Il y a du monde, en ce début d’après-midi. À 14 heures, sous un soleil voilé de nuages, des citoyens, des journalistes, élus, membres d’associations et de collectifs prennent place sur les chaises disposées pour l’occasion dans la salle Abbé Prévost, situé dans la rue du même nom, dans le quartier de La Glacière, à Clermont-Ferrand.
Derrière les longues tables dépliées, Adrien Thepot du Secours Populaire 63, des bénévoles de l’association, mais aussi un ancien médecin généraliste, le docteur et professeur Jean Perriot et même un chef d’établissement à la retraite ont organisé le rendez-vous.
Ensemble, ces derniers ont rappelé la situation dans laquelle sont plongés des centaines de personnes. Les conséquences de la rue ont été abordées, sur le quotidien mais aussi en termes d’éducation, de santé, de sécurité.
Une pincée de zèle
Depuis quelques semaines, les hôtels sociaux et hébergements d’urgence sont peu à peu évacués. Ordre de la préfecture. En ligne de mire, les personnes étrangères. Si les consignes sont de plus en plus assumées depuis la loi Immigration portée par Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, en fin d’année dernière, nombreux sont les locaux du Puy-de-Dôme à s’accorder sur le zèle orchestré par la préfecture du département et ses différents locataires.
Mercredi 3 avril, un rassemblement avait lieu sur les marches de la préfecture. La délégation reçue par les équipes préfectorales avoue que les discussions furent inutiles face au déni de leurs hôtes. Pourtant depuis, les mises à la rue sont moindres. Il faut dire que de nombreux élus sont montés au créneau, dont plusieurs de la majorité municipale clermontoise. Des expulsions ralenties oui mais pour combien de temps ?
Situation inédite
« Des familles, femmes enceintes, personnes atteintes d’un cancer ne sont plus considérées comme des situations urgentes », explique Adrien Thepot du Secours Populaire durant la conférence de presse. « Quelle-est la stratégie de l’État à court, moyen et long terme ? », se questionne ce dernier. Une chose est sûre, à court terme, les associations saturent. Depuis le 1er janvier 2024, le Secours Populaire a déboursé 25.000€ pour héberger des personnes en hôtel. « Pour la première fois depuis des années, le Secours Populaire se retrouve dans l’incapacité d’apporter son soutien et ça, ça doit tous nous alerter collectivement », déplore Charles Dubreuil, élu municipal, professeur de droit public, Directeur de la Clinique des droits et bénévole au sein de l’association.
Aux grands maux les grands moyens. « On connaît le risque sanitaire, social, sécuritaire d’un campement mais peut-être que ça fera réagir », lance Adrien Thepot, comme un coup de marteau, à l’auditoire. Rendez-vous dans quelques heures.
Le serpent qui se mordait la queue
Marianne Maximi prend succinctement la parole. La députée du Puy-de-Dôme se souvient de la place de Jaude en 2013, de la fac et du 1er mai en 2018. « L’État et la préfecture fabriquent quotidiennement des personnes en situation irrégulière ! », gronde l’élue. Après une rencontre avec le préfet dernièrement, cette dernière avance le chiffre de 8000 dossiers en retard au service des droits des étrangers.
Ainsi, des personnes en situation régulière ne voient pas leurs titres de séjour renouvelés. Des emplois sont perdus. Des demandes de titre ne sont pas traitées. Et du côté du tribunal administratif, même combat. Celui de Clermont-Ferrand figure parmi les plus sévère du pays. Les recours sont systématiquement rejetés au même titre que l’aide juridictionnelle. De la précarisation continuelle. Une situation totalement bloquée et qui empire. La préfecture ne fait rien pour améliorer les évènements catastrophiques qu’elle a elle-même orchestré.
1er Mai
Ce soir, à 18h30, les locaux du Secours Populaire sont en ébullition. On prépare tout avant le grand départ. À 19h, les camionnettes se mettent en route. Près de 400 personnes pourraient être concernées par les expulsions prochainement. Plus d’une centaine le sont déjà. On ne peut plus attendre.
