Sylvie, AESH en CDD depuis trois ans : Face à la précarité d’une profession mésestimée

 

Sale temps pour les Accompagnant.es d’élèves en situation de handicap (AESH) dont le métier demeure hautement précaire. Jusqu’à présent, ces agents souffrent d’une absence totale de reconnaissance professionnelle de la part de l’Éducation nationale, leur employeur. Un aspect vraisemblablement négligé par la loi Blanquer dite “École de la confiance” qui suscite la crainte et la désapprobation des AESH. Sensible à leur combat, Médiacoop est allé à la rencontre de Sylvie (le prénom a été modifié) pour mettre en lumière les difficultés d’un métier mésestimé.

 

Partageant l’inquiétude de ses collègues, Sylvie accompagne depuis trois années des élèves en situation de handicap. Passionnée par son boulot, cette mère de famille a, depuis toujours, voulu travailler dans une école. Son rôle dans l’Éducation nationale est d’aider les élèves handicapés à suivre dans les meilleures conditions possibles leurs études. Sans elle, de nombreux enfants ne pourraient tout simplement pas être scolarisés.

Pourtant, Sylvie exerce une profession précaire, non reconnue par son employeur. Depuis ses débuts en tant qu’AESH, les CDD s’enchaînent. Actuellement, Sylvie en est à son troisième contrat à durée déterminée. Il lui faudra attendre encore trois années avant d’accéder à un CDI. Pas étonnant si de nombreux agents jettent l’éponge, partant à la recherche d’une situation professionnelle plus stable. Manifestement, aucune solution n’est apportée par la loi Blanquer pour pallier la précarité de ce job comme le signale Sylvie.

En effet, selon le projet de loi, l’agent ne sera plus amené à renouveler son contrat chaque année sur une période de six ans mais devra signer successivement deux CCD de trois ans. « Concrètement, cela ne change rien. Les AESH devront toujours faire leurs six années en CDD pour avoir un CDI. C’est pour ça que les gens ne restent pas. Si quelqu’un veut investir dans une maison ou une voiture, il ne le pourra pas. Avec un statut de fonctionnaire, ça aiderait certainement les gens qui souhaitent obtenir un crédit ».

 

« Malheureusement, aucune solution concrète ne nous est exposéesm pour mener à bien nos missions futures »

 

Depuis septembre dernier, Sylvie accompagne trois élèves – dont deux dans la même classe – en situation de handicap dans l’enseignement primaire. Comme elle, de nombreux AESH doivent s’occuper en même temps de plusieurs élèves. Mais cet exercice de contorsionniste est parfois difficile à gérer. « Il arrive que l’enseignant passe directement à la correction alors que je n’ai pas eu le temps d’expliquer l’exercice à mes deux élèves ».  Selon Sylvie, les agents auraient préalablement besoin d’une formation digne de ce nom avant d’être balancés sur les bancs de l’école. Beaucoup d’entre eux n’ont pas d’expérience et apprennent leur métier sur le tas.

Si aujourd’hui, une formation a le mérite d’exister (pourtant annoncée comme nouvelle par le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer), elle s’avère profondément incomplète d’après elle. « La formation, c’est 60 heures. C’est réellement insuffisant pour que l’on puisse être au point lorsque l’on est embauché. En quelques heures, on nous expose les principaux handicaps auxquels nous pouvons être confrontés dans le cadre de notre fonction. Malheureusement, aucune solution concrète ne nous est exposée pour mener à bien nos missions futures ». Sylvie souhaiterait une vraie formation qualifiante où chaque acteur concerné (l’agent ; l’enseignant ; les parents ; l’enfant) serait présent.

