Les agriculteurs se mobilisent : « Les normes protègent la santé des industriels, pas celle des consommateurs »

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Publié le 29 mai,

Vendredi 18 mai, plus de 350 personnes se sont mobilisées dans 6 villes de France pour dénoncer le poids des normes administratives en agriculture. Les paysans se sont présentés aux DDCSPP (Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations), lieux emblématiques de l’administration agricole. Une journée d’action nationale portée par le collectif Hors-Norme.

« Avance Melchior avance ! » Christine hurle au bout du téléphone, elle nous répond sur son temps de travail. Melchior, c’est le chien qui s’égare et ne cadre plus les brebis correctement. Christine est bergère et le vendredi 18 mai, elle a participé à l’occupation du DDCSPP de Gap : « L’objectif, c’était de dire : on ne veut plus avoir peur ! »

Elle participe au collectif Hors Norme fondé en 2016, suite à la mort de Jérôme Laronze, éleveur en Saône-et-Loire, tué par un policier lors d’un contrôle vétérinaire qui a mal tourné. (https://reporterre.net/Jerome-Laronze-paysan-tue-par-les-gendarmes-le-recit-de-l-incroyable-drame ).  « A la mort de Jérôme, on a eu une prise de conscience », une première assemblée est organisée dès octobre 2017 et rassemble 150 personnes.

Le collectif dénonce le poids des normes administratives et industrielles. Au quotidien, Christine estime que mises toutes ensemble, les attentes administratives lui prennent en moyenne 2 jours de travail par semaine : « Refaire l’assurance du camion, faire la comptabilité, remplir des tas de bordereaux, …  C’est fou le nombre de techniciens divers et variés qui nous demandent des papiers. » Des charges administratives toujours plus importantes qui ont des conséquences sur son travail : « Quand on emmène des brebis, on se dit qu’on est en train de perdre du temps à les garder alors qu’on a pleins de papiers à remplir… »

Le ministère justifie la nécessité d’appliquer ces normes dans un souci de protection des consommateurs. Mais selon le collectif, les normes rassurent faussement et n’empêchent par ailleurs pas des scandales sanitaires d’éclater à échéances régulières.  Selon eux, les normes protègent avant tout un mode de production industriel et menacent la diversité agricole : « Ce sont des règles qui collent pour certaines exploitations mais, on veut nous faire croire que si on n’y répond pas, on n’est pas paysan. » Des petites fermes sont vouées à disparaître car elles n’arrivent pas à suivre les couteuses exigences matérielles. Des outils chers qui ne leur correspondent pas et dont elles n’ont pas l’utilités mais qui leur sont imposés.

Hors Norme appelle désormais à des présences collectives lors des contrôles sanitaires : « Maintenant, on a décidé d’accueillir les contrôleurs en bande. » Une façon de se sentir moins fragile face à un système qui fait flotter une présomption de culpabilité permanente : « Il y a tellement de normes qu’on ne peut pas être dans les clous, c’est impossible. Quand ils viennent pour faire un contrôle, on sait que l’on va être accusé de quelque chose. Les services vétérinaires sont devenus des « services de protection de la population ». Comme si on voulait du mal à la population… On refuse cette morale qui nous fait passer pour des dangers pour les gens. »

Le sentiment d’injustice est renforcé par une diffusion de la responsabilité. Chaque acteur se renvoie la balle. : « C’est une puissance qu’on ne sait même pas nommer. Quand on a fait les occupations vendredi 18, on a passé notre temps à entendre : « vous ne vous adressez pas à la bonne personne, nous on y peut rien, voyez à Bruxelles, voyez au ministère de l’agriculture, vous n’aviez qu’à voter pour un autre président, etc. »

Enfin, selon Christine, l’attention portée à répondre aux normes bride l’imagination et les initiatives des paysans avec des conséquences graves : « On perd du savoir faire ! ».  Elle regrette le récent démantèlement de la Zone à Défendre de Notre-Dame-des-Landes, symbole de réflexions et expériences sur des modes alternatifs de pratiquer l’agriculture : « Pendant des années, ça a été un territoire très riche au niveau agricole, un espace libre et sans contrôle. Ils ont fait du camembert sans mettre de charlotte sur la tête et s’il y en a qui ont vomi après en avoir mangé, c’est parce qu’ils avaient bu trop de vin avec ! Personne n’est tombé malade à cause du fromage. Ce ne sont pas les normes qui protègent. Ce qui protège, c’est de faire du bon boulot avec des gens qui aiment ça. »

Dans le Puy de Dôme, ils étaient 60 à se retrouver dès 7h30 du matin à Lempdes. Ils ont distribué des tracts devant le lycéen agricole avant de se diriger vers la DDCSPP 63. Dans l’institution, ils ont tenté de confronter le directeur et les employés aux conséquences directes de leur travail sur leur exploitation et leur vie. »Nous voulions discuter avec le personnel pour leur expliquer ce qu’était en réalité le résultat de leur travail normatif derrière leurs écrans. », explique les membres du collectif dans un résumé de l’action. Ils précisent: « On a fait rassembler tout le monde dans le couloir, directeur compris et on leur a dit d’écouter la lecture de la lettre de Jérôme Laronze, écrite quelques jours avant d’être abattu, lue pour l’occasion à 4 voix. Évidemment le texte a frappé tout le monde de réalité non virtuelle, de matière, de violence, de harcèlement, de sincérité, de lucidité, d’intelligence, de sensibilité et de courage. »

Le collectif Hors Norme prévoit de se réunir en septembre à Mâcon. L’assemblée est ouverte à tout agriculteur qui souhaite s’investir. Le groupe publie également des textes accessibles sur plusieurs sites internet.

Samedi 26 mai, France Inter diffusait une émission sur l’action de vendredi 18 mai accessible ici :

https://www.franceinter.fr/emissions/comme-un-bruit-qui-court/comme-un-bruit-qui-court-26-mai-2018

Gwendoline Rovai

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