Défaire le capitalisme, refaire la démocratie : le délibéralisme présenté en ouvrage scientifique.

Le 15 mars 2020, Eric Dacheux et Daniel Goujon, deux chercheurs universitaires, publient un livre sur le délibéralisme aux édition Érès. L'un est expert en politique tandis que l'autre est spécialiste des sciences économiques. Dans leur ouvrage, ils synthétisent de nombreux travaux réalisés depuis 20 ans. Il y exposent les idées qui émergent, les solutions au libéralisme qui existent déjà, comme l'économie sociale et solidaire.

Un constat de départ : les limites du capitalisme …

Cet ouvrage souhaite présenter les alternatives au système libéral et capitaliste. Pour cela, il faut tout d’abord montrer ses limites. Trois impasses ont été analysées par les deux chercheurs. « La première limite se trouve au niveau de l’écologie : une croissance infinie sur des ressources finies, ce n’est pas possible. » expose Éric Dacheux.

La seconde impasse se situe au niveau économique : « On tombe de crise en crise économique. Le capitalisme impose la concurrence, la dépendance à la consommation. On est dans une optique de réduction des coûts, tout doit être rentable. Or, cela ne marche plus comme le fait qu’on supprime des lits dans les hôpitaux au lieu d’investir dans notre santé pour sortir de la crise sanitaire. Les pauvres s’appauvrissent tandis que les riches deviennent plus riches. Bernard Arnault a gagné 95 milliards de dollars en un an. Le capitalisme ne réduit plus les inégalités, il les creuse. » Pour Eric, le capitalisme détruit l’entraide et la solidarité et donc la production de richesses partagées, comme les services publics.

Enfin, le capitalisme résulte à une impasse démocratique. « C’est l’impasse la moins visible. Le capitalisme s’oppose à la démocratie, nous avons déjà l’exemple de la Chine. Le capitalisme détruit la démocratie en détruisant l’égalité, la liberté du salarié. On constate que les droits de l’Homme sont en recul partout pour donner du pouvoir à l’économie. La liberté individuelle est remplacée par la liberté d’entreprendre. » poursuit le professeur d’université.

Vers un nouveau système : l’économie sociale et solidaire.

Face à aux dangers du capitalisme, une autre pratique de l’économie est possible selon les auteurs de l’ouvrage. « On peut gérer démocratiquement une entreprise, les monnaies, etc. Il nous faut un système basé sur l’entraide, la discussion, le partage, comme pour les habitats participatif par exemple. » décrit Eric. « Dans l’ouvrage, nous partons de la réalité, d’exemples concrets, pour construire une théorie économique. Et non pas l’inverse, comme il a été fait auparavant. »

Pour cela, il faut établir une démocratie radicale, « nourrir le débat public avec des visions du monde rigoureuses, audacieuses, inédites. Il nous faut tout de même des notions rigoureuses dans le sens où si on pense que le dérèglement climatique n’existe pas, on ne peut pas résoudre ce problème. Il faut avoir des connaissances vérifiées, reconnues. » explique Eric. Mais qu’est-ce qu’une démocratie radicale ? « Ça ne rime pas avec démocratie directe. C’est surtout imposer un débat qui ne s’applique pas aujourd’hui. Il faut réformer la représentation et dépasser la démocratie libérale pour qu’elle devienne participative. » poursuit-il. Par exemple, une démocratie radicale aurait permis à chacun de s’exprimer sur la manière de gérer la crise sanitaire. Pour les auteurs, les principaux concernés par chaque sujet de débat devront pouvoir faire des propositions : « Les professeurs doivent pouvoir participer à la politique de l’Education Nationale, les étudiants doivent pouvoir s’investir dans les politiques de leurs universités etc. » Des mandats alternatifs peuvent aussi être imaginés : « on peut obliger les politiques à n’effectuer qu’un seul mandat. »

Créer une démocratie radicale signifierait créer une intelligence collective et lui faire confiance. Pour résumer, « Il faut se mettre autour d’une table, s’engueuler et construire quelque chose autour de nos désaccords. Prendre en compte chaque proposition. » Etablir une démocratie radicale, c’est donc aussi définir nos valeurs ensemble : « Qu’est-ce qui a de l’importance pour nous ? L’oxygène, la solidarité, etc. Et la démocratie ne doit pas se détacher de l’économie. Le citoyen est assez intelligent pour choisir son président mais pas pour choisir son PDG ? Non, il faut savoir débattre et décider tous ensemble ».

Déconstruire les notions attachées au capitalisme

Mais comment déconstruire toutes les normes ancrées par ce système économique : la concurrence, la propriété privée, les bénéfices, la consommation ? Pour Éric, cela passe évidemment par l’éducation, l’instruction civique. « On doit apprendre aux enfants la coopération, montrer concrètement comment marche l’économie sociale et solidaire pour qu’eux même baignent là dedans par la suite ». Au niveau de l’éducation, Eric expose aussi le rôle du journaliste : « Il faut arrêter d’inviter toujours les même spécialistes, qui ont tous le même point de vue sur le sujet. Il faut varier les invités, et ne pas proposer le débat à des économistes, politologues ou « experts ». Il faut que les citoyens puissent participer au débat d’idées. »

Mais pour développer un nouveau système, il faut d’abord « expérimenter. Si on veut vérifier que ça marche, il faut tester et donc il faut y mettre les moyens. Il faut investir dans ce nouveau type d’économie. On voit bien que les AMAP c’est possible, que les monnaies locales c’est pas si compliqué à mettre en place. Quand on est dans un tiers-lieu, quand on va dans des ateliers etc. on constate que ce n’est pas si difficile de réparer sa machine à coudre, de réutiliser des objets, d’apprendre à être un peu plus autonomes. » explique Eric.

Pour lui, ce changement des mentalités est déjà en marche. « On a déjà des budgets participatifs au niveau local, de la métropole, et donc on peut le généraliser au niveau national. On a aussi un plan d’économie sociale et solidaire à Clermont-Ferrand. Il existe un un réseau de tiers lieux comme Lieu’topie, le café des augustes … Il y a une évolution globale. Les gens prennent conscience qu’il faut changer nos pratiques et feront pression sur la politique même si c’est très lent. Les outils existent mais il faut les généraliser. C’est pour ça que les actions de chacun vers ces nouveaux modes de fonctionnement sont importantes et participent à ça. »

Pour les auteurs du livre, il n’est pas question ici de changer brutalement de système ou de faire la révolution. « On doit construire un système en partant de ce que l’on connait déjà et en débattant. Ça doit être progressif. Le but n’est pas de dire que c’est l’économie sociale et solidaire qui est la vérité mais de trouver des solutions ensemble et de dire que certaines choses différentes existent déjà. »

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