Elle le reconnait, certains agents sans expérience sont livrés à eux-mêmes. Alors très vite, bon nombre d’AESH se servent d’internet pour s’auto-former. « Surtout le problème, c’est que la formation que l’on suit est de niveau CAP alors qu’il faut le niveau bac pour être recruté. Le minimum syndical serait que ce diplôme passe au niveau bac ». Normalement, les AESH sont amenés à accompagner les élèves de la maternelle jusqu’au Lycée voire plus… « Mais si demain on m’envoie dans un Lycée, que je dois aider un élève en filière scientifique, je vais être très emmerdée » s’exclame-t-elle non sans humour.

 

« Nous sommes beaucoup à  travailler à l’extérieur par nécessité.. pour joindre les deux bouts »

 

A raison de 24 heures de travail par semaine, Sylvie touche seulement 734 euros net par mois pour exercer son “métier”. Un terme pourtant légitime qu’elle parvient difficilement à prononcer.  « Je ne peux pas dire ce mot car officiellement notre fonction n’est pas encore reconnue comme un travail… malheureusement » s’exprime t-elle avec amertume. Effectivement, depuis ses premières armes en tant qu’AESH, Sylvie reçoit chaque année un ordre de mission. Pour elle, ce bout de papier est la preuve même de l’absence de reconnaissance professionnelle caractérisant la fonction d’AESH.

Pour compléter son maigre salaire, Sylvie n’a pas attendu l’intervention ministérielle pour chercher un second emploi. De plus, les heures supplémentaires que les AESH effectuent ne sont pas rémunérées. « Récupérer nos heures supplémentaires n’est pas forcément la bonne solution pour le bon suivi des enfants que l’on accompagne. Alors, nous sommes beaucoup à  travailler à l’extérieur par nécessité.. pour joindre les deux bouts » précise-t-elle.

Rappelons qu’en école, il est impossible pour les AESH de réaliser 35 heures puisque les élèves n’ont classe que 24 heures par semaine. « Nous payer 30 heures chaque semaine devrait être possible ; on pourrait aider l’enseignant. Parce que finalement, on fait pas mal d’heures invisibles non rémunérées… lors des sorties scolaires par exemple ». Selon le témoignage de Sylvie, beaucoup d’AESH ne notifient pas leurs heures de rab, découragés par la paperasse administrative.

 

« Le problème c’est qu’on ne vient jamais demander notre avis »

 

Autre souci majeur, la profession d’AESH manque cruellement de personnel. Il semble difficile de créer des vocations lorsque pour toucher le SMIC, il faudrait qu’un agent travaille plus de 40 heures par semaine. D’autant plus que le métier d’AESH tend à se précariser un peu plus au regard de ce que propose la loi Blanquer. Consciente des enjeux de l’école inclusive, Sylvie n’est pas dupe quant-aux mesures gouvernementales qui ne présagent visiblement rien de bon.  « Ils veulent nous regrouper en pôle en nous rattachant à plusieurs établissements scolaires en fonction des besoins. Nous allons accompagner un ou plusieurs élèves pendant une période définie avant d’être envoyés dans une autre école pour venir en aide à d’autres élèves » énonce-t-elle.

Vivement contestée par les AESH, cette mutualisation des aides se ferait au détriment du bien être des élèves concernés. D’après Sylvie, cette mesure ministérielle viendrait remettre en cause la relation de confiance qui s’instaure entre l’accompagnant et l’élève qu’il a en charge.  « Pour des enfants handicapés cette relation est primordiale ». Par exemple, un enfant autiste a nécessairement besoin de stabilité. Il ne pourra en aucun cas travailler avec des personnes qui lui sont inconnues.

Si pour Sylvie, l’école inclusive doit préparer la société inclusive de demain, les mesures récemment annoncées ne semblent pas répondre à la réalité du terrain. « Est-ce que c’est un problème de moyens ? Le nerf de la guerre c’est l’argent. Le problème c’est qu’on ne vient jamais demander notre avis. Je ne suis pas dans la colère mais il y a beaucoup de chose à dire.  Lorsque Macron a été élu il y a deux ans, il devait nous donner un statut, un meilleur salaire… J’attends toujours ».

 

 

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