journalisme libre

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C’est le jour de l’édito. Ne vous habituez pas trop. La semaine prochaine, ce sera peut-être un mardi…C’est ce qui est plutôt bien dans un média indépendant: la liberté! Elle a un coût, évidemment. 

Mediacoop n’a jamais voulu de business angel ou de publicité. Nous ne comptons que sur vous. On se dit qu’ensemble, on n’a pas besoin des autres, mais si, tu sais, ceux qui dirigent le monde de l’information 

Ne fais pas le naïf, tu sais très bien que les actualités que l’on te donne sont pipées par différents prismes: la ligne éditoriale du canard, l’oeil du journaliste, l’oeil du correcteur, l’oeil du rédacteur, l’oeil du statisticien qui te dit si ce thème-là va marcher ou pas. 

Bon, nous nous n’avons rien de tout ça…Juste l’envie. L’envie d’écrire sur tel ou tel truc. On se dit que si ça nous intéresse, ça vous intéresssera peut-être un peu. Ah ben c’est sûr, on va se parler qu’entre convaincus. Quoique…cette semaine, vous m’avez prouvé le contraire. 

Faut que je vous raconte…

Tu te souviens du témoignage du jeune ivoirien. Tu te souviens hein? Si, tu l’as lu. Il a cartonné. 

Alors, là, faut que tu comprennes un truc. Tu as lu un article  » engagé » comme toutes les informations que tu reçois. Pour la seule et bonne raison, que c’est un être humain qui l’a écrit. Moi, en l’occurence. Quand j’écris, je retranscris, mais à travers mon prisme à moi. 

Et que celui qui t’a dit que le journalisme objectif existait se taise à jamais…Le journalisme, c’est une histoires d’humains à humains. T’as déjà vu des relations humaines objectives, toi? Dénuées de sentiment, de ressentis, de sensations? 

Alors, j’ai décidé  de vous parler de l’envers du décor. Comment on fait pour écrire un article sur quelqu’un. 

L’histoire de Siaka, elle commence à l’UPP, puisqu’à la base je fais un reportage sur ce squat voué à fermer. Je connais bien l’histoire de l’UPP et quelques-uns de ses protagonistes. Le journalisme, c’est ça aussi, le réseau. Le mien se tisse dans les squats, les prisons et les accueils de jour…Je trouve ça d’ailleurs vraiment chouette que les organisations alternatives jouent le jeu, de me donner des exclus plus qu’à mes confrères mainstream. Ces derniers commencent à nous lorgner et à nous piquer nos sujets. Si on peut les amener à travailler sur les luttes sociales eet environnementales on aurai pas existé pour rien…

Bref, Je suis à l’UPP, chez moi quoi! Et c’est moi qui demande si quelqu’un veut me raconter son histoire, son parcours. Saika, il dit tout de suite oui. Les autres nous laissent. On va parler plus de 2 heures tous les 2. Quand un migrant de 15 ans et demi se raconte à toi, comme ça, tu n’es plus journaliste, tu es une grande soeur, une mère de sustitution…mais tu écris, pas par impudeur, mais parce que tu sais que ces mots-là, il ne faut pas que tu sois la seule à les entendre…qu’il faudra les raconter à ton tour. Le plus proche de la vérité possible. Mais à travers ton prisme. Ce qui m’a marqué, c’est la frontière marocaine, à laquelle il perd de vue son ami. Mais peut-être qu’un autre journaliste aurait retranscrit un autre épisode que moi je n’ai même pas noté. 

J’essaie d’être une journaliste citoyenne. Non pas que je ne sois pas professionnelle. Je suis payée pour ça. Mais, je veux dire, je veux être la journaliste de mes frères. Leur raconter le monde, beau et terrible à la fois. 

J’ai pleuré devant Sïaka. Mais j’ai continué d’écrire. Ses mots. Ses maux. 

Et puis, tu sais, voilà le moment où c’est fini, où Saika n’a plus rien dit, où j’ai su qu’il fallait partir. Je l’ai conduit en voiture à l’accueil de jour. Je lui ai filé mon numéro. 

Je me suis retrouvé seule, avec cette histoire qui n’est pas la mienne, dans ma besace. Une histoire que je me dois de porter aux autres, à vous. 

Ce moment de solitude, c’est celui que je préfère. Celui où tu laisses vivre tes sentiments. j’ai ressenti beaucoup de tristesse, mais peu de désespoir. Je me suis écoutée. je n’avais plus envie de pleurer, j’avais envie de combattre. 

Je suis rentrée sans prendre le temps de manger, et j’ai écrit d’abord l’UPP, puis Siaka. Siaka. En une traite. J’ai pris une douche avant de relire. Et j’ai attendu que ses mots vous atteignent. 

Merci d’avoir partagé en masse, son histoire. Elle nous appartient à tous. Je suis contente d’avoir pu vous la raconter, avec maladresse, les doigts tremblants et le coeur émietté. 

Il était de mon rôle de journaliste de lui donner la parole, sans aucun ordre d’un rédacteur en chef, sans aucune statistique ou rendement. Sans aucune obligation. Si ce n’est celle de l’humanité qui nous pousse à protéger nos frères, à les aider et les rendre vivants. 

Saïka m’a envoyé un SMS ce soir. Je ne sais pas s’il a lu l’article. S’il en est content. C’est con mais ça me taraude. 

Pour qui écrivons-nous? Pour soi-même? Pour celui qui nous lit? Pour celui qui nous inspire? Je n’aimerais pas le décevoir…après tant de confiance donnée. 

Voilà ce que c’est l’envers du décor. 

Les secondes haletantes, le temps d’arriver à son ordi pour se vider, pour raconter, pour retranscrire. 

Merci d’avoir été si nombreux à partager…

Le journalisme libre n’est pas mort. Il renaît. 

Les journalistes engagés se réveillent à vos côtés. 

Merci pour la renaissance, nous nous étions manqués…

 

D’ailleurs, ce matin, je m’en vais à Marseille, raconter tout ça aux amphis d’été de la France Insoumise. Participier à une conférence sur la liberté de la presse. C’est beau, je trouve qu’un parti, aussi citoyen soit-il s’en préoccupe…Donc si vous êtes du côté de la gare saint-Charles, passez, il y a Reporterre, Acrimed, le Ravi, Fokus 21 et plein d’autres copains…

Eloïse Lebourg

 

par ici, l’article en question:

https://mediacoop.fr/rubrique/entretien/siaka-ou-le-voyage-dun-migrant-de-15-ans

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