Lettre à Céline

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Te rappelles-tu Céline ce premier message que tu m’as envoyé comme on jette une bouteille à la mer? En tant que journaliste, je m’initiais au monde des lanceurs d’alerte, et par Facebook, tu m’as trouvée…tu m’as dit que tu avais quelque chose à me dire. Je t’ai dit qu’on ne pouvait pas parler de tout ça par téléphone, que j’allais venir te rencontrer…

Te souviens tu, Céline, de notre première rencontre? Tu étais là, quelque part, vers Agen, Bernadette et des parents auprès de toi…Nous avons parlé des heures et tu m’as remis les pièces du dossier. Je vous ai appris la discrétion, à parler de façons codées. Je vous ai prévenues que l’enquête prendrait du temps…Tu m’as répondu que pour la première fois, une journaliste te prenait au sérieux…

Te rappelles-tu Céline, ces calomnies durant l’enquête? les trahisons? les faux-amis? Les menaces? Nous passions notre vie à enregistrer les conversations, à capturer les écrans, à flipper pour nos enfants…Ils voulaient notre peau, nous le savions, mais nous ne pouvions plus abandonner…

Te souviens-tu Céline, que c’est dans ces moments-là qu’on a entendu les premières larmes sur nos joues respectives…fatiguées, écoeurées…Nous ne nous sommes jamais lâchées…Tu as soutenu Médiacoop, j’ai terminé mon enquête…j’avais toutes les preuves de la maltraitance…C’est là que je t’ai dit qu’on pouvait faire un documentaire et vous laisser la parole à Bernadette, et toi…

Te rappelles-tu ton accueil? Tu nous as tellement fait à manger, qu’on a failli ne pas tourner, tellement la digestion nous fatiguait…Et puis, on a allumé la caméra, tu étais dejà une amie à ce moment-là, et ça a eu un sacré poids dans la teneur de tes propos…On ne fait du bon travail que quand on est en confiance, j’en suis désormais persuadée. J’avais envie de pleurer pendant que vous parliez Bernadette et toi…les mots étaient puissants, les souvenirs atroces, et la réalité du moment tout autant…

Te souviens-tu de tes derniers mots?  » S’il fallait recommencer, je le referai… » A ce moment-là, tu ne vivais plus de rien, ils avaient tenté de t’enlever tes aides, tes enfants étaient suivis dans la rue…Le mot Résistance est revenu à mes oreilles…

Céline, je me rappelle quand tu as vu le documentaire pour la première fois, incapable de me dire un mot, tellement tu pleurais…Qu’on te donne la parole, pour toi, était un immense cadeau…Personne à ce moment-là ne te donnait de crédit…Ni les médias, ni certains de tes amis…

A la sortie du documentaire, nous avons été assaillies de menaces, je ne t’ai pas tout raconté pour ne pas rajouter de la peine à ta colère…J’ai assumé mon rôle de journaliste qui t’avait tendu le micro. A ce moment-là, un connard de ta vie nous empoisonnait de ses mensonges. Nous l’avons exterminé, en enquêtant et en lui faisant exploser la vie qu’il s’était imaginée…Nous en avons ri, même si ce mec était à pleurer…Et l’autre-là dont je ne me souviens pas le nom et qui me traitait de journaliste en bois parce que j’avais cru tes sornettes…tu sais, je ne me souvenais jamais de son pseudo…ben oui, il n’a jamais été capable de m’adresser la parole sous sa vraie identité..

Et puis, ce faux co-réalisateur qui fit croire qu’il se trompait de numéro et t’appelait pour te dire du mal de moi, parce qu’il était trop mauvais, trop menteur, pour entrer à Mediacoop. Tu as pris des notes pendant son appel et tu m’as fait une attestation judiciaire. Nous étions devenues ça, l’une pour l’autre: un bouclier contre les cons…Nous nous protégions, car nous étions encore à ce moment-là bien seules…Bien sûr, certains ont cru en nous…mais peu osaient le dire. 

C’est quand je suis allée parler de ton cas lors des assises du journalisme à Tours, puis au Conseil de l’Europe, ou encore lorsque JL Melenchon, himself, m’a demandé de venir témoigner de ton histoire pour sa chaîne youtube, que les choses ont bougé. Enfin, on croyait ton histoire, on reconnaissait mon travail d’investigation. 

je t’ai lâchée un peu à ce moment-là, tu n’avais plus besoin de moi, le documentaire tournait partout, et les médias se sont intéressés à ton affaire…Je lisais les articles sur toi, tes passages télé, radios, les soutiens de plus en plus nombreux…Je n ‘avais plus ma place, j’avais fait mon job, la justice ferait la sienne…

Te souviens-tu Céline de ce que je t’ai dit un jour? De ne pas te perdre dans tout ça…de revenir à la réalité, à ne pas laisser Moussaron être le centre de ta vie, de retrouver un travail, de te reconstruire, à côté de cette histoire. Je me suis mise en colère même, en te disant de t’occuper de tes filles, à te dire de dormir, bordel, de lâcher…Tu m’as écoutée, tu es très polie, masi tu ne m’as pas entendue…

Je sais que ce mardi, il fallait que tu gagnes ce procès…Gagner ce procès, c’est admettre que parler de maltraitances dans l’IME de Moussaron n’est pas diffamatoire et donc reconnaître ladite maltraitance…

Gagner ce procès, c’est redonner de la dignité à ses enfants et à leur famille…

Gagner ce procès, c’est admettre qu’il existe, ci et là, partout en France, des lanceurs d’alerte, et qu’il faut les aider à ne pas se faire broyer par la machine des puissants…

Gagner ce procès c’est aussi te redonner vie, te libérer de tes propres doutes…Combien de fois as-tu eu peur d’être finalement celle qui a tort…le propre de la perversion est de faire culpabiliser les victimes en les rendant coupables…Je subissais en même temps que toi des poursuites judiciaires, des pressions, et des campagnes de calomnie…J’ai moi aussi gagné quelques mois plus tôt…J’ai moi aussi douté…Mais tu m’as accompagnée chaque jour…

Mardi, je donnais un cours à Vichy…( ironie de l’histoire que d’être dans la ville pétainiste au moment où toi, tu résistes à Toulouse…) j’ai vu le mot relaxée, sur mon smartphone sur lequel je veillais depuis pas mal de longues minutes…j’ai libéré les élèves plus tôt…et suis allée m’isoler dans les toilettes. J’ai pleuré, Céline. Tu étais en zone libre désormais, et tu me libérais aussi. J’ai pleuré Céline, car nous avions passé quatre longues années, toutes les deux, à nous tenir cahin caha par le bras, tentant de rester debout, malgré tout…

Toi la lanceuse d’alerte, moi la journaliste…Aussi essentielle l’une pour l’autre…
 

Désormais je pourrai regarder le documentaire sans la boule au ventre…Mon film a un Happy End. 

 

Putain, Céline, ils t’ont prise pour une vulgaire salariée qui fermerait sa gueule, comme tous les autres ou presque…de ceux qui ont peur de tout perdre…et tu as tout perdu, pendant un long moment, et depuis mardi, tu as désormais, ce truc là…qu’ils n’auront jamais: ta dignité. 

Sois fière, petite graine qu’on a voulu enterrer…

On a vaincu, on a vaincu!!!!

N’ayons plus peur de nous élever contre les injustices, les maltraitances, les fraudes fiscales…

On a vaincu et on vaincra encore…

L’amour ne peut avoir d’adversaire plus puissant que lui…

Eloïse

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