« J’ai eu l’impression qu’ils prenaient vraiment du plaisir » : une lycéenne frappée par la BAC pour une photo

La manifestation lycéenne de jeudi dernier a été durement réprimée. Au plus fort de la répression, une manifestante de 18 ans est violentée pour avoir photographié une arrestation. Courageuse, la jeune femme a accepté de nous raconter cette scène.

C’est arrivé à quel moment de la manifestation ?

Quand on était vers le palais de justice. Il y a eu un mouvement de foule, je n’étais pas à côté des autres. Les policiers ont chargé, j’étais dans une rue perpendiculaire, j’étais seule. Un jeune venait de se faire interpeller, j’ai voulu prendre la scène en photo, et apparemment ça n’a pas plus aux policiers.

C’est le jeune garçon qui était étranglé pendant son arrestation ? [voir la photo d’illustration de cet article]

Oui, c’est exactement ça. Et du coup j’ai voulu prendre la scène en photo, sauf que ça ne leur a pas plu [aux policiers]. Ils m’ont couru après alors qu’il n’y avait plus personne dans la rue, j’étais toute seule. Ils m’ont mis à terre et m’ont demandé la photo, je leur ai dit que je la garderais. Bien sûr ça ne leur a pas plu, ils étaient à six sur moi. Ils m’ont insulté de petite pute, de petite salope, de petite chienne… Et j’étais toute seule, il n’y avait personne autour. Une situation pas très chouette… Ils m’ont tapé la tête par terre, ils m’ont étranglée avec mon écharpe. Je leur ai dit que je ne pouvais plus respirer, ils ont continué quand-même.

Quand tu étais déjà à terre ?

Oui. C’était répété. Ils m’ont immobilisé, parce que j’essayais de me débattre. Ils n’ont pas arrêté de me violenter jusqu’à avoir mon téléphone pour pouvoir supprimer les photos. Donc bien sûr je leur ai donné, parce que à force je commençais à avoir un peu mal. Ils ont continué jusqu’à ce que je leur donne, et en partant ils ont jeté mon téléphone par terre en me laissant un peu désarmée… Ils ont supprimé la photo, et une vidéo.

Ils étaient de la BAC [brigade anti-criminalité] ?

Il y avait trois agents de la BAC et trois policiers. Ils m’ont aussi pris en photo quand j’étais par terre. D’une manière un peu ironique, je ne sais pas pourquoi ils ont fait ça, quand j’étais par terre et blessée. Je ne sais pas ce qui s’est passé avec cette photo. On me reproche d’en prendre une, et c’est moi qu’on photographie, quand je suis le plus abattue. C’était une nana de la BAC qui m’a prise en photo. Mais en toute ironie, du genre « moi aussi je peux le faire ». En tout cas, c’est le sentiment que j’ai eu.

Il s’est passé quoi ensuite, ils t’ont arrêtée ?

Non, même pas. C’est ça que je trouve bizarre ! S’ils n’acceptaient pas que je les prenne en photo, ils auraient dû m’embarquer, pas me mettre à terre et me taper dessus. Mais non, ils m’ont encore insultée de tous les noms, et ils m’ont laissée par terre.

Tu as fait quoi après ?

J’ai appelé un copain qui était aussi à la manifestation, et qui m’a rejoint. Je suis retourné dans la manifestation pour revoir un peu leurs visages, me rappeler de leurs têtes s’il y avait quoi que ce soit. Je suis retombé sur un policier qui avait été violent, il m’a dit que je l’avais bien mérité, que j’avais pas à prendre de photos comme ça.

Ils t’ont dit que c’était illégal de les prendre en photo ?

En fait, c’est assez flou. Ils m’ont dit qu’ils étaient dans leur droit, que c’était dans le code pénal ou quelque-chose du genre… Je ne sais pas trop de quoi ils parlaient.

Tu as continué la manifestation jusqu’à la fin ?

Non, parce qu’à la fin c’est devenu un mouvement seulement violent. Le problème, c’est qu’on nous parle de pacifisme et de respect, et moi j’étais totalement dans ce mouvement là, et au final c’est moi qui me suis fait taper dessus.

Après la manifestation, tu as été chez le médecin?

Oui, pour qu’il constate mes blessures corporelles. Et puis… J’ai pas été porter plainte. J’ai des hématomes sur les jambes, sur le front, des griffures…

Tu dis que tu n’as pas été porter plainte. Tu y réfléchis ?

En fait, j’ai peur que ça se retourne contre moi. Même s’il n’y a pas de raison… Je connais quelqu’un qui est dans la police, et qui m’a dit que pendant les manifestations, ce genre de violences n’était pas pris en compte. En encore une fois, vu qu’il n’y avait pas de témoins… J’ai pas trop envie de me retrouver face à des policiers alors leurs collègues m’ont… Je ne sais pas trop, je réfléchis. Je pense qu’il ne faut pas trop que j’attende. Je pense que je vais le faire.

J’ai pris une photo de l’arrestation dont tu parles. C’est les agents qui figurent dessus qui t’ont violentée ?

Le type qui tient le jeune au cou, il est venu me courir après. Celui qui est debout, je ne sais plus… J’étais toute seule, ils étaient à six sur moi. Mais ouais, surtout la BAC, ils ont été vraiment violents dans leurs propos et physiquement.

La manifestation d’aujourd’hui [vendredi 7 décembre], tu n’y a pas participé…

Non, j’ai pas participé. J’ai eu peur que ça recommence, d’être reprise à part et violentée. Pourtant, je manifeste d’une manière complètement calme et pacifiste, je suis ouverte à la discussion… J’ai eu un peu peur, et l’intrusion dans le lycée Blaise Pascal… Il y a trop de violence. Mes amis aussi, ça les a outrés. Encore une fois on nous parle d’avoir du respect, de faire ça sans casser. Au final on se rend compte que quand on est un citoyen qui revendique juste ses droits, sans casser quoi que ce soit, on se fait taper dessus par six personnes.

Tu penses que c’est une stratégie pour effrayer les manifestants, ou plutôt les agents sur le terrain qui ont agi de leur propre chef ?

En fait, j’ai eu l’impression qu’ils prenaient vraiment du plaisir. Apparemment il y a des messages qui circulent chez les policiers, qui disent que toute image doit être contrôlée au maximum, que les photos et vidéos peuvent être utilisées à mauvais escient, qu’ils doivent faire attention à ça. Mais encore une fois, c’est un peu triste de se faire taper dessus pour une simple photo.

J’ai pris et publié une photo de la scène que tu décris, et je n’ai pas eu de problèmes…

Ils ont visé quelqu’un qui était seul, bien sûr ! Ils peuvent pas interdire tout le monde de prendre des photos et des vidéos, et moi qui étais seule j’ai pris. Mais je l’ai vraiment ressenti chez eux comme une sorte de victoire. Ils avaient l’air… Peut-être pas heureux, parce qu’on ne peut pas être heureux de ça, mais… Au mois l’un d’entre eux avait comme un plaisir un peu malsain.

Ça te fait penser que ce genre de violences de la part de ces agents va se reproduire ?

À mon avis oui, c’est même sûr. Ça existe depuis longtemps et ça va continuer d’exister si les choses ne changent pas.

C’est quoi qu’il faudrait changer pour que ça s’arrête ?

Peut-être favoriser la discussion… Encore une fois, si la photo leur avait déplu, ils auraient pu m’embarquer et ça se serait réglé dans un bureau. On ne tape pