Visite de la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche à Clermont-Ferrand

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Ce jeudi 23 novembre 2017, la Ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Madame Vidal était de visite à Clermont-Ferrand, après avoir présenté hier en Conseil des Ministres, son projet de loi sur l’accès et la réussite dans les études/enseignement supérieures. Rapide passage par l’université Clermont Auvergne, et plus particulièrement à la faculté de droit où elle s’est exprimait dès 16H45 devant une Assemblée choisie. Service d’ordre renforcé et de nombreux véhicules de police devant l’université, pour accueillir les syndicats étudiants mobilisés pour recevoir la Ministre.

Il fallait montrer patte blanche pour pouvoir écouter ce discours prononcé dans un amphithéâtre de la Fac de droit : inscription sur une liste en début de semaine, présentation de la carte d’identité !  Autant vous dire que nous n’avons pas eu le privilège d’entendre la ministre. On en a profité pour interpeller Cyril Triolaire, maître de conférences en études théâtrales à l’université Clermont Auvergne et secrétaire académique du Syndicat National de l’Enseignement Supérieur, le SNESUP, ainsi que Anna étudiante en License 2 Histoire et militante à l’UNEF depuis cette année, afin d’avoir leurs impressions sur cette visite et sur cette « sélection » dont il est question dans la nouvelle réforme.

 

Pourquoi cette visite ? et que peut-on attendre de son intervention aujourd’hui à Clermont-Ferrand ?

 

Cyril Triolaire – La Ministre a annoncé quelles étaient les grandes ligne de cette réforme de « sélection » (même si elle n’en porte pas le nom) d’entrée à l’université de conditions de prérequis et du cadre qui va devoir les définir coté lycée dans un premier temps avec le Bac et en amont de la rentrée à l’université par la mise en place d’une nouvelle plateforme qui est censée éviter le tirage au sort mais qui va dans la réalité opérer un tri pour les étudiants qui entrent dans l’enseignement supérieur.

La nouvelle réforme est censée être mise en place dès la rentrée de septembre 2018 sans qu’aucun moyen alloué ne soit mis en place pour sa réalisation puisque chaque étudiant va être obligé de formuler 10 vœux d’accès dans des formation de l’enseignements supérieur. Ces 10 vœux appelleront à un avis des équipes universitaires, pas de classement dans l’ordre des vœux donc il faudra donner un avis sur la liste. Celui-ci peut être donné sur les commentaires du conseil de classe du second trimestre des lycées, du relevé de notes ou même de lettres de motivation qui peuvent être jointes au dossier.

Tout cela est un nouveau cadre qui n’a pas du tout été anticipé, la rentrée 2018 c’et quasiment demain. Le SNESUP a évalué au niveau national que cela représente 680 postes équivalent temps plein, le temps de travail nécessaire à l’évaluation des dossiers des étudiants qui vont arriver. Aujourd’hui aucune création de poste n’est annoncée. C’est à dire que c’est du temps supplémentaire et des missions qui vont être imputées aux personnels de l’enseignement supérieur qui vont venir se rajouter au cadre habituel. Nous sommes hostiles au principe de sélection à l’entrée à l’université mais il n’y a en plus aucun cadre qui a été mis en place pour que ce soit possible.

 

Alors que proposer comme alternative à cette réforme ? Faut-il accepter tous les candidat(e)s ?

 

C.T. – C’est une question de moyens aussi. Il ne s’agit pas toujours de ramener la question des moyens  mais dans les 3/4 ans qui arrivent  l’enseignement supérieur français va encaisser par rapport à des années normales, 40 000 étudiants supplémentaires par an, ce qui est l’équivalent d’une grande université de province (comme la nôtre, à Clermont-Ferrand). Notre pays peut aussi faire le choix politique de parier sur le fait que la formation et l’accès à un diplôme de l’enseignement supérieur est un vrai projet de société, un vrai projet pédagogique et de mettre l’argent sur la table pour.

Tout le monde semble l’oublier mais le Crédit Impôt Recherche (CIR) qui existe depuis le début des années 80 et dont le dispositif est devenu très très libéral depuis 5-6 ans, représente entre 4 et 6 milliards d’euros par an qui ne rentrent plus dans les caisse. Ce CIR est désormais une des plus grosse niche fiscale en France, l’État pourrait aussi décider de remettre à plat ce dispositif et de réinvestir l’argent qui aujourd’hui s’évapore dans la formation de l’enseignement supérieur, dans l’accueil de ces 10 de milliers d’étudiants supplémentaire. C’est le baby-boom des années 2000 ! Les gens ont fait beaucoup plus d’enfants en l’an 2000, ils arrivent tous à l’université en 2017, en 2018, en 2019, en 2020. Ça peut être aussi un vrai projet de société de se dire qu’on va permettre à ces jeunes d’accéder à des conditions décentes dans la formation qu’ils ont fondamentalement choisi.

 

Quelle est la raison de votre présence aujourd’hui et qu’espérez-vous de cette rencontre ?

