« Je me taperais bien un petit 36 »

Hier, le conseil des prud’hommes a rendu son jugement sur une affaire d’agressions sexuelles et propos sexistes au sein de l’entreprise Medic Centre de Clermont-Ferrand. Un cadre a mené l’enfer à deux salariées. L’employeur, n’ayant pas réagi, a été condamné hier à des dommages et intérêts conséquents. Retour vers une affaire qui se dessine comme jurisprudence.

Charlotte rentre toute contente en ce soir d’octobre 2019. Elle raconte à son compagnon, qu’elle surnomme Doudou, l’entretien d’embauche qu’elle vient de réussir. « Monsieur M, le cadre m’a même dit que l’on pouvait se tutoyer ! » décrit-elle. Elle rêvait d’un CDI. Il lui a promis. Alors, elle prend à coeur son travail de manutentionnaire au sein de l’entreprise. Mais rapidement, Son chef, son N+1, Monsieur M étale sa vie privée au travail. « Il nous disait que depuis la naissance de sa petite, il n’avait plus de rapport sexuel avec elle, par exemple. Il la traitait tantôt de salope, tantôt de frigide. » Explique Charlotte, accompagnée d’autres salariés, témoins de ces propos.

Sois mignonne avec moi si tu veux un CDI

Puis M. va proposer rapidement à la nouvelle embauchée « des 5 à 7 » . Charlotte refuse poliment. « C’est difficile de rembarrer un chef, qui plus est quand tu es en période d’essai et que c’est lui qui t’a embauchée. » D’ailleurs, il joue de sa posture, menace la faisabilité du CDI si elle ne répond pas à ses avances. Charlotte n’en parle pas à son compagnon. Mais rapidement, il voit qu’elle ne va pas bien. « Elle a beaucoup maigri, et perdait sa joie de vivre, ne dormait plus » confirme « Doudou ». Elle maigrit tant qu’elle entre dans du 36. M. lui glisse, alors devant ses collègues : « Ca fait longtemps que je ne me suis pas tapé un petit 36 ». Charlotte vit désormais dans la peur de croiser son chef. Elle se fait même accompagner par ses collègues pour aller aux toilettes.

Un employeur inactif

Elle s’en réfère, à plusieurs reprises à la direction. En décembre, elle leur écrit une lettre. Ses alertes ne sont pas prises au sérieux. L’enfer continue. « Il me considérait comme sa chose, pour lui j’étais célibataire alors que je lui parlais de Didier constamment. Mais il se fichait de ça, lui seul existait. » M. porte des chaussures à talonnettes. « La nuit j’entendais ses pas. Et dans la journée, dès qu’il arrivait, j’avais la boule au ventre. »

« On se faisait accompagner pour aller aux toilettes! »

Charlotte est rejointe dans son travail par Brigitte. C’est M. qui la recrute. « Il me faut une photo sur le CV, si elle est moche, elle n’entre pas. » explique-t-il sans honte devant ses collègues. Brigitte vit les mêmes agressions que Charlotte. Toutes les deux finissent par se protéger l’une l’autre, s’accompagner, se défendre. En janvier, en février, elles signalent les agissements de leur supérieur à leur employeur.

« Ils nous ont agressées devant leur enfant de 4 ans »

Un jour la RH leur dit enfin « On a parlé à M. » puis elle retourne sur le site de Montluçon où se situe son bureau, laissant les deux victimes à leur bourreau. Les filles sont en panique. Très vite, leurs collègues les entourent. Mais à 13H30, c’est la femme de M. qui déboule demandant à parler à Brigitte. Elle n’est pas seule. Elle tient sa fille de 4 ans par la main. La secrétaire en reste bouche bée. Brigitte se fait insulter. Elle rejoint vite Charlotte et ses collègues. Mais, la femme et l’enfant la suivent. Et M. les rejoint. Les injures fusent. Charlotte appelle la DRH qui entend tout au téléphone. « Salope », « Connasse ». M. prend sa petite à parti. « Je vous demande d’expliquer à mon enfant de 4 ans pourquoi à cause de deux salopes comme vous, son père va être licencié. » Les salariés parviennent à faire partir la petite famille. « Nous, nous devions rester pour ne pas être poursuivies pour abandon de poste. »

L’agresseur reste en poste

Mais sitôt leur journée finie, elles partent porter plainte pour agressions sur leur lieu de travail. Le policier leur dit qu’il s’agit d’agression sexuelle, et qu’elles ont subi du harcèlement. Les deux victimes finissent par envoyer une lettre de rupture au seul tort de l’employeur. Une enquête interne est menée par la RH et l’employeur, trop tardivement. M. garde son poste pendant plusieurs mois.

