De la Roumanie à la France : Le parcours d’une étudiante de médecine

Marion Bertin est arrivée début novembre en stage à l’hôpital d’Issoire. Après avoir étudié six ans en Roumanie, elle a débuté ses stages en France en tant qu’interne en médecine générale en 2018 et devrait finir son internat d’ici un an et demi. Retour sur son parcours, ses peurs, ses espoirs, ses réussites et la manière dont elle voit son métier.

Marion vit dans une colocation de quatre personnes, qu’elle a décorée avec des plantes, des bougies, des cartes postales de voyages mais aussi des cartes humoristiques en référence à la médecine. Dans le couloir, sur le frigo, on peut voir des jeux de mots médicaux représentés par des dessins : « Phare Yngite », représentant un phare ayant la maladie décrite. Installée dans un gros fauteuil rouge de son salon, Marion a une voix posée, calme, presque grave, qui met en confiance. : « J’ai choisi médecine car je veux travailler au contact de l’humain et parce que c’est un métier varié, où on apprend tout le temps, où tous les cas sont uniques. On peut faire plein de spécialités différentes. Par contre, je n’avais pas mesuré la longueur des études quand je me suis lancée là-dedans ! » dit-elle en s’étirant à la fin, pour montrer son épuisement après 8 ans d’études.

Marion s’oriente donc vers la médecine en partant pour une première année de fac à Montpellier : « J’avais commencé par une prépa l’été et déjà je trouvais que c’était beaucoup, je n’arrivais pas du tout avec la masse de connaissances à acquérir, par cœur en plus. Arrivée à Montpellier, je me suis installée dans un foyer de bonnes sœurs, j’avais une toute petite chambre. Elles nous faisaient à manger et ça me permettait de me concentrer sur mes études. Les premiers jours à la fac, on a reçu la pression des anciens. J’ai très vite déprimé, j’essayais de réviser en me levant à 7h30, en essayant de bosser jusqu’à 22h. J’avais pas un moment pour moi, parfois je me mettais à pleurer nerveusement, comme ça. Plein de fois je me suis demandé : « Qu’est-ce que je peux faire d’autre ? Mais qu’est-ce que je fous là ? » Mais même si je rêvais de partir en retraire bouddhiste, je ne me voyais finalement pas faire autre chose. » plaisante-t-elle en relatant les péripéties de son parcours. « Le jour des résultats d’examens, j’étais dans ma toute petite chambre et je me vois à la position 1789. Je pouvais pas faire plus nul comme classement, on était une promo de 2300 élèves et ceux arrivés en dessous de moi, ce sont ceux qui n’étaient jamais allés aux cours ! J’étais dégoûtée, en plus 1789 me rappelle les dates et ma hantise de l’histoire ! Ensuite, on a eu un deuxième concours en juin, je suis arrivée 900 cette fois-ci, mais ils ne prennent que les 200 premiers. Pendant tout ce temps, et même encore aujourd’hui, je ne savais pas comment apprendre aussi vite une telle quantité de connaissances, j’ai essayé plein de techniques, j’ai changé de chambre car les voisines faisaient du bruit, j’accrochais mes fiches de révision sur les murs en me disant « Si je les vois tout le temps, peut-être que ça va rentrer ?… » Je pense que c’était surtout un manque de confiance. Finalement, ma mère s’est dit qu’il fallait trouver autre chose, moi j’étais perdue et on connaissait des gens à Perpignan qui nous ont parlé des études en Roumanie. Ma détermination était tellement forte que les frontières ne m’ont pas freiné !« 

Et c’est là que commence une aventure de six ans pour Marion, qui arrive dans un pays étranger, où elle doit s’adapter à la culture, à la langue, loin de ses repères et sa famille : « En Roumanie, j’avais des cours en français, car la Roumanie a été francophone par le passé ! Mais les stages et certains cours en fin d’étude se faisaient en roumain. J’ai donc quand même dû me forcer à apprendre les bases du roumain, moi qui ai horreur des langues ! Pendant les stages, on avait juste le droit d’observer à l’hôpital donc je n’arrivais pas appliquer mes cours théoriques à la réalité, on ne faisait pas partie prenante de la prise en charge des patients. Les médecins n’avaient pas forcément le temps de nous expliquer ce qu’ils faisaient et pourquoi. » En plus de ses difficultés d’adaptation et d’apprentissage, l’étudiante en médecine doit faire face au jugement de ses semblables : « On payait l’université, vu qu’on était étrangers, alors que les roumains non, donc ils pensaient qu’on venait acheter notre diplôme. Qu’on avait choisi la facilité quoi. J’ai aussi eu envie d’arrêter quand j’étais là-bas. Je me demandais ce que j’allais faire. Mais je n’avais pas envie de gâcher quatre ans d’études, en plus mes parents avaient investi de l’argent pour que je parte en Roumanie, pour payer mes études etc. Je me posais plein de questions, je ne voulais pas abandonner mais je me demandais si j’avais les capacités de faire ça. Ce qui m’a fait tenir, c’est que c’était un dépassement de soi, un défi et je savais que je voulais faire médecine générale parce que je pouvais faire beaucoup de choses différentes dans cette spécialité. On a passé un concours en 6ème année et on s’est spécialisés après, donc j’ai pris cette option » , conclut-elle, fière du chemin parcouru, bien que semé d’embûches ! Malgré tout, Marion garde un bon souvenir de la Roumanie : « On s’entraidait beaucoup entre nous, il y’avait moins de pression et de rivalités qu’en France. Et j’ai quand même pu voyager, visiter, sortir de ma zone de confort, m’ouvrir l’esprit. Je sortais beaucoup, je faisais du sport pour évacuer, et surtout j’ai appris à me débrouiller seule. J’ai beaucoup mûri en partant.« 

De retour en France, l’étudiante qui doit faire encore 3 ans d’études pratiques en six stages de six mois, ne reçoit pas un accueil plus amical : « Nous, les étudiants partis en Roumanie, on est hyper mal vus en France, comme il n’y a pas de concours en 1ère année là-bas, les médecins français considèrent que c’est plus facile, qu’on passe par les coulisses. Même si les stages sont moins bien en Roumanie pour la pratique, on rattrape assez vite. J’ai donc fait mon premier stage en France près de la forêt de Tronçais, à 1h30 de Clermont-Ferrand. J’étais dans un coin paumé avec deux médecins. Le premier était sympa mais ne prenait pas les internes qui faisaient leur premier stage, il était habitué à avoir des étudiants plus expérimentés. La deuxième n’était pas du tout sympa, elle m’a vraiment marquée, un vrai dragon, comme je l’appelle encore. Dès la première semaine de stage elle m’a dit : « t’as carrément pas le niveau, t’as un mois pour progresser sinon faudra faire quelque chose. » Bon, déjà j’ai paniqué. Une semaine après elle m’annonce : « Je t’ai signalé au DMG (Département de Médecine Générale), ils vont te convoquer, tu vas devoir aller à Clermont-Ferrand ». Je me suis dit, « purée, d’accord, je pensais arriver en France et prendre confiance en moi en progressant tranquillement, ben pas du tout ». J’ai eu de nouveau une grosse remise en question. Et puis elle était stridente, agressive, elle m’engueulait devant les patients en mode « tu sais pas ça, tu sais pas ça, c’est pas le niveau de 7ème année ça, mais celui de 4ème année ». Quand je lui ai dit que ça me faisait de la peine, elle m’a simplement répondu qu’elle était comme ça. Bon. Au final, je suis allée à la convocation à Clermont-Ferrand, le comité a vu que j’étais intéressée, motivée, que durant mes études en Roumanie, j’avais fait des stages à Madagascar, en France, dans plusieurs types de spécialités etc. Ils m’ont dit « tu vas y arriver, prend le temps qu’il faut ». Ça m’a beaucoup aidée. On a aussi des tuteurs en dehors des stages qui nous suivent durant les trois années et ma tutrice m’a soutenue. Bon même si le dragon m’a finalement fait redoubler, elle m’a quand même dit que j’avais progressé durant le stage. »