Rendez-vous à 1er Mai. À 19h10, nous y sommes. Avant de sortir notre carnet de notes, on décharge quelques tables et des palettes. Quelqu’un nous demande si on peut planter les sardines d’une tente à peine posée. Le sol est un peu dur. Ça fait mal aux mains. On croise beaucoup de connaissances.
Ce campement n’est pas organisé par le Secours Populaire, un parti politique, le RESF, la Cimade ou une autre association. Ici, tout le monde a retiré sa casquette et tout le monde est un habitant, une habitante, un citoyen, une citoyenne.
Tout à l’heure, il y aura une réunion d’information. Des gens tiennent un registre de matériel prêté. On retrouve les personnes à qui on a donné un coup de main. « On fait partie d’un village dans le Livradois qui fait de l’accueil solidaire. On a appris il y a une demi-heure qu’il n’y avait pas de toilettes donc là on fait des toilettes sèches », explique un des bricoleurs. Si pour l’heure, le ciel est bleu, du vent est annoncé dès cette nuit.
Case départ
On aperçoit une femme enceinte. Beaucoup d’enfants, parfois très jeunes. Au total, une petite centaine de personnes sont là. « On attendait 82 personnes mises à la rue mais toutes ne sont pas venues. Certaines ne veulent pas être rendues visibles. Ça fera sûrement effet boule de neige plus tard », confie un membre du Collectif Citoyens Solidaires. Lors de la conférence de presse, le Secours Populaire recensait 17 familles et 33 enfants. Ici, s’installent aussi des demandeurs d’asiles normalement protégés par le droit. On compte même quelques personnes ayant le statut de réfugiés. Pour tout le monde, après la traversée de nombreuses épreuves, c’est retour à la case départ.
« Il faut vivre ensemble »
Une maman discute avec une militante. Elle est albanaise et est arrivée en France en 2022 avec son mari et ses trois enfants. C’était un 4 septembre. En arrivant, ça a été l’épreuve de la rue. Près de 100 jours à dormir dehors et des menaces au couteau lors d’une tentative de vol nocturne. 100 jours lors desquels les parents se relayaient pour dormir. Une fatigue que l’on imagine difficilement. Imagine-t-on celle des enfants qui vont à l’école après avoir dormir dehors ou dans une tente ? La petite famille a ensuite été trimballée d’hôtel en hôtel.
C’est hier même qu’elle a été expulsée. Maintenant, ça sera l’épreuve de la rue à nouveau. « Le 115 a dit plus de maison, rien. On peut rien faire pour vous, désolé. Mais bon, c’est mieux de dormir dans des tentes que dehors comme des chiens », nous dit la petite A., 8 ans et demi. Demain matin, elle retournera dans son école de centre-ville. Son grand frère est au collège Jeanne d’Arc. « Hier, j’ai dormi à minuit et je me suis réveillé à 5 heures pour aider mes parents à faire les valises. À l’école j’ai eu mal à la tête, j’étais fatigué. »
Malgré tout, ça fait une heure qu’on voit le jeune homme faire le tour du campement. Il traduit pour les journalistes et aide les autres à monter les tentes. « C’est normal d’aider puisqu’il faut vivre ensemble », lance-t-il, sourire aux lèvres.
A.A n’a pas la même flamme dans les yeux. Le père de famille est fatigué. Il est en France avec sa femme et ses deux fillettes. Malgré un appartement à Clermont, il a été déplacé à Saint-Flour puis débouté du droit d’asile. Après son retour ici, on lui a dit qu’il serait impossible d’obtenir un titre de séjour car il venait d’un autre département. « We are trying and we will see » (on essaie et on verra bien), nous lance ce dernier, dans un anglais un peu meilleur que le nôtre.
« Ce sont des choix politiques conscients et délibérés. J’ai fait ma formation militante aux côtés des étrangers. J’ai toujours été frappée par les élans de solidarité, la façon dont les gens se reconnaissent sur des critères très humains », positive Marianne Maximi, qui arrive elle aussi à 1er Mai. La nuit se couche. De la musique commence à retentir. Tous espèrent ne pas être là pour trop longtemps.