Code pénal des mineurs : vers la fin de la priorité à l’éducation ?

Passée inaperçue en plein débat sur les retraites, une réforme de la justice des mineurs est en passe de bouleverser complètement la manière dont la société considère la délinquance enfantine. Soutenu par un large collectif, le SNPES-PJJ/FSU mène le combat contre des ordonnances qui remettraient en cause la priorité à l’éducatif.

« Il n’y aura plus de retour en arrière possible » préviennent les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) de Clermont-Ferrand. Au sein d’un large collectif regroupant associations de défense des droits et syndicats de la protection de l’enfance et de juristes, les militants du SNPES-PJJ/FSU luttent depuis plusieurs mois contre un bouleversement majeur de la justice des mineurs : le remplacement de l’ordonnance de 1945 par un « code de la justice pénale des mineurs ». En mars dernier, l’Assemblée nationale autorisait le gouvernement à légiférer par ordonnance sur le sujet ; validé par le conseil des ministres en septembre 2019, il doit être soumis au parlement au printemps de cette année pour une mise en application en octobre prochain. Au cœur de la polémique, ce que les collectifs dénoncent comme une inversion de la logique actuelle : « dans la première mouture que nous avons reçue, la priorité aux mesures éducatives plutôt qu’à la répression pénale n’apparaît pas ». La justice des mineurs passerait-elle d’un outil de réinsertion sociale à un organe répressif ?

« Toutes les politiques vont dans ce sens depuis 30 ans alors que toutes les études montrent que c’est une catastrophe ; avec ce code pénal, il ne sera plus possible de faire machine arrière », estiment les syndicalistes. Décidée par le Conseil national de la résistance, la fameuse « ordonnance de 45 » se fonde sur la reconnaissance de l’influence du contexte social sur la jeunesse. L’idée, corroborée par une grande partie de la sociologie traditionnelle, est que la délinquance est un symptôme de la maladie du corps social ; il serait donc plus efficace d’aider les mineurs délinquants à s’insérer dans la société que de les en exclure définitivement par des mesures répressives telles que l’enfermement. « Le changement a commencé avec des déclarations de Lionel Jospin qui remettait en cause l’influence du contexte social sur la délinquance. Depuis, c’est devenu un argument électoral : l’augmentation de la répression contre les mineurs délinquants permet de construire un discours sécuritaire à peu de frais. » Des réformes successives justifiées par une augmentation de la délinquance qui serait factice : « toutes les études montrent que la délinquance a peu évolué depuis les années 1960. La seule chose qui fait progresser la courbe, c’est la criminalisation de comportements qui étaient considérés comme des incivilités : le regroupement dans les halls d’immeubles, le port de la capuche à certains endroits… Généralement, ce sont des délits taillés sur mesure contre les jeunes de banlieues ». Si la situation s’améliore brièvement sous la houlette de Christiane Taubira, celle-ci « perd le duel contre Valls » et la descente sur la pente répressive reprend de plus belle depuis sa démission en 2016, et maintenant sous la présidence d’Emmanuel Macron. « Sa première mesure en la matière a été d’ouvrir 20 centres éducatifs fermés (CEF), alors que ce sont les structures les plus dysfonctionnelles qui existent », dénoncent les syndicalistes. « Il maquille ces décisions en les faisant passer pour des mesures éducatives sous prétexte qu’il y a des éducateurs dans ces structures, mais ça ne correspond absolument pas à la réalité de ces centres où il n’est pas possible de mettre en place un réel accompagnement éducatif. »

Aujourd’hui, la dérive sécuritaire mène à des confusions graves. « À force de nous vendre des mesures répressives comme éducatives, on en vient à des absurdités. On a vu une jeune qui avait un emploi être condamnée à des travaux d’intérêts généraux sous prétexte de l’aider à s’insérer dans l’emploi », racontent les syndicalistes. Et le futur code pénal des mineurs n’arrange rien. « Cette confusion est clairement entretenue, il n’y a pas de séparation entre les mesures éducatives et les peines. De l’autre côté, il y a la volonté très nette de distinguer les jeunes qui ont besoin d’être aidés de ceux qu’il faut à tout prix enfermer. Il y a quelques années, les éducateurs PJJ avaient aussi une mission de protection de l’enfance ; aujourd’hui tout est séparé. Mais la réalité, c’est que les jeunes qu’on retrouve à la PJJ sont ceux qui ont eu un parcours de vie particulièrement difficile, avec des passages par la protection de l’enfance. C’est pour ça que l’opposition est aussi large : de La Cimade au syndicat de la magistrature, tous ceux qui travaillent avec ces jeunes sont contre la réforme. »

Si la philosophie générale du texte inquiète, le détail est loin de rassurer. « Le texte parle de « mise à l’épreuve éducative » limitée à 9 mois, sans tenir compte d’éventuelles listes d’attente, avec la suppression du passage préalable devant le juge des enfants. C’est un délai bien trop court : on ne peut pas juger de l’efficacité du travail éducatif sur un temps aussi court. » La reconnaissance du discernement est également contestée : aujourd’hui étudiée au cas par cas, elle sera fixée à 13 ans, et être étendue exceptionnellement à des mineurs plus jeunes encore. Une possibilité qui inquiète les animateurs dans un contexte où « l’exception devient la règle » et où de plus en plus d’enfants de 8 à 10 ans sont déclarés responsables de leurs actes.

Autant que le projet de loi lui-même, son élaboration est vivement critiquée. La méthode de légifération par ordonnance, jugée anti-démocratique, s’accompagne d’un manque de consultation des professionnels, qui dénoncent des visites de centre avec des rencontre d’agents « triés sur le volet par l’administration ». « Sans oublier la réforme de la fonction publique qui est en cours et les primes de mérites qui vont être attribuées dans la même temporalité que la mise en application de la loi. On serait surpris que l’adaptation à cette réforme ne soit pas prise en compte. »

Malgré l’invisibilisation par le débat sur la réforme des retraites, la contestation s’organise. Les éducateurs PJJ de Clermont-Ferrand seront en grève le 12 mars. Plusieurs appels régionaux courent pour la même date.

Photo d’archives.

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