Faut-il enterrer le projet mutualiste étudiant ?

C’est la première rentrée après la suppression totale du régime étudiant de sécurité sociale. Plombé par des accusations de mauvaise gestion et de détournement de fonds, il a pourtant été un espoir d’émancipation et de démocratie.  

« Nous ne proposons plus l’affiliation à la sécurité sociale étudiante. » La phrase semble anodine, sur le portail d’inscription de l’Université Clermont-Auvergne, seule sur une page entière autrefois dédiée la couverture sociale. Un vestige d’une époque, pas si lointaine, où chaque étudiant devait choisir qui, de la LMDE ou d’une mutuelle locale, allait gérer son affiliation à la sécurité sociale. Subtilement glissée dans la loi ORE, sa suppression devient partiellement effective à la rentrée 2018, où les néo-étudiants n’y sont plus affiliés, jusqu’à sa disparition totale cette année. Une mise à mort qui a soulevé peu d’émoi, tant le projet émancipateur porté par ce régime était éclipsé derrière les critiques, de plus en plus nombreuses et souvent justifiées, à son encontre.

Un projet historique de démocratie étudiante

Vu de 2019, la pertinence d’un régime de sécurité sociale spécifique aux étudiants est en effet loin d’être une évidence. Et elle ne l’est pas non plus au sortir de la seconde guerre mondiale. Mais laissés de côté lors de la création la sécu, les étudiants entendent revendiquer leur droit à une protection sociale ; une exigence déjà présente dans la Charte de Grenoble (1946). « L’UNEF de l’époque lance une grande campagne pour la création d’une sécu étudiante », raconte Anna Mendez, présidente actuelle de la section auvergnate du syndicat. « Idéologiquement, en tant que jeune travailleur intellectuel, l’étudiant a droit à une protection sociale comme n’importe quel travailleur ; l’idée d’une branche séparée qui soit gérée par les étudiants eux-même correspondait à un idéal d’autonomie de la jeunesse et de démocratie. On voulait que chacun puisse s’impliquer dans la gestion politique de sa protection sociale, et en même temps elle devait être adossée au régime général puisqu’il s’agissait de mettre en œuvre la solidarité entre tous les travailleurs. » En 1948, la campagne aboutit à la création de la Mutuelle nationale des étudiants de France (MNEF), centre-payeur pour la sécurité sociale par délégation de service public, qui gagnera progressivement l’extension de la couverture des étudiants à de nouveaux types d’incidents. Mais l’idéalisme du projet ne survit pas à l’épreuve du temps et au retour en force du libéralisme.

« Dans les années 70, la droite au pouvoir veut fragiliser la MNEF, et donne la compétence de centre-payeur de la sécurité sociale à des mutuelles régionales, qui constituent le réseau des SMER. Ça crée une concurrence, qui prépare au développement des complémentaires santé dans une logique de clientèle dans les années 80. En parallèle, la part des cotisations des étudiants dans le financement augmente, et le coût à l’inscription passe de 78 francs en 1978 à plus de 200 euros avant la suppression, notamment à cause du retour de la vague libérale qui fixe un objectif de rentabilité là où un investissement de l’État est nécessaire. » C’est donc la transformation progressive d’une caisse de sécurité sociale gérée par ses usagers en une mutuelle soumise à une logique de marché. Dans les années 2000, la MNEF est achevée par des scandales de détournements de fonds par ses dirigeants, et remplacée par La Mutuelle des étudiants (LMDE). Largement affaiblie, la part de gestion étudiante dans son fonctionnement passe inaperçue ; on ne voit bientôt plus de militants mutualistes sur les universités, et les renouvellements de son conseil d’administration ne font plus l’objet de campagnes électorales. Bientôt, c’est le régime étudiant lui-même qui fait consensus contre lui ; on réclame sa suppression de l’UNI jusqu’à Solidaires. Les années 2010 voient s’enchaîner les critiques sur sa mauvaise gestion, qui aboutissent à des tutelles et des remaniements à tous les niveaux de la LMDE. Dernière à soutenir son existence, l’UNEF perd la sécurité sociale étudiante en même temps que la bataille contre la loi ORE.

Une revendication encore pertinente ?

La visibilité est encore faible sur les conséquences directes de la suppression du régime étudiant de sécurité sociale. « Ça a surtout aidé à faire passer la pilule de la CVEC », la fameuse Contribution vie étudiante et campus inscrite dans la loi ORE, estime Anna Mendez. « On a fait passer pour une baisse des frais d’inscription la mise en place d’un impôt, dont l’utilisation est attribuée sur appel à projet par des commissions opaques, élitistes, technocratiques et qui mettent en concurrence les universités et les territoires. » Mais avant tout, cette mise à mort sans émoi de la part des étudiants constitue une victoire idéologique importante pour les libéraux. « Ça rentre dans la logique globale de destruction des structures de solidarité collective, tout en faisant rentrer les étudiants dans un régime général dont la gestion est de plus en plus étatisée et de moins en moins démocratique. C’est aussi la suppression de ce qui a été un espace d’engagement et de démocratie dans le monde étudiant. »

Pour autant, le projet lui-même n’est pas encore complètement éteint. « La création d’un régime satisfaisant pour la protection sociale étudiante va continuer d’être une revendication de fond », commente la syndicaliste. « D’autres secteurs commencent à parler d’une branche de la sécu dédiée à la dépendance des personnes âgées ; nous, nous portons l’idée d’une protection qui favorise l’autonomie de la jeunesse. C’est une revendication qui va de paire avec l’idée d’allocation d’autonomie. Il y a des choses à réfléchir, avec toujours en tête l’impératif de gestion démocratique par les étudiants. En tout cas il faut un système financé à hauteur des besoins et animé par la solidarité entre les travailleurs, peut-être par une cotisation sociale dédiée. » L’image semble lointaine, en cette époque marquée par les défaites du mouvement ouvrier et étudiant, et la suppression progressive d’une grande partie des cotisations sociales. Peut-être que la prochaine période de conquêtes sociales permettra de remettre sur pied un nouveau projet mutualiste étudiant, enrichi de l’expérience des échecs passés.

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