 

C.T. – Madame la ministre vient nous présenter son plan pendant une heure aujourd’hui à l’université. Il n’est absolument pas écrit en amont qu’il y aura un temps d’échanges avec les participants. J’espère qu’au titre du SNESUP on pourra l’interpeller véritablement sur ces questions là car c’est un enjeu qui est très fort. Au delà de la question de la sélection, à laquelle des collègues peuvent par ailleurs être sensibles, si on introduit les éléments de sélection dès la première année que fait-on des étudiants qui n’accèdent pas à l’université et qui ont la prétention d’y entrer? Ce plan qui propose la sélection ne s’accompagne pas, par exemple, parallèlement de la création de 5 – 6 – 7 – 10 milles places supplémentaires d’accueil des étudiants en IUT, en BTS, qui sont également des débouchés sur l’enseignement supérieur. Ces étudiants qui n’iront pas vers des filières courtes, qui n’auront pas la possibilité d’accéder à l’université, que vont-ils faire concrètement avec un baccalauréat? Donc le défi n’est pas que pédagogique et un défi de formation, c’est aussi un défi social !  Que propose-t-on à des dizaines de milliers de bacheliers qui vont arriver sur le seuil de l’entrée à l’enseignement supérieur et à qui on va dire qu’il n’y a rien de possible pour eux?

La réduction du nombre d’étudiants à l’université, elle est surtout faite pour permettre de compenser le manque d’investissement dans l’enseignement supérieur. Je rappelle que la moyenne d’investissement par an et par étudiant de la France est juste à la limite supérieure de ce que fait la moyenne de l’OCDE. On a des pays voisins au nôtre qui investissent d’avantage. La question de l’égal accès à l’enseignement supérieur dans les différents pays européen est à mon avis importante. Cet investissement se pose aussi au niveau du traitement des différents étudiants dans l’enseignement supérieur en France.

Le financement par étudiant à l’université par an en 2013 (derniers chiffres disponibles) est de 10850€, contrairement à un étudiant qui entre dans les classes préparatoires aux grandes écoles est de 14850€, soit un écart de 4000€! On considère très clairement que l’État a beaucoup moins à miser sur l’étudiant qui entre à l’université que dans les grandes écoles. Tout cela se traduit concrètement par des locaux qui sont plus appropriés, par un niveau d’encadrement qui est plus élevé.

Il y a un écart par rapport aux étudiants qui sont dans les classes préparatoires aux grandes écoles qui est absolument colossal. L’université est la plus mal lotie. On peut aussi considérer que si les étudiants étaient aussi bien lotis en terme d’engagement financier de la part de l’État que dans d’autres dispositifs, peut-être qu’ils auraient les mêmes chances de réussir qu’eux.

Entretien avec Anna, étudiante et militante à l’UNEF :

Qu’est ce que vous attendez de cette mobilisation et que savez-vous de la venue de la Ministre aujourd’hui?

 

A.M. – Nous avons juste eu l’information il y a deux-trois jours, que la Ministre venait donner une conférence sur le plan étudiant et nous ne savons pas grand chose d’autre en fait.

Nous avons préparé une question à lui poser car deux élus de l’UNEF one été accepté à l’intérieur.

La manifestation est également là pour interpeller les gens. Leur rappeler que c’est nous, les étudiants et étudiantes, qui sommes concernés, donc c’est aussi à nous qu’il faut demander ! Ce n’est pas une délégation universitaire ni des débats à l’Assemblée Nationale, ce sont les étudiant(e)s les concernés, et que ce n’est pas des politiques d’austérité qui vont régler les problèmes de la Fac. C’est pour rappeler ça que nous sommes mobilisés devant et dans la fac.

 

Quelles sont justement vos propositions ?

 

A.M. – Selon l’UNEF, il faut mettre plus de moyens dans l’éducation, dans l’enseignement supérieur et la recherche.  Effectivement, il y a des taux d’échec à la Fac, mais ces taux d’échecs ne sont pas entièrement de la faute des étudiantes et des étudiants ! Les conditions d’études ne sont pas bonnes. On constate quotidiennement des TD et des amphis surchargés, un manque énorme de professeurs, etc..

Dans certaines filières sélectives, c’est compliqué de s’orienter, et de pouvoir se diriger vers la filière que l’on souhaiterait. Donc c’est sûr que si on se retrouve dans un truc qui ne nous plait pas, on a forcément  moins envie de travailler que si on s’investit dans quelque chose qui nous plait. Le manque de moyens alloués a des conséquences sur la vie des étudiants. Beaucoup sont obligés de se salarier en plus de leurs études. Cela détériore encore un peu plus les conditions d’études : quand tu fais ta journée de cours, plus ta soirée/nuit de travail, il ne te reste plus beaucoup de temps pour étudier, et physiquement comme moralement tu sens vite tes limites.

 

Ce rassemblement c’est donc aussi une manière de dire « NON » à l’austérité qui touche de plus en plus dans les universités ?

 

A.M. – Exactement, continuer de dire « NON » également aux privatisations des universités, aux fusions qui se développent un peu partout en France. Toutes ces politiques d’austérité qui disent « on va casser les budgets pour faire moins de place, du coup il faut instaurer une  sélection car il n’y a plus de place à la Fac  » !

