Cédric Herrou au Rio  » la lutte ce n’est pas gagner, ce n’est pas vaincre, c’est ne pas abandonner »

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Publié le 18 septembre

 

 

Cédric Herrou, paysan de la vallée de la Roya, désormais célèbre pour avoir hébergé, transporté, soigné, nourri des migrants, était hier à Clermont-Ferrand pour présenter le documentaire retraçant son histoire.  «Libre ». Une séance au Rio, organisée par RESF et la Cimade 63. 

 

Les filles courent rejoindre leurs copains dans leur tente, place du 1er mai. Elles ne remarquent pas Cédric, parmi tous les citoyens. Elles s’en fichent un peu. Ici, pas de héros, pas de victimes, pas de coupables. Juste des humains. Un peu trop de tentes, pas assez d’eau, ni confort. Cédric passe inaperçu, il a une béquille dans une main après une mauvaise entorse et discute avec les militants. Certains viennent lui faire la bise avec un «moi je suis fan de vous… » Cédric n’aime pas. «  C’est bizarre quand même d’être pris pour une espèce de star… » Il revendique être un agriculteur, un cueilleur d’olives et un éleveur de poules. Un mec qui veut être libre, faire ce qu’il sait être bon. Ne pas se mentir. Se sentir vivant. Rien de plus. Rien de bien héroïque, en somme.

La veille à Valence, il a été enfariné par des identitaires. On lui parle alors du Bastion Social installé ici depuis quelques mois, et de leurs affres. On lui parle aussi de la mort de Wissam, et de l’impunité des policiers qui ont tué le jeune homme. Cédric s’intéresse à tout ce qu’il se passe autour de lui, des relais potentiels, des coups de main qu’il pourrait filer. 

On le retrouve le soir, au cinéma associatif Le Rio. Un cinéma militant qui affiche complet depuis plus d’une semaine pour cette projection. Le nouveau président ouvre la séance en rappelant combien Cédric et le Rio étaient faits pour se rencontrer. Cédric et Pierre Saint amans, président de la cimade63 présentent le film. Puis le noir, et les premières images sublimes filmées par un drone d’une mer méditerranée bleue turquoise.

Le documentaire d’une heure quarante nous montre la solidarité autour de la frontière franco-italienne. Bien sûr, Cédric est le personnage principal, mais il n’est rien sans les nombreux citoyens et associations qui l’aident au quotidien. Caméra au poing, Michel Toesca, ami de plus de 10 ans de Cédric Herrou, filme sans filtre, les matins difficiles, les soirées arrosées. Il entre dans son film, interpelle un policier, sort de son rôle de cadreur, et reste militant. Forcément, on aime ça. On aime aussi quand, à son tour Cédric prend la caméra et filme le réalisateur, l’interroge sur les motivations de son film. Michel Toesca répond aux questions sans détour d’un Cédric Herrou perplexe après sa condamnation «  je crois que tu vas finir en taule… » Cédric rit. Il le sait. Il l’assume. La liberté n’est pas entravée par quelques barreaux. La liberté dont on parle n’est pas de celle-là. Libre. Libre, autant pour eux que pour nous. Libre dans l’esprit et la folie. Dans la société qui se trompe de loi, de cadre, de règle. Libre de penser qu’ils ont tort, ceux qui pensent pour nous. Libre, même enfermé, même condamné. Cédric le reconnaît facilement «  je le fais pour eux, contre le racisme d’état, je le fais aussi pour nous, pour moi, car ces gens-là sont nos miroirs. » Cédric, rit souvent, reste serein toujours, ne s’agace jamais même en duplex avec Manuel Valls. Cédric est libre, il prend la vie comme elle vient, et elle vient à lui souvent la nuit, par petits pas silencieux et fatiguée, après la traversée d’une frontière. La vie s’invite chez lui, autour de repas à  cent personnes, la vie s’infiltre lentement dans le regard de ces petits enfants, encore bébés qui le regardent sans broncher. Un gosse ça aime la solidarité.

Le film se termine, les gens se lèvent et applaudissent longuement le paysan à la tête dure…Cédric prend la parole, n’attend pas les questions, il veut rendre hommage aux associations. Il remet son rôle dans un contexte : «  Moi, je suis sur la route, je n’aide qu’à reprendre du souffle, à vivre un peu, entre deux adresses, à manger, dormir, soigner, je ne m’en occupe pas sur de longues périodes. » Cédric parle des lois, du délit de solidarité qu’il a fait péter. Il ne parle jamais de sa lassitude, de ses doutes, de ses chagrins. Heureusement, Alpha est là pour nous le rappeler. Ce jeune mineur isolé, participe à une émission sur Radio Campus.  « Faratanin, fraternité » . Encadrés par Jean-Marie Favreau, des jeunes hébergés au squatte 5 étoiles (bientôt expulsables) prennent la parole chaque premier samedi du mois sur le 93.3. Alpha sait lui. Et s’indigne. «  Toi, les menottes dans le dos…mais tu n’es pas un criminel… » Alpha les a eues trois fois les menottes dans le dos. Trois fois renvoyé à la frontière. Trois fois il est revenu. Mais il l’avoue : «  parfois je n’arrive pas à m’endormir car je réfléchis trop, et je sais que toi aussi Cédric, tu as du mal à dormir. Toi aussi, Cédric, tu ne le dis pas, tu ris dans le film, tu danses, mais je le sais, parfois tu ne le trouves pas le sommeil. » Cédric ne répond pas. Sourit à peine. Il est 23H30. La soirée s’achève, non sans que Pierre Saint-Amans ait rappelé la réalité sur le terrain et les besoins urgents place du 1er mai où plus de 180 personnes ont trouvé refuge ces dernières semaines.

Alors que le cinéma ferme, Cédric, appuyé sur sa béquille, discute encore avec un erythréen qui lui raconte son parcours.

Libre, c’est le nom d’un film. C’est aussi la volonté d’un homme coincé dans sa vallée entre ses poules et son vieil olivier de plus de 200 ans.

Libre, c’est le mot que se murmurent, en silence et dans un vœu, les migrants qui arrivent ici et ailleurs, pour une nouvelle vie, un monde meilleur, une existence plus sereine. Mais les vœux, ça ne se dit pas à haute voix, de peur de ne pas les voir se réaliser.

Libre, pourtant, de vouloir crier, à la gueule du monde, qu’il faut lutter, non pas pour vaincre, mais pour vivre. Juste vivre pour les uns, et se sentir vivant pour les autres.

Libre. 

 

Eloïse Lebourg

 

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