à la Ligue des Droits de l’Homme. Ils ont appelé l’Aide Sociale à l’Enfance. Il a pu dormir à l’hôtel pendant un mois et demi, et recevait des tickets pour manger. Parcours classique: Police des Frontières tests osseux à l’hôpital. «  Là, ils m’ont dit que j’étais majeur. Donc, je n’avais plus d’endroit où être hébergé. » Il se rendra donc à l’UPP. Nous sommes en mai 2017.

 » J’ai fini par appeler ma mère, le jour où j’ai eu un téléphone, en arrivant ici. Elle m’a fâché bien sûr, mais ça lui a fait plaisir que je ne sois plus avec mon oncle. » 

Aujourd’hui, Siaka n’a plus droit à rien, considéré comme majeur. «  Mais je n’aurai que 16 ans en décembre... » Il a eu 40 euros et 10 chèques restaurants pour 2 mois. Il ne peut même plus appeler sa maman. «  Je suis très inquiet car la dernière fois au téléphone elle m’a dit avoir eu des complications de la fièvre typhoïde. elle ne peut plus travailler. J’ai l’impression que je ne la reverrai jamais. » Silence. Siaka me regarde dans les yeux.  » Elle me manque beaucoup, elle pleure tellement au téléphone. » L’humain, face à moi, a un parcours d’homme, mais n’est pourtant qu’un enfant. 

Mais Siaka garde un mince espoir. Il est passé en audience le 7 juillet, le juge a notifié qu’il était réellement mineur, l’ASE  doit donc le prendre à nouveau en charge,  » mais là, ils sont en vacances… » Il s’est inscrit dans une école à Issoire pour apprendre l’électricité.  » C’est tout ce que je veux aujourd’hui, aller à l’école. » 

Alors que je lui dis que peut-être le pire est passé, il me regarde à nouveau, son regard franc interrompt tous mes espoirs: » Non, car à quoi rime mon existence? Qu’est-ce que je fais là? Si mon père n’était pas mort, j’aurais eu une vie normale. Si mon oncle ne me frappait pas. Si j’avais suivi Issa. Aujourd’hui, je regrette d’être parti, j’aurais dû rentrer chez ma maman. Elle m’aurait rouspété, et mon oncle aurait cherché à me récupérer, mais ça aurait peut-être mieux fini. » 

Le visage dans les mains, Il suffoque  » Mais ça me fait du bien de raconter tout ça pour la première fois de ma vie. Je suis le destin des migrants. Je suis l’incompréhension de l’Europe. Je suis la figure du malheur. » 

 

Eloïse Lebourg

*https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_politico-militaire_en_Côte_d%27Ivoire

 

Le parcours de Siaka du Mali jusqu’en Auvergne, en 17 mois. Il est arrivé en France à l’âge de 15 ans et 3 mois. 

 

Ici, le reportage sur l’UPP, squat qui a recueilli Siaka, en attendant la décision du juge (favorable le 7 juillet, le juge reconnaît la minorité de Siaka.): « Serons nous encore obligés de defoncer des portes »

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0 réflexion sur “Siaka, ou le voyage d’un migrant de 15 ans:  » Mon existence ne rime à rien »”

  1. Catherine HARDY

    Sans Siaka je pleure en lisant tes mots parceque j ai trois enfants et que je ressends la souffrance de toutes ces mamans qui voient leurs enfants partirent et je ressends ton désespoir et ton incompréhension face à ce monde d adulte . Ma maison n est pas grande et il faudra que tu partagés ta chambre avec un jeune indien réfugié que j ai pris comme fileul . Je te propose de t héberger et te montrer que la vie n est pas ce que tu crois . Contact Utopia 56 . J habite en Bretagne et tu as mon nom
    garde espoir de réaliser tes rêves

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