Face à cet échec, Marion songe à la médecine du travail. Option qu’elle balaye rapidement car elle ne souhaite pas être dirigée par des patrons d’entreprise ou travailler dans un domaine qui limite ses expériences en médecine, qui ne permet pas forcément de découvrir de nouvelles pathologies. Elle ne perd donc pas courage et effectue trois autres stages avec brio : « J’en ai fait un aux urgences de Montluçon, puis chez des médecins généralistes et un en gynécologie et pédiatrie. Maintenant je ne dis plus que je viens de Roumanie. Sauf s’ils me demandent évidemment. » Aujourd’hui au centre hospitalier d’Issoire depuis début novembre, son stage concerne la médecine polyvalente : « Sauf quand je suis de garde, je m’occupe aussi des urgences et des étages. Même quand je ne connais pas les patients, je dois les examiner et les traiter. Je travaille de 8h30 à 18h30 sauf si je suis de garde, où là je fait 24h d’affilée. On a une garde par semaine environ, trois à quatre gardes par mois. En parallèle du stage, je fait un DIU (Diplôme Interuniversitaire) en acupuncture, un vendredi et samedi entier par mois. Ça se passe en visio à cause du Covid, normalement mes cours sont à Paris, mais j’ai aussi une prof avec qui je m’entraîne dans la pratique à Moulins. » Malgré tout, « Je me sens toujours différente des internes français, je ne me suis fait que deux amis internes français depuis ma venue en France. J’ai toujours peur d’être différente d’eux, de ne pas être au niveau.« 

Car Marion a une idée très précise de son rêve de médecin : « Moi je veux être dans une maison médicale, en équipe, je veux pouvoir choisir mon orientation, mes horaires, je ne veux pas être dirigée. Et surtout, je veux allier médecine classique et médecine parallèle, je veux pouvoir prendre le temps, pas de consultation en 10 minutes top chrono ! Je veux prendre le temps de connaître mes patients, instaurer une confiance entre nous. Je veux avoir des patients de tous les âges, ça, je kiffe trop !  Mon ancienne maître de stage travaille 2 jours et demi par semaine, comme quoi c’est possible de coïncider vie privée et vie professionnelle. Je veux être en équipe pour qu’on se soutienne, que quand je m’absente, ils s’occupent de mes patients et inversement. »

La future médecin a aussi vécu les deux confinements en tant que stagiaire : « Pendant la première crise, j’étais à la fois chez des médecins généralistes à Clermont-Ferrand et en cabinet libéral à Cunlhat, un jour sur deux. On avait beaucoup de consultations en visio mais je ne trouve pas ce système efficace : les patients n’étaient pas convaincus, en confiance, ils appliquaient moins bien le traitement donné et puis tu peux quand même passer à côté de quelque chose de grave. Selon les cas, ce n’est pas une bonne solution. A Cunlhat, on pouvait se fournir en masques dans les pharmacies, jusqu’à 15 à 20 masques chacun. On m’a demandé d’aller en chercher à Clermont-Ferrand, car nous n’en avions plus. Ils n’avaient plus de stock pour les médecins mais continuaient à en vendre à des non médecins ! Maintenant que je suis à Issoire, ils veulent qu’un interne de médecine poly descende en service Covid, j’y serais sûrement. Je veux bien aider mais je ne veux pas faire que ça de mes journées, je veux aussi apprendre dans d’autres services. Mais le Covid ne change pas grand chose actuellement pour moi à part que beaucoup moins de gens viennent aux urgences pour rien. Personnellement, je pense qu’il faut faire attention mais savoir relativiser aussi, ne pas tomber dans l’anxiété.« 


À lire également

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Marion, au Tac-au-Tac :


- Une couleur : le bleu
- Un verbe : "Partager"
- Un musicien : Worakls orchestra
- Un livre : "L'échec" de Charles Pépin
- Un film : "Into the wild"
- Un animal : Le loup
- Un sport : L'athlétisme
- Un plat : les tomates farcies !
- Une destination rêvée : Le Pérou
- Une devise : "Ne rien lâcher"
- Un hobby : J'adore manger du yahourt avec du miel et des graines en écoutant de la musique
- Votre grande qualité : la loyauté ?
- Votre grand défaut : Je suis trop cérébrale, j'intellectualise tous les comportements.
- Une qualité qui vous plait chez les autres : La bienveillance
- Un défaut insuportable : Les gens hautains, prétentieux
- Une définition du bonheur : La simplicité et le lâcher prise.

retrouvez-nous sur :

À propos de cet article

Publié le 23 novembre 2020
Écrit par Laura Massip

Nos derniers articles

L'agenda du cactus

Pas d'événement actuellement programmé.

Partager l'article

Partager sur facebook
Facebook
Partager sur email
Email
Cet article vous a plu ?

Soutenez le Cactus !

Le journalisme a un coût, et le Cactus dépend de vous pour sa survie. Il suffit d’un clic pour soutenir la presse indépendante de votre région. Tous les dons sont déductibles de vos impôts à hauteur de 66% : un don de 50€ ne vous coûte ainsi que 17€.