Un gosse en flammes, n’a-t-on pas honte ?

C’est un drôle de métier que d’être journaliste. Etre attentif à l’actualité et à l’information c’est s’en rendre complice parfois, ne pas avoir vu, entendu, écouté la colère qui gronde…Au point que parfois cela fait des blessés et morts parfois. Il ne faut pas négliger le pouvoir et la responsabilité des médias. Si je prends la mienne, je tiens alors à faire mes excuses au jeune étudiant, qui pas si loin de moi, s’est sacrifié, au nom de l’injustice…

J’ai aimé raconter la vie d’un ancien résistant que j’ai tenu dans mes bras, j’ai retranscrit la douleur d’une femme battue, j’ai écouté les salariés en colère, les chômeurs à la dérive, les gilets jaunes crier des slogans révolutionnaires. J’ai accompagné le combat des lanceurs d’alerte, des écolos qui défendent leur territoire, les habitants qui se battent contre l’ouverture d’une mine, un quartier tout entier qui se rebelle. J’en ai fait des films.

J’ai donné la parole aux sans papiers, aux sans-abri, à ceux que le handicap cloue en bas de l’échelle, à tous ceux qui, par une différence quelconque souffrent dans cette société. Toi le détenu que je suis venue voir chaque semaine pendant plus d’un an, toi le gamin venu en bateau jusqu’à notre pays, du haut de tes 15 ans. J’ai ouvert mon coeur et mes pages à des combattants de tous poils…

Mais, toi, je ne t’ai pas vu venir…Et je ne suis pas venue jusqu’à toi.

Toi, le jeune gamin plein d’idéaux, voilà que tu souffres le martyr dans une chambre d’hôpital…au nom de quoi ?

Voilà que tu t’es immolé par le feu, comme l’ont fait d’autres avant toi. Dans certains pays, cela a amené à la révolution, chez nous, ce n’est que le silence qui fait suffoquer quelques-uns…Souffrir pour rien, j’ai l’impression pourtant que tu avais bien eu ta dose. La société n’épargne pas les gamins comme toi. Etudiant, syndicaliste, boursier…Pas le droit à l’erreur sinon on te prive d’argent, on te prive ainsi de continuer tes études. Si j’ai bien compris, c’est ce qui t’est arrivé. Et moi, la journaliste auvergnate, je n’ai pas vu ça de notre société. Bien sûr, la précarité des étudiants je la connais, je la dénonce, mais finalement, je ne l’avais pas personnifiée. Pourtant, des étudiants, j’en ai plein la classe quand j’interviens, des étudiants j’en ai même un dans la boite, mais il pourra bien redoubler qu’il ne perdra pas son job chez nous, alors il n’est pas le bon exemple…l’exemple de celui qui n’a pas le droit à l’erreur.

Bien sûr, ton acte est politique, et il faut vraiment que les médias s’emparent de ça pour être tout à fait juste, tout à fait honorable, ça les changera…

La vérité est la tienne, tu t’es sacrifié au nom de l’injustice qui prospère dans notre société. Tu as raison, tes plaies à toi, tu les dois à Macron et compagnie. Tu as raison, tes douleurs à toi, il faut les dédier à la politique politicienne, à ces réformes liberticides. Tu as raison, voilà bien trop longtemps que tu souffrais pour rester sans rien faire.

Mais, tu sais, toi dont j’ignore même le prénom, tu pourrais t’appeler Yvain, Victor, tous ces prénoms de jeunes étudiants qui se battent à mes côtés parfois, pour une monde meilleur. Ils font partie du même syndicat que toi, j’ai souvent vu dans leurs yeux une peu de désarroi, un peu de lassitude dans leurs combats. Mais j’ai toujours pensé que c’étaient des gamins sacrément forts, motivés et qui, guidés par leurs convictions, ne lâchaient jamais rien. J’ai vu avec quelle pugnacité, ils ont été de ceux qui ont combattu les néo-nazis, ici. J’ai vu à quel point ils étaient attachés à l’égalité, à la fraternité dans les combats pour les sans-papiers. Et je me disais que le collectif ça aide drôlement pour rester debout, pour rester vivant, pour rester de marbre, et ne pas se crâmer…

j’avais oublié que parfois, on oublie que dans la lutte, on est une multitude d’individualités, que le groupe ne peut pas tout, qu’il faut continuer à être bienveillant…que l’on peut mourir de lutter et donc d’aimer…Car on ne va pas se mentir, hein, il faut sacrément aimer pour lutter.

Mais, tu n’as que 21 ans et tu deviens le symbole du ras-le-bol de toute une génération que j’ai déjà pas mal dépassée, plus vieille et moins dans l’incertitude que toi. Plus nihiliste peut-être aussi.

Il ne faut pas que ce geste reste une simple excuse de recueillement. Non, il ne s’agit pas là de se rassembler pour compter les victimes, il s’agit là de se rassembler pour agir, pour contrer, pour que plus jamais, personne ne tente un acte politique qui lui coûtera toute sa vie. Il ne s’agit pas là d’utiliser ton geste pour se victimiser encore plus, ni dénoncer la politique qui nous donne envie de tout lâcher, et nous laisse croupir dans le désespoir. Non, ton geste, il faut l’utiliser comme il se doit, comme l’étincelle d’une révolte, comme un  » plus jamais ça  » . Il s’agit d’un acte politique contre la politique justement, celle qui nous emmerde, celle qui nous fracture, celle qui nous divise. Toi qui étais en flammes ce jour-là, nous ne devons pas t’oublier.

Et, nous les journalistes, nous devons rappeler qu’il ne s’agissait pas d’un acte désespéré, non il s’agit d’un acte qui veut insuffler des actes de résistance. Une réaction d’un peuple jusque là paralysé.

On ne peut voir dans notre pays et dans aucun autre, un étudiant en flammes sans réagir. Tu n’es pas une victime de cette société, sinon, tu le sais, ils ont gagné, tu dois être un porte-parole, un symbole de cette oppression incessante sur les plus faibles.

Alors, parfois nos idées nous conduisent à l’irréparable, notre quotidien nous fait penser que nous n’avons plus rien à perdre, en toute conscience. IL ne reste donc que le symbole.

Un gosse en flammes, n’a-t-on pas honte ?

J’ai cru avoir donné la parole à tous les sans-voix de ce pays, et je t’avais oublié toi l’étudiant précaire qui n’a pas droit à une autre chance…qui te voit attribuer tes bourses au gré des décrets.

Alors que faut-il faire de ton geste qui te suivra toute ta vie, dans ta chair et dans ton esprit ? Nous en tant que journalistes ? il est impossible de le présenter comme un acte héroïque, sinon cela signifierait que nous faisons l’apologie de la violence contre soi-même et je suis persuadée que tu ne la méritais pas. Impossible aussi de dire que tu es une victime du système, au vu du courage et de la donnée politique que tu fais de ton geste. Tu n’es pas une victime puisque tu es un militant malgré ton jeune âge et que tu défends les plus précaires. Alors, quoi faire, jeune homme de ce que tu t’es infligé ? Comment le présenter à notre auditoire ce geste là ?

Je ne voyais qu’une solution c’était de t’écrire ce courrier, tu m’en trouveras désolée…

Mais vois-tu, le mot journaliste nous rend parfois puissant et parfois totalement vulnérable, comme ce jour-là, car il ne faut pas nier la responsabilité des médias qui détournent le regard sur ton geste, qui ne l’explique pas, qui l’esquive, qui l’isole. Alors qu’à lui seul, il représente le mal-être d’une société entière…

un gamin en feu, et les regards se détournent…n’a-t-on pas honte ?

Mon métier prend alors tout son sens en reprenant ce cri de désespoir que tu as balancé comme un pavé brûlant…Amis étudiants, venez nous raconter la réalité de votre précarité et ne taisons pas ce que notre jeunesse vit de doutes et de peurs…

avec tout mon soutien…

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1 réflexion sur “Un gosse en flammes, n’a-t-on pas honte ?”

  1. merci pour ce bel hommage a ce jeune homme ..qu’il sache que ses valeurs sont partagées par beaucoup ..encore merci a vous de ne pas le laisser dans l’oubli

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