Plainte aux prud’hommes contre l’employeur

Les filles portent plainte aux prud’hommes, contre leur employeur qui n’a pas su mettre en place des mesures de sécurité pour protéger leurs salariés. Lors de l’audience, M. pour se défendre, préfère attaquer, traitant les victimes de menteuses, malgré les témoignages accablants. D’ailleurs d’autres collègues font les frais de l’infâme personnage qui sous-entend la pédophilie de l’un ou raconte la zoophilie de l’autre. Les salariés en question réfléchissent à porter plainte pour diffamation, ont-ils déclaré, hier.

Un dossier rempli de violences et de silence

Mais, les prud’hommes retiendront surtout l’enfer vécu par les deux victimes. « Elles ont même été menacées par la femme de M., devant témoin qui leur a dit « je vous préviens j’ai votre adresse » Explique Maître Duplessis avant de rajouter « Ce dossier comporte des violences incroyables. Mais je suis content pour mes clientes. On a pris au sérieux cette affaire. Car, on avait beaucoup de témoins et des preuves importantes. On a pu faire condamner l’employeur car il est responsable des agissements de ses employés, et doit mettre en place des mesures pour préserver la santé mentale de chacun de ses salariés. »

Charlotte pose devant une affiche qui lui parle !

Selon l’avocat des victimes, la loi évolue doucement en faveur des victimes. « La position de la cour de cassation est plus claire. Le juge doit apprécier le harcèlement en rapport au ressenti de la victime. » Maître Duplessis explique donc que les entreprises doivent être très vigilantes et exclure rapidement tout salarié qui dysfonctionne. « L’employeur a obligation de mettre en place une enquête interne et de procéder à des mesures conservatoires. Dans ce dossier, rien n’a été fait. »

Condamnation de l’employeur

Aussi, la cour des prud’hommes, a reconnu les faits de harcèlement et le grave manquement des obligations de l’entreprise en la matière et a pu condamner Medic Centre à 5000 euros de dommages et intérêts à chacune des victimes au titre du harcèlement. Ainsi que 1554 euros de dommages et intérêts au titre de rupture abusive. Puisque la rupture du contrat est renommée par la cour en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La cour des prud’hommes a aussi dédommagé la CGT qui s’est mise partie civile dans le dossier. En effet, le syndicat lutte contre le harcèlement en entreprise. « La CGT s’empare de ces questions, car notre syndicat défend l’égalité homme/femme. Nous menons ce combat aux côtés des victimes. Et cette affaire nous a choqués, nous sommes venus en renfort, en appui. » Expliquent les responsables CGT.

l’agresseur poursuivi au pénal le 3 décembre

M., lui, a eu droit à une rupture conventionnelle. (NDLR : Alors que les victimes n’ont pas réussi à l’obtenir et ont dû partir d’elles-mêmes !) Mais, il n’en a pas fini avec la justice : Il devra répondre de ses actes d’agressions sexuelles le 3 décembre au tribunal correctionnel. L’avocat est confiant. « Le dossier est si probant que je ne vois pas comment il peut échapper à une peine d’emprisonnement. Et cette condamnation prudhommale jouera en notre faveur. »

Quant à l’entreprise Medic Centre, elle a un mois pour faire appel du jugement. Charlotte, qui a trouvé un travail d’aide à domicile, et Brigitte, désormais intérimaire, savent que le parcours risquent d’être encore long.

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4 réflexions sur “« Je me taperais bien un petit 36 »”

  1. comme d’habitude très bel article traité avec tact et respect des personnes media coop mérite vraiment d’être plus connu bravo eloise pour se conte rendu PP

  2. Si ça pouvait toujours se passer ainsi, pour tous les sujet d’aliénation : les victimes se regroupent, se soutiennent, se battent et gagnent.
    Cela dit, je ne sais pas si l’auteur de l’article voulait protéger l’identité de « Doudou », mais son prénom est cité.

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