Non en réalité il suffirait juste de prendre de l’argent, par exemple en remettant l’ISF et en réinvestissant l’argent dans les universités. Il y ‘aurait plus de places et je pense que tout irait mieux si les étudiant(e)s pouvaient travailler dans de meilleures conditions, dans une filière qu’ils ont choisie. On pourrait imaginer une bourse universelle à 800€/mois par exemple. Les politiques de ce gouvernement comme des précédents vont toujours dans le même sens.

 

À propos du déroulé de cette fin d’après-midi, juste à côté de nous dans l’amphi se tient la conférence de la Ministre, vous espérez j’imagine un temps d’échanges avec elle après ?

 

A.M. – Oui, on s’est dit qu’on allait faire un rassemblement, on ne va pas la laisser venir comme ça, on va essayer de se mobiliser. On a prévu des interventions devant la Fac pour rappeler pourquoi on est en total désaccord avec ce plan. Pendant ce temps à l’intérieur, on a deux élus présents à la conférence qui vont essayer d’interpeller la Ministre en lui posant une question par rapport à ce projet de loi, normalement cela devrait être possible, en tous cas on l’espère.

Et juste après, une conférence de presse est censée être organisée par les syndicats étudiants pour informer de ce qui se sera dit et des suites à donner en terme de mobilisation. Comment essayer d’amener la mobilisation, car il faut reconnaître que dans le milieu étudiant, il y en a quelques-uns qui bougent mais il n’y a pas vraiment de mouvement de masse. On doit réfléchir aux moyens à mettre œuvre pour permettre une plus forte mobilisation. Les médias n’ont pas trop relayé notre avis sur cette question, donc c’est aussi une occasion pour nous de médiatiser notre positionnement, ce que l’on n’a pas encore eu trop l’occasion de faire …

 

 

Derniers préparatifs et arrivée de la manifestation devant la faculté de droit.

Vérification des cartes d’identité avant l’accès à la conférence de la Ministre.

Nous avons voulu en savoir plus sur ce qui s’est passé durant cette intervention de la Ministre. Cyril Triolaire, a bien voulu nous raconter plus en détails ce qui s’est dit de l’autre côté des portes de l’amphithéâtre.  

 

Pour vous résumer le déroulement de la conférence. La ministre est restée 50 minutes environ, ce qui était prévu et a pris la parole pour présenter la réforme qu’elle était venue défendre en présence de Mathias Bernard, le Président de l’Université et devant une assemblée de 150 à 200 personnes qui avaient préalablement inscrit leur nom sur une liste envoyée à la Préfecture. Je trouve cela toujours assez curieux de mettre en place un tel dispositif pour permettre à des membres de l’enseignement supérieur de rencontrer une ancienne collègue (je rappelle que Madame Vidal est enseignante chercheur et Présidente de l’Université Nice Sophia Antipolis).

Sur le nombre total de personnes présentes pour écouter la Ministre, seul une quinzaine d’étudiants ont été admis, ce qui est toujours un indice sur la teneur de sa venue. Nous avons tout d’abord assisté à un temps de présentation de la réforme et en  particulier de la filière STAPS. S’en est suivi un temps d’échanges avec la salle où chacun était censé pouvoir s’exprimer librement. En théorie seulement, alors que j’étais le premier à demander la parole face à Mathias Bernard qui ne pouvait pas me louper (je peux sans problème reconnaître avoir éte suffisamment démonstratif !), celui-ci a préféré m’ignorer complètement en donnant la parole à d’autres. Celle-ci a circulé, non sans agitation face à mes demandes répétées. La parole a été donnée au Maire de Vichy, à un collègue d’un IUT, ainsi qu’à une représentante de l’UNEF qui a pu lire le texte préparé et interpeller la Ministre, qui ne s’est pas caché de faire preuve d’un mépris certain et d’un sarcasme non dissimulé durant cette intervention. Je ne pense pas qu’une démarche de ce genre mérite une moquerie de la part d’une Ministre et d’un Président d’Université.  C’est ainsi, qu’après 4 demandes de prises de paroles, toutes ignorées, et une clôture du débat, « réussie » selon le Président de l’Université, j’ai décidé de m’exprimer, alors que les intervenants étaient encore sur scène. Mon objectif était de rappeler ce que je vous ai présenté lors de notre entretien en rappelant qu’il existait des positionnements contraires. Je n’ai pas pu librement exprimer le point de vue du SNESUP partagé par de nombreux collègues. Mon intervention était difficile, entre le bruit permanent, la parole qui m’a été coupée à 4 reprises par Madame la Ministre et Mathias Bernard, je n’ai même pas pu terminer ma question et aller au bout de ce que j’avais préparé.

Il y a là un acte délibéré de ne pas vouloir donner la parole au seul représentant syndical des enseignants. Cet exercice n’étant finalement qu’un temps de présentation lissé, une démarche de promotion. Mon objectif n’était pas de créer un incident de fin de séance mais bien de porter une parole contradictoire. C’est une situation très désagréable et encore un bel exemple de démocratie !

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