Laurent Alleaume « Je fais la grève de la faim pour rendre visibles ceux que l’on a gommés… »

16ème jour de grève aujourd’hui pour Laurent qui dénonce la maltraitance que l’État inflige aux personnes en situation de handicap. Depuis son cancer du poumon en 2014, Laurent a décidé de porter ce combat au plus grand nombre. Portrait.

 

Laurent parle vite et bien. Impossible de se dire qu’il n’a pas mangé depuis 2 semaines. Animé par la révolte et la colère, l’homme parle sans penser à reprendre sa respiration : « Je fais partie de ceux qui s’en sont tirés…un cancer du poumon qui s’opère et se soigne. Je n’ai plus qu’un seul poumon donc je suis en sursis…Mais je me suis dit après cette expérience qu’il fallait que je donne un sens à ma vie et que je porte mes combats ».

En insuffisance respiratoire, Laurent est reconnu handicapé. Un handicapé invisible qui perçoit 860 euros d’AAH ( Allocation Adulte Handicapé) . « En gros lorsque je fais un plein de ma voiture, j’ai usé un plein de ma voiture. Donc quand tu as payé ton loyer, ton eau, et tout le reste, tu ne vis pas… ».

Laurent n’a jamais été de ceux qui vivent très aisément. A son compte, il gagnait sa croûte en étant “aide à la personne”, bricolage, ménage. Il a vécu une petite période de chômage puis après un retour à l’emploi, on lui annonce qu’il a une tumeur de 6 cm dans le poumon. Chimio’, aplasie, chambre stérile, pour cet homme qui se considère comme illettré ; l’aventure est rude. Mais au bout de longs mois, il revient chez lui sur la commune de Lisseuil dans le Puy-de-Dôme.

En 2018, avec son amie, il décide de faire une marche jusqu’à Paris pour dénoncer le traitement réservé aux handicapés en France. Mais il ne sera pas reçu, même pas dans la moindre petite mairie. Il rentre en septembre 2018, un peu déprimé.

C’est le mouvement des Gilets Jaunes qui lui redonne une vie sociale. Là, il découvre une certaine solidarité, il peut parler de ce qu’il vit et ressent. Car, Laurent a une vision très claire de ce qu’il veut : « Certaines grosses associations vivent sur le dos du handicap, font semblant de porter nos revendications auprès du gouvernement. Mais c’est faux… ». Laurent préfère se rapprocher des petites structures et veut devenir une sorte de passerelle entre les unes et les autres ! « Il y a Fauteuil Jaunes”, ou “accessibilité pour tous”,  et bien leur dire à eux d’écrire leurs doléances et de se réunir, moi je ne veux qu’ouvrir une porte, être le lien mais je ne veux rien m’accaparer… ».

Pour Laurent, les revendications doivent porter sur les revenus : « En gros, tu touches 860 euros d’AAH, si tu vis seul ou avec quelqu’un de pauvre. Mais si ton conjoint gagne très bien sa vie, tu ne touches rien. Alors déjà que quand on est handicapé on est dépendant, mais là on devient aussi dépendant financièrement. Comme si nous n’étions plus des individus à part entière…On nous parle de la solidarité nationale, mais en fait, l’État s’appuie sur la solidarité familiale… ».

Quand on lui murmure que E. Macron a pourtant déclaré le handicap comme priorité nationale, Laurent s’agace un tantinet : « On a eu 41 euros d’augmentation en décembre 2018, puis on aura 40 euros en décembre 2019. Il faudrait qu’on l’applaudisse des deux mains. Comme si c’était un effort surhumain, sauf que les policiers ont eu une augmentation de 150 euros tout de suite, sans étalonnage sur plusieurs années et sans que ça passe en commission. La preuve que s’il voulait, il pourrait… ». Laurent explique aussi que la CAF qui verse l’AAH  est parfois débordée et ne sait pas pourquoi certains mois, on perçoit moins que d’autres. « Personne ne répond à nos demandes ».

Laurent voudrait une société plus inclusive, « que l’on puisse payer des impôts et participer à la société ». Mais pour cela, il faut trouver du travail. Si les quotas dans les entreprises sont obligatoires en terme de recrutement de personnes en situation de handicap, les façons de faire restent discriminantes. « Nous n’avons que des sous-postes avec des tuteurs. Aucun poste à responsabilité. Pourtant, je reste persuadé que le handicap peut être une richesse. Nous sommes la preuve, que la vie est plus forte que tout… ».

Concernant les logements, là aussi Laurent n’est pas en reste pour dénoncer une politique hypocrite. «  On demande aux magasins de se mettre aux normes, mais l’État ne fait rien pour que ce soit réalisable. Ici, nous avions une pharmacie à 4 kms, qui a été obligée de fermer car elle n’avait pas les moyens de se mettre aux normes. L’État ne lui a pas filé de coup de main. Résultat, notre pharmacie la plus proche est désormais à plus de 20 kilomètres… ».

Laurent va même plus loin, au même titre que pour financer la vieillesse, un jour de travail a été décrété, il propose que le handicap soit financé par les entreprises du CAC 40 qui verseraient un pourcentage de leur bénéfice. « Je ne suis pas jaloux de ceux qui gagnent de l’argent, mais je crois qu’il faut les mettre à contribution… ».

Enfin, Laurent ne le sait que trop, difficile d’être visible quand on est en situation de handicap. Parfois, on est en soin, à l’hôpital, parfois, on est trop faible. « Il faudrait que soit reconnu le droit à la représentation. Par exemple en manif, on ne peut pas toujours être présent, mais on voudrait bien, on voudrait compter parmi les manifestants».

Certains politiques vont dans son sens, selon lui, le député André Chassaigne qui a fait beaucoup pour les personnes en situation de Handicap et Ruffin avec son film  “Je veux du soleil” . Mais, Laurent préfère ne compter que sur lui-même et entame courageusement son 16 ème jour de grève de la faim.

Car il ne lâchera rien.

Il a d’ailleurs acheté un fauteuil roulant, 70 euros sur le Boncoin, pour pouvoir continuer à aller en manif…  « Je n’en ai loupé aucune, et je continuerai à y aller tous les samedis…coûte que coûte… ».

 

 

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1 réflexion sur “Laurent Alleaume « Je fais la grève de la faim pour rendre visibles ceux que l’on a gommés… »”

  1. De tout cœur avec toi , je suis moi même handicapée à plus de 80% et je me bat contre un cancer …l’état nous a abandonné et nous cache …on peine à survivre SOUS le seuil de pauvreté … C’est la misère financière en plus de la misère médicale …on est rien …
    À chaque élection on utilise les handicapées , on fait croire qu’on leurs vient en aide , mais c’est faux …que des effets d’annonces …
    On survie , on a du mal à se loger, pas de loisirs ( à part association pour ce donner bonne conscience et obtenir des subventions )
    C’est un scandale, de la maltraitance et rien d’autre

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