La recherche attaquée, l’université se jette dans la bataille

Casse du statut d’enseignant-chercheur, contrats courts et appels à projets : la nouvelle loi pluriannuelle de programmation de la recherche (LPPR) provoque la colère du monde universitaire. Délégué Snesupp-FSU à l’Université Clermont-Auvergne, Cyril Triolaire nous explique le contenu de la loi à l’occasion de la manifestation du 24 janvier contre la réforme des retraites.

Pourquoi un aussi gros cortège universitaire dans la manifestation d’aujourd’hui ?

Aujourd’hui les enseignants-chercheurs se mobilisent pour deux raisons : la poursuite de la lutte contre la réforme des retraites, puisqu’on est nombreux à être attachés au système de solidarité par répartition, et vient s’y greffer la loi pluriannuelle de programmation de la recherche (LPPR), qui devrait être annoncée mi-février par Frédérique Vidal, et qui fait suite à 3 rapports rendus au mois de septembre 2019, et qui vont être un vrai big bang dans le monde de la recherche, tant du point de vue du financement de la recherche que du recrutement des enseignants.

Quel est le contenu de cette loi ?

C’est la consécration définitive des appels à projets, qui vont devenir le seule moyen d’obtenir des financements, ce qui renforce la concurrence entre les enseignants, entre les équipes, entre les laboratoires… Il y a également une volonté dans la LPPR de mettre fin au recrutement au statut, ce qui rappelle le combat des cheminots, et le remplacement des maîtres de conférence et des professeurs d’université par des « tenure track » sur le modèle américain, c’est à dire des contrats de 5 ans ou de 7 ans. Pour des jeunes doctorants, c’est la perspective de ne plus avoir de CDI pour assurer la mission de service public d’enseignement supérieur ; ça va être une charge supplémentaire pour les collègues qui sont déjà titulaires : on va devoir monter des dossiers pour justifier le recrutement de collègues pour assurer des missions déjà validées par le ministère. On a un inversement complet du paradigme : il va falloir justifier de pourquoi on est là alors qu’on est censés assurer une mission de service public pour tous ; c’est aussi un renforcement de la dérégulation des salaires puisqu’il y a la volonté d’introduire une marge soumise à la performance dans le salaire des enseignants. Qu’est-ce que ça veut dire la performance quand on fait de la recherche et de l’enseignement ? Ça va également affecter les étudiants puisque tout le temps qu’on va passer à monter des dossiers pour espérer avoir un peu d’argent pour assurer notre mission est du temps qu’on ne passera pas à préparer nos cours et à accompagner nos étudiants. C’est vraiment l’inversement des mondes et c’est pour ça que la mobilisation est en train de prendre.

Quel est l’état de la mobilisation à l’Université Clermont-Auvergne ?

Hier des points d’information et de débats à l’attention des étudiants ont été tenus sur plusieurs sites universitaires ainsi qu’à l’INSPE. Il y a des collègues qui viennent vers nous qui sont non-syndiqués, de composantes habituellement peu mobilisées comme le droit ou le management, qui nous disent il faut qu’on se coordonne pour des actions collectives. À partir de la semaine prochaine, des cours alternatifs vont être proposés : on va accueillir nos étudiants mais au lieu de faire le programme, on va en cours imposer le débat sur les retraites, sur la casse de la recherche et de l’université publique. À partir des thématiques de nos cours on va tirer des fils et amener le débat de manière à ce que chacun prenne vraiment conscience de ce qui est en train de se jouer. Il y a une grille qui est mise en place en sociologie, je suis en train d’en mettre une en place pour l’UFR de lettres. L’université, c’est le lieu du débat critique par excellence ; on peut évidemment débattre partout mais si on ne le fait pas dans les universités où on dispense du savoir critique, ça paraît aberrant. La mobilisation prend très clairement une nouvelle tournure.

Les doctorants se sont également joints à la bataille ?

Les doctorants commencent à être fortement mobilisés. Déjà avant la LPPR il y a certaines disciplines où la moyenne d’âge d’entrée en poste est entre 34 et 38 ans, donc en réalité quasiment à la moitié d’une carrière normale. Là, non seulement les postes vont encore diminuer, mais en plus ce sera des postes sur des contrats de 5 à 7 ans, et donc qui peuvent s’arrêter du jour au lendemain si l’appel à projet n’est pas renouvelé. Si on va voir une banque pour acheter une maison ou une voiture, ces jeunes futurs collègues ont des vies de famille, une vie sociale à construire, c’est aussi ça qui est pénalisé.

Le gouvernement a annoncé une augmentation des salaires des jeunes chercheurs…

Il faut très clairement augmenter le salaire des jeunes chercheurs : quand on a bac+8 et qu’on est enfin recruté comme titulaire à l’âge de 37 ou 38 ans, imaginer qu’on puisse avoir un salaire de démarrage qui soit au moins le double du SMIC, on ne peut que s’en féliciter. Mais Frédérique Vidal propose un plan à 96 millions d’euros, alors que toutes les organisations syndicales et les observateurs extérieurs expliquent qu’il faut entre 1 et 1,2 milliards de plus par an dès maintenant pour arriver à un niveau de fonctionnement qui est simplement celui qu’on connaissait en 2008 avant la LRU. Donc c’est véritablement une carotte pour espérer que ça va nous faire ralentir. Il nous faut une véritable revalorisation des carrières, des salaires, et des moyens pour accueillir les étudiants de manière décente et respecter les offres de formation que le ministère valide.

En parlant de sous-financement, où en est l’UCA ?

En juin dernier, la présidence a annoncé qu’il manquait encore 4,5 millions d’euros dans la masse salariale pour finir l’exercice 2019, ce qui veut dire que malgré toutes les purges financières depuis 10 ans il manque structurellement de l’argent. C’est parce que les crédits récurrents baissent, ce qui a une répercussion sur la masse salariale. Les équipes dans les universités font le choix de supprimer des postes. Cette année à l’UCA, il y a eu encore 17 postes d’enseignants-chercheurs qui ont été ou gelés ou supprimés définitivement ; on ne peut pas être dans un système où on nous demande tous les ans de nous saigner en perdant 20 ou 30 postes, en nous disant que ça ira mieux demain, alors que ça recommence tous les ans ou tous les deux ans. C’est les enseignants et les étudiants qui en payent les pots cassés.

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