L’Alternateur, le petit commerce citoyen et solidaire…

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Juste en face, par la vitrine, Jacky regarde la devanture abandonnée du petit 8 à Huit…le petit commerce a fermé ses portes au profit d’un supermarché à l’entrée de la ville…Pour les habitants de cette commune réputée dans le Puy-de-dôme pour sa résistance et ses alternatives, l’idée a germé rapidement: pour ne pas tuer le bourg, ils décident tous ensemble d’ouvrir leur épicerie, vrac, local et bio…En quelques mois, les chiffres sont si bons, qu’ils vont pouvoir investir dans une caisse enregistreuse…Récit d’une histoire si belle qu’il nous faut vous la raconter…

 

Il caille dehors…il est à peine 10 heures, ce jeudi matin, quand j’entre dans l’Alternateur. Le petit magasin rénové avec de la récup’ est chaleureux. Les gens du village y font déjà leurs courses. Christine prévient: » On a eu une livraison de notre grossiste, mais tu connais Jacky, il s’occupe de la caisse, il va te raconter... » Jacky, je le connais bien, on rentre d’un périple en Grèce, en fourgon. Il était avec Muriel et Marie, moi avec mes deux filles…Alors, le voir là ne m’étonne pas tellement. Toujours dans les bons coups…il fait partie des 70 bénévoles qui se relaient pour tenir la boutique, toujours en binôme:  » Un alternacteur et un démarreur ». «  Il en faut un pour tenir les comptes et l’autre pour gérer le magasin, on doit faire une permanence par mois, mais les vieux comme moi, on en fait bien 2 ou 3… » Jacky se marre, il se sent un peu seul, parmi toutes ses femmes, venues déballer la livraison et la mettre en rayon «  Sur 70 bénévoles, on doit être 10 mecs... » Ils/elles ont entre 25 et 75 ans, certaines viennent avec leur bébé, d’autres sont retraités, enseignants, producteurs…tous sont venus filer un coup de main pour monter ce projet…

le 8 à Huit a donc fermé l’année dernière. Carrefour a ouvert. Pourtant, la promesse d’un petit point de dépannage dans le centre avait été formulée, mais pas tenue. «  On a appris qu’il ne pouvait pas louer pour de l’alimentaire, un deal certainement avec carrefour… » Les habitants s’en inquiètent. Dans le centre, pas mal de commerçants appréhendent la désertion de l’épicerie.Trois restaurants, des cafés, un boucher, un charcutier, deux boulangeries, un magasin d’électroménager, une pharmacie et un marchand de journaux…La mairie soutient ses petits commerces. Alors un soir, en sortant de l’AMAP, trois femmes reconnues pour leur investissement notamment dans l’association de la Doume, la monnaie locale, imaginent un plan: Et si les habitants reprenaient eux-mêmes l’épicerie? 

Il s’agit de monter une association, de trouver un local et de l’aménager. 250 adhérents suivent le projet, et en trois mois, l’Alternateur ouvre ses portes, le 12 septembre exactement!

Grâce au réseau de la Doume, les adhérents connaissent déjà les producteurs locaux, le plus compliqué est de prendre contact avec les grossistes, quelques personnes les aident et les conseillent. Une charte est écrite, «  du bio et de préférence local… »

 

 » Le plus dur ça a été de créer notre stock, ça a un coût, quelques adhérents se sont alors cotisés et ont permis de sortir 4000 euros pour démarrer » explique jacky. Et pour le reste, ils se sont débrouillés: récupération de frigo, dons, aménagement à moindre coût…

 » Notre but est de revitaliser le bourg, mais ce n’est pas une mince affaire un commerce: il faut payer nos charges dont le loyer, le chauffage, l’électricité, mais on s’est rendus compte qu’on y arrivait largement, on a récupéré trois fois nos charges en marge brute! » 

Il faut dire que l’alternateur a eu droit à sa pub: même TF1 s’est déplacé.  » Et ils n’étaient même pas désagréables… » se surprend à dire Jacky…

Bon mais Jacky a besoin de concentration, tout se fait à la main, les étiquettages et les comptes surtout… » Faut pas être pressé… » Mais une cliente répond du tac au tac  » Ah non, ici, ce n’est pas le principe, les pressés ont Carrefour, nous, nous avons l’alternateur! » La petite calculatrice reçoit les doigts maladroits de Jacky qui se frotte la tête. Il faut peser les bocaux vides d’abord pour le vrac, il en a oublié un, il faut recommencer. Sandrine débarque, grand sourire, tape la bise, elle vient déposer les macarons qu’elle vend ici… » Ils partent trop vite, la semaine prochaine, fais-en le double… » Au lieu de repartir, Sandrine s’installe dans la petite pièce à côté et aide Christine à déballer la livraison. Une autre cliente les a rejointes et se met à faire de l’étiquettage. Jacky vient de terminer son calcul, la cliente est libérée mais continue de s’attarder. «  Il faut tout faire ici » reprend Jacky… » Mais ayez, on a de quoi nous payer une caisse enregistreuse, ça va débloquer pas mal de bénévoles, et puis ça nous évitera des erreurs de caisse. La législation des caisses change au 1er janvier pour éviter des fraudes avec la TVA, alors il faut investir dans une nouvelle. C’est noël avant l’heure! » Il faut dire que pour les bénévoles, la tâche est complexe, ils se sont organisés en commission: Stock/achat, comptabilité, gestion, bénévoles…

La cliente qui avait posé son panier pour filer un coup de main arrive en caisse. Au même moment, un homme vient lui offrir des pains au chocolat. Polie, elle les accepte, puis, une fois son courtisan parti, rit : » Il me drague avec des pains au chocolat, c’est trop mignon! » Jacky est trop concentré pour lui répondre, déjà attardé sur sa calculatrice, ou à peser les légumes. » Les pommes bio à 2,50 euros le kilo, tu ne verras pas ça ailleurs qu’ici, dans le Puy-de-Dôme! » En Auvergne, les fruits ont gelé cette année, la récolte a été maigre.  » Et les oeufs, vous les avez reçus? » s’exclame un monsieur au fond du magasin… » Ben non, on n’en a plus. On en passe 180 par semaine, mais on n’arrive pas à trouver de producteurs qui pourraient nous en produire suffisamment. » 

Christine dans l’arrière boutique s’affaire sur l’ordinateur.  » Je suis en train d’entrer les nouveaux produits, ils nous ont mis des céréales au chocolat et noisettes, mais c’est cher et il faut que je crée un nouveau produit sur mon bon.. » Les petites mains des bénévoles découpent des étiquettes et écrivent le prix qu’elles collent sur chaque boite…

Les clients affluent, tous armés de leurs bocaux ou bouteilles.  » Tu vois, les gens ont vite pris l’habitude du vrac, en même temps, il y a quarante ans, c’était notre façon de faire les courses » m’explique Jacky,  » Tu venais avec ton sac et on te remplissait tes contenants. » 

Comme à l’époque donc, chacun s’active. Les clients demandent des nouvelles du futur arrivage des mandarines. Une femme vient remplir sa bouteille d’huile de soja, d’autres s’offrent le miel au pollen, un homme vient refaire le plein de son flacon de lessive. On discute dur à l’Alternateur, mais pas de commérages, plutôt des conversations bienveillantes sur le village, ses habitants, les événements à venir. On se permet juste de sourire quand une habituée vient, comme chaque jour, prendre sa bouteille de vin. On ose une blague  » Tu vois Jacky, vous ne l’auriez pas ouvert votre boutique, elle serait peut-être sevrée à cette heure-là!’ 

L’alternateur n’est pas qu’une épicerie, elle est un lieu de vie, un lien social, on y organise des soirées, des ateliers, des expositions, on peut y lire Lutopik, L’âge de faire ou Silence. On peut y traîner comme dans une salle d’expo, y discuter comme dans un café..

Et on y fait ses courses. D’ailleurs, je me lance, miel au pollen, une courge Butternut, du savon et des galettes de riz au chocolat…C’est Jacky, encore, à la caisse, ça nous laisse le temps  de discuter encore un peu, et d’observer les clients s’arrêter devant les pâtes bio et locales…Allez, on craque nous aussi, le temps que la calculatrice se chauffe. On prend les macaronis.

Jacky annonce le prix, plus que raisonnable, on fait la bise à tout le monde. On remonte la rue pour retrouver sa voiture garée sur la place, en passant devant le café et sa terrasse. La pharmarcie, on la regarde de travers, il paraît qu’elle veut s’expatrier vers le Carrefour. Tiens d’ailleurs on passe devant le supermarché, on ne peut pas s’empêcher de regarder et de se réjouir de son parking vide…

C’est évident, qu’à l’Alternateur, la résistance a déjà gagné!  On regrettera peut-être juste, une fois la caisse enregistreuse arrivée, les mains sur le front plissé de Jacky, devant sa calculatrice et ses multiples opérations faites à la main. Mais à coup sûr, on reviendra…Le goût des aliments est parfumé à la solidarité, et à l’entraide. Rien de meilleur pour la santé! 

 

Eloïse Lebourg

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2 réflexions sur “L’Alternateur, le petit commerce citoyen et solidaire…”

  1. super Bravo pour la commune de Sauxillanges Christine toujours la forme bravo aux bénévoles nous avons vu le reportage a la télé ça été surprenant pour nous mais quel plaisir bonne continuation a tous

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