« Ces enfants, c’est notre argent. »

Nous avons décidé d'enquêter sur l'ASE. Grâce à une multitude de témoignages qui nous parviennent, nous vous proposons des portraits de ceux qui de près, ont eu affaire à la protection de l'Enfance. Aujourd'hui, Aïcha...

Ses parents emménagent en 1967 sur le territoire français, installés dans le sud ouest de la France. Leur arrivée est ternie d’un drame : Leur petit garçon a l’habitude d’attendre le retour du travail de son papa. La maman cuisine, fenêtre ouverte, donnant sur le square de l’HLM où ils vivent. Chaque soir, le garçonnet remonte, tenant la main de son père.

Mais ce soir-là, le patriarche remonte seul, demandant pourquoi le fils ne l’a pas attendu en bas. Sa mère se précipite dehors. L’enfant a disparu. On retrouvera son corps dans le canal du midi.

Après le drame…

Aïcha naît un an plus tard, en 1968. Elle sera l’aînée d’une fratrie de 15 enfants. « Notre mère n’était pas sympathique. C’est moi qui ai géré mes frères et soeurs. Pour me punir, un jour, elle m’a mis du piment dans les yeux. Depuis, je ne vois plus d’un oeil. »

Son père est violent aussi. Il distribue des gifles, même le jour où Aicha revient, en larmes parce qu’on lui a volé son vélo. « Celle-là, je m’en souviens. »

Ses parents se séparent. La mère soupçonne le père de vouloir voler ses enfants, à l’époque, ils sont 7. « Elle pensait qu’il nous emmènerait au Maroc. » Alors, ils sont placés en urgence à Montauban.

Violences dans les foyers

« Je me souviens qu’en foyer, il y avait une grande salle de jeux. Les rapports entre les enfants étaient très violents. On se bagarrait, on se faisait frapper par les plus grands. A l’époque j’avais une dizaine d’années. »

Aïcha en voulait aux éducateurs qui ne bougeaient pas.

Avec deux de ses frères, elle est alors placée en famille d’accueil. « De cette famille, je me souviens de 2 choses : De manger des sardines même pas cuisinées sur une petite table avec mes frères pendant que la famille d’accueil mangeait de la viande. Et je me souviens surtout d’avoir peur d’être séparée de mes frères et de pleurer sous la table sans pouvoir me plaindre à l’assistante sociale. »

Familles d’accueil

Heureusement, plus tard, une deuxième famille d’accueil la prend en charge. « J’y étais bien. Je sentais la différence entre moi et les vrais enfants de la famille, c’est vrai. Par exemple, elle avait accès aux glaces dans le congélateur. Pas moi. Mais, elle était gentille, elle me proposait toujours. »

Cependant, le meilleur placement qu’elle garde en tête, c’est chez les sœurs. « Amusant pour une musulmane! » Là, elle n’a que de bons souvenirs. « Nous étions traités comme tout le monde, nous n’étions plus les immigrés, les autres. On nous considérait vraiment. » Un jour, une des sœurs lui propose même de passer le week-end chez elle. « Elle avait invité des amis, et elle m’a dit de choisir un jeu dans la grande armoire du salon. » Aïcha n’en revient pas, le meuble est rempli de jeux. « Ce jour-là, je me suis dit, c’est ça que je veux dans ma maison, une grande armoire pleine de jouets. je me suis promis de me l’offrir un jour.  »

Souvenir des Soeurs

Pourtant, les soeurs éduquaient à la dure. Si l’assiette n’est pas finie, elle est présentée de nouveau le soir. « On avait obligation de ne pas gâcher. »

Aïcha est même félicitée pour la première fois de sa vie. « A la maison, je lavais les culottes ensanglantée de ma mère sans jamais être considérée. Là, on venait me chercher pour me remercier dès que je faisais quelque chose de bien. »

Mère célibataire

Ses parents se remarient. Récupèrent les 7 enfants, en feront 8 de plus. En 1989, à 21 ans, Aïcha esquive. Elle part, un jour, dans un foyer, sans laisser d’adresse. Change de prénom. Elle rencontre un homme, tombe enceinte de triplés. Son mari part, la laissant accoucher seule. Un des bébés ne survit pas. Aïcha aura des jumeaux. Un garçon, une fille. Elle les élève donc seule. « J’avais réussi à avoir un appartement. J’avais décroché un BEP secrétariat, un CAP sténo. Mais j’ai bien vu que ça ne suffirait pas. »

Elle décroche un contrat d’apprentissage en comptabilité. Puis devient caissière chez Leclerc. En même temps, elle prépare le bac en candidat libre qu’elle décroche.

Sortir du Mirail

Elle veut aller plus loin : « A l’époque, j’ai 31 ans, et 3 enfants. J’ai eu une fille avec un homme qui ne veut pas d’une femme divorcée. Je me retrouve encore seule. » Elle vit dans un quartier de Toulouse. « J’ai vécu à la campagne. Mon père a construit une maison, avec un jardin. Je ne pouvais plus vivre dans ce quartier. J’étais mal vu, femme-mère. »

Elle se rend à Pôle emploi, fait un scandale, veut qu’on lui finance le BTS assistante de direction. Elle y parvient, et décroche son diplôme en 2001.

La vie peut alors commencer. Elle déménage dans une maison. Elle trouve un travail. « La vie est drôle parfois. Moi qui ai vécu les placements, je me retrouve à bosser pour des structures sociales. »

Elle adopte une petite fille au Maroc. Entourée désormais de ses 4 enfants, Aïcha rentre dans un ITEP, (Institut Thérapeutique, Educatif, et Pédagogique).

Des budgets mal gérés

Elle y restera 18 ans. « Mais, des choses m’ont mise en colère. En tant que comptable, je voyais le directeur manger au restaurant tous les jours mais facturer son repas à l’établissement. A contrario quand les éducateurs demandaient du budget pour une activité, il répondait qu’il n’y avait pas d’argent. »

Elle finit par partir. A cause de sa blessure à l’oeil, Aïcha est reconnue travailleuse handicapée.

Retour à l’ASE

Elle se retrouve à travailler pour une association toulousaine financée par l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance). Elle en sera licenciée pour faute, après avoir dénoncé les dysfonctionnements. « On avait à faire à des familles d’accueil inadaptées. Moi, je gère la comptabilité. Je recevais des notes pour les habits d’enfant par exemple, mais, les tailles ne correspondaient pas. On payait des vacances à toute la famille en finançant des locations de voiture. Une famille a facturé une paire de gants, prétextant que c’était pour l’enfant, mais c’était taille XXL. »

De plus, elle conteste les rapports sur les vraies familles . « En fait, le but était de garder le plus d’enfants possibles placés. Car l’association recevait sa subvention en fonction du nombre d’enfants. J’ai lu des rapports faux sur les vraies familles des enfants pour qu’ils ne récupèrent pas leur progéniture. »

Des familles méprisées

Elle se souvient de ces parents qui arrivaient souvent en avance et à qui on leur a reproché. Ou d’autres qu’on a fâchés parce qu’ils emmenaient des bonbons et qu’ils étaient inconscients de la santé de leur enfant.

Un jour, elle s’en plaint auprès d’une des collègues qui lui rétorque : « Mais ces enfants, c’est notre argent, il faut bien les garder si on veut nos salaires. »

Bien sûr, elle croise des familles d’accueil exceptionnelles. « Des enfants toujours bien habillés, on voyait que les 700 euros par semestre qui leur aient donné pour les vêtements étaient vraiment bien utilisés. » Mais, un jour, à la place d’achat d’un pantalon, elle trouve une facture pour un aspirateur de table. Le directeur lui demande de ne rien dire. Il manque de familles d’accueil.

Aïcha est licenciée pour fautes. Elle retrouve du travail très vite.

Devenir famille d’accueil

Depuis, elle a été titularisée dans la fonction territoriale, en tant que comptable. Elle a voulu être famille d’accueil à son tour. Mais le Conseil départemental ne lui a jamais répondu. « Je pense que l’ASE m’a dans le viseur car j’avais alerté le département sur les dysfonctionnements de l’association. »

Aïcha aurait voulu accueillir des jumeaux, comme une revanche sur la vie. Car elle se rappelle un autre drame dans sa vie. Sa mère a accouché de jumelles. Elles sont placées en couveuse. La maman rentre à la maison pour s’occuper à l’époque de ses 5 enfants. Le père se rend chaque jour à la maternité en mobylette. Il lui faut parcourir 20 kilomètres.

Un jour, on lui annonce que ses 2 petites filles sont mortes. Il n’a jamais récupéré les corps. « Je reste persuadée que mes petites sœurs ont été placées à l’insu de mes parents. Et qu’elles sont là, quelque part. Comme quoi, ma vie est constamment liée à l’ASE et à ses dérives. » Conclut-elle en refermant l’armoire où des dizaines de jeux s’empilent, comme chez la soeur qui l’a accueillie, il y a plus de 40 ans. Aïcha tient toujours à réaliser ses rêves de petite fille.

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