Chraz, le pilier de l’humour auvergnat : « Dès la naissance, j’ai été amputé du premier degré »

« Amputé du premier degré à la naissance » , Chraz conçoit l’humour comme une bouée de sauvetage afin de ne pas sombrer dans les méandres de la vie. Philosophe à ses heures perdues, c’est sans langue des bois que le pilier de l’humour auvergnat a accepté de  revenir sur sa carrière ô combien atypique.

 

Gamin, ce fils de prolos possède déjà le don de faire rire ses camarades sur les bancs de l’école. Pourtant, à cette époque, il ignore encore l’existence de ceux qui montent sur scène pour faire de l’humour leur métier. Le théâtre, le cinéma ou la télévision sont des mondes parallèles auxquels sa famille n’a pas eu immédiatement accès.  « J’étais dans ma parallèle à moi qui ne se rejoint même pas à l’infini avec les autres contrairement aux maths » plaisante-t-il avec humilité.

©Franck Dhumes

Derrière de longues bacchantes grisonnantes, Chraz dissimule pudiquement les souvenirs d’une enfance plutôt modeste. D’origine polonaise par son père et slovène par sa mère, ses grands-parents sont venus en France dans les années 30 dans l’espoir de trouver du travail pour “bouffer”.  « A l’époque, les français allaient chercher les gens à l’étranger comme ils ont fait plus tard avec les arabes. Ils avaient besoin de main d’oeuvre. Quand il y a trop de cons qui se font tuer à la guerre, il faut bien trouver des mecs pour reconstruire ».

Issu d’un milieu « bas de gamme », il a vécu avec ses parents dans une seule pièce jusqu’à ses 16 ans, âge auquel il s’est engagé dans l’armée de l’air en tant que mécanicien. Las de cette première expérience, le jeune auvergnat s’en va rouler sa bosse en cherchant le moyen de « survivre ». « J’étais rouleur de pétard à plein  temps à la campagne. Je ne me posais pas tellement de questions. Ce n’était pas comme maintenant où c’est l’angoisse de l’avenir. L’ambiance des années 70-80, c’était la zone mais c’était bien » se souvient-il, nostalgique. Mille petits boulots se sont succédé : contrôleur laitier, disc-jockey, menuisier, chômeur, marchand de frites, de gaufres, gérant de camping, etc.

 

« Elle voulait que je m’habille propre mais je ne me posais pas autant de questions, j’étais juste moi-même »

 

Toutefois, dans la vie de ce jeune zonard à temps complet, l’écriture est bel et bien présente. Un premier bouquin, écrit à la volée, fait déjà état de son très personnel sens de la dérision, “La longue histoire des Masses-Laborieuses”. « C’était l’histoire de deux familles socialement opposées. Il y avait les Masses et les Laborieuses. C’était complètement con, j’avais déjà l’esprit tordu ». Un esprit tordu qui va pourtant le pousser à faire ses premiers pas sur scène en 1986 .

Un pur hasard d’après lui. Répondant à une annonce parue dans le journal, Chraz décide de participer à la “Nuit du théâtre” organisée  dans la salle de spectacle “Le Petit vélo”, à Clermont-Ferrand. « Comme j’avais déjà écrit des conneries, je suis venu présenter un sketch. Il y avait une nana, Cathy Jouglet, qui m’a pris bien qu’elle n’était pas tout à fait d’accord avec ma façon de faire. Elle voulait que je m’habille propre mais je ne me posais pas autant de questions, j’étais juste moi-même » convient-il avec modestie. D’audition en audition ; de succès en succès, Chraz est repéré par Jacques Maillot, chansonnier et homme de radio collaborant notamment avec Philippe Bouvard dans “Les Grosses têtes”.

Cette première rencontre est une aubaine pour cet humoriste en herbe, directement propulsé sur la scène du “Caveau de la République”, un célèbre cabaret parisien. « C’est là où j’ai rencontré Laurent Ruquier qui m’a fait venir un peu plus tard dans son émission “Rien à cirer” sur France Inter ». Bien qu’ayant durée quelques années, la collaboration entre les deux hommes ne se prolongera guère. « Nous n’étions pas sur la même longueur d’ondes même si le mec a des bons côtés.  Chacun était dans son monde. Moi, j’étais un plouc de la campagne. Lui, voulait à tout prix réussir. Il avait ce côté commerçant qui n’était pas le mien ».

 

« La liberté dépend de la longueur de la chaîne. Dès qu’elle fait dix centimètres, ça me fait déjà long »

 

Plutôt instinctif, Chraz n’est pas le genre de mec prêt à faire des concessions pour réussir. Il ne cherche pas à calculer la portée de ses actes. Sans plan de carrière en tête, il se contente de vivre au jour le jour, attaché à son indépendance. « J’ai toujours la rage, c’est ce qui me permet d’écrire ». Profondément dissident, Chraz le concède : « La liberté dépend de la longueur de la chaîne. Dès qu’elle fait dix centimètres, ça me fait déjà long ». Derrière l’humour, cette phrase en dit long sur le personnage arborant fièrement la moustache du « gaulois réfractaire », n’en déplaise à certains.

Surtout, son truc à lui, c’est les copains, raison pour laquelle il créé en 1997 “La Baie des Singes”, une salle de spectacle destinée à ses potes humoristes de passage en Auvergne. « L’idée, c’était de faire passer des mecs pas très connus médiatiquement comme Christophe Alévêque, Laurent Violet, Albert Meslay. Mon truc, c’est les amis. Les inviter et faire la fête, c’est ça la base de ma vie ». Des plaisirs simples en somme auxquels il n’entend guère renoncer.

©Franck Dhumes

Dans les années 2000, sa carrière radiophonique se poursuit localement, notamment sur France Bleu Auvergne, dans l’émission “Mieux qu’à Paris” aux côtés de Jean Marc Millanvoye. Parallèlement, il enchaîne spectacle sur spectacle. Pourtant, ce boulimique de l’humour et du travail bien fait déclare humblement qu’il a trouvé la combine pour gagner sa vie sans trop se forcer. « Même si t’es mal payé, payé pour dire des conneries, je trouve ça déjà génial par rapport à mes grands-parents qui bossaient à la mine. Et puis, je n’ai pas à me plaindre, je survis ».

Eternellement libre, il a opté un “humour marginal” pour affronter l’aigreur de la vie… Peut-être pas le plus vendeur mais certainement le plus indispensable pour le commun des mortels. D’ailleurs, d’après lui, il n’existe qu’un seul humour, à distinguer du comique : « Le comique suscite le rire ; l’humour associe le rire à la réflexion ».

Cet amoureux de Pierre Desproges ou de Pierre Doris défend avec ferveur un humour social basé sur le jeu d’idées. « L’humour, c’est comme la philosophie. Le seul but de la philosophie, c’est de résister à la mort ; c’est vital. C’est un filtre de la vie. Même d’un truc pourri, tu peux en rire ». Finalement, nous pouvons rire de tout et avec tout le monde… et surtout avec tout le monde « en faisant chier ceux que ça emmerde ».

 

Pilier de l'humour auvergnat, Chraz est actuellement sur scène (cliquez sur le lien pour accéder à son site internet) avec quatre de ses spectacles : “Finissons-en avec les pauvres” (« un spectacle de droite pour un public de gauche ») ; “Chantons sous la pluie... de bombes” (« concert du groupe “Pas piqué des hannetons” ») ; “ Euh...” ( « un spectacle d'humour cosmique dès 13 ans ») ; “La Josiane et moi” (« un spectacle de plouc fiction dès 13 ans »).
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