Une soirée à la rédaction d’Écho Faratanin

Écrit par des jeunes réfugiés Clermontois, le magazine Écho Faratanin prépare son quatrième numéro. Mediacoop a assisté à leur dernière réunion de rédaction, samedi 4 mai.

La pluie, fine mais persistante, hydrate les rues de Clermont-Ferrand, ce samedi 4 mai. Il est à peine 17 heures, mais les nuages qui ravissent les agriculteurs de la région ont fait fuir les citadins, et les trottoirs du centre-ville sont calmes. Mais dans les locaux de l’Université populaire et citoyenne (UPC), une lumière brille et une odeur de café emplit l’air.

Au compte-goutte, on prend place autour d’une grande table. Des rires s’élèvent : on parle tranquillement, en attendant que chacun arrive. Sur l’espace de travail, une brioche est découpée et un paquet de cacahuètes ouvert ; on dispose un enregistreur sur un petit trépied, et l’espace est envahi de piles de papiers, de pochettes à rabats et de stylos ; dans le couloir, quelqu’un téléphone. La scène est facilement reconnaissable par un œil habitué : c’est une conférence de rédaction qui se prépare. Des autres réunions du genre, un seul détail varie, et non des moindres : l’identité des rédacteurs. Presque tous mineurs, venus de loin, ils forment la rédaction la plus internationale de Clermont-Ferrand : celle d’Écho Faratanin, le fanzine des jeunes exilés de Clermont-Ferrand, qui se prépare à publier son quatrième numéro. À l’initiative de Claire, qui anime bénévolement le groupe, ils se retrouvent chaque samedi depuis un an pour faire vivre leur publication et « donner la parole aux sans voix ».

Les discussions se reportent peu à peu sur le fanzine, et la réunion commence. On fait un tour d’horizon des textes à publier : il y a de la poésie, des écrits revendicatifs, des témoignages de réfugiés, un article sur la politique camerounaise… « Il nous reste pas mal de choses à finir aujourd’hui », commence Claire. « D. a des textes à relire, et il faut qu’on fasse des dessins pour illustrer le magazine. Mais surtout, le franc CFA ! » C’est le gros dossier du jour. Les jeunes ont reçu en conférence un doctorant en économie pour parler de la monnaie coloniale française ; de cette rencontre, ils ont tiré un compte-rendu de cinq pages. « Il va falloir en enlever pour aller à l’essentiel », estime Claire. « Je fais un thé, on mange la brioche et on s’y colle ! »

« Le magazine nous permet de nous exprimer, de partager notre vécu, mais c’est aussi un moment exceptionnel qu’on passe ensemble »

Je profite de l’interlude pour me présenter, faire connaissance avec les jeunes et Claire, poser quelques questions sur la genèse de magazine. « Au départ, j’animais un atelier d’écriture au 5 étoiles », explique l’animatrice, professeure le reste de la semaine. « Les jeunes avaient beaucoup de choses à dire, j’ai pensé qu’il serait sympa de trouver un autre moyen d’expression. Ça a donné ce journal des jeunes exilés, où ils peuvent parler des sujets importants qui les touchent. » Depuis un an, le magazine fait son bout de chemin, accueilli dans les locaux de diverses associations, invité pour des présentations à divers événements, à l’initiative ou co-organisateur de conférences et de projections. Après une première parution d’une centaine d’exemplaires, le dernier numéro a atteint les 350 impressions, vendues à prix libre pour financer l’édition suivante. Et surtout, sans empressement, ni contrainte : le magazine sort quand il est prêt, et il contient tout ce que les jeunes veulent y mettre. L’équipe est composée de volontaires, et se renouvelle régulièrement au gré des aléas de la vie ; certains suivent le projet depuis le départ, d’autres l’ont rejoint il y a quelques semaines.

La brioche se termine, la réunion commence. Le texte sur le franc CFA est un gros dossier, et les rédacteurs sont confrontés aux problèmes inhérents à l’exercice journalistique. On débat du fond du texte : certains ont des désaccords avec l’interviewé, il faut préserver sa parole tout en présentant la pluralité des points de vue, différencier clairement l’avis du rédacteur de celui de l’intervenant. Tout ça en synthétisant le compte-rendu de la conférence : cinq pages A4, c’est beaucoup trop, mais attention à préserver le fond ! Aussi, il faut sans doute préciser quelques termes, pour éviter les confusions…

Les esprits tournent à plein régime pour surmonter ces obstacles. Et, forcément, les digressions sont nombreuses. Ici, les journalistes en herbes trouvent un endroit où ils peuvent se retrouver, débattre, échanger. Le genre d’espace qui manque cruellement dans la vie de ces jeunes souvent isolés dans leur lieu d’études et de travail. « Le magazine nous permet de nous exprimer, de partager notre vécu, mais c’est aussi un moment exceptionnel qu’on passe ensemble », appuie NY., qui participe à Écho Faratanin depuis sa création. « Le temps qu’on passe ici est toujours une partie de plaisir. C’est un moment pour apprendre des choses, mais aussi pour évacuer ce qu’on a sur le cœur ». Les autres jeunes abondent ; tous mettent en avant cette dimension cathartique dans la rédaction du magazine. « Je suis resté par intérêt, mais au début, c’est surtout pour oublier les soucis que je suis venu », raconte V., dernier arrivé de l’équipe. Alors la discussion dérive : un jeune évoque le racisme subi dans un bus clermontois, le choix qu’il fait de ne pas répondre pour ne pas envenimer la situation. Ses camarades l’écoutent, partagent leur propres anecdotes, se soutiennent entre eux. Ils évoquent les mangues et les avocats, se moquent de la taille et du goût de ceux qu’on trouve en France. Les tensions de la semaine sont évacuées dans les éclats de rire, et le travail reprend. On répartit les passages à retravailler, on s’attelle aux dessins pour illustrer le magazine, on trouve l’inspiration dans les précédents numéros et on surmonte les réticences grâce aux encouragements de Claire. On gratte, on lit, on discute et on rit. Puis on plie bagages en se promettant de revenir la semaine suivante. Le prochain numéro doit sortir à la fin du mois… Ensuite, il s’agira de fêter dignement le premier anniversaire d’Écho Faratanin !

Nos actionnaires, c'est vous.

Aidez-nous à rester gratuit, indépendant et sans pub :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

nos derniers articles
Cet article vous a plu ?

Soutenez le Cactus !

Le journalisme a un coût, et le Cactus dépend de vous pour sa survie. Il suffit d’un clic pour soutenir la presse indépendante de votre région. Tous les dons sont déductibles de vos impôts à hauteur de 66% : un don de 50€ ne vous coûte ainsi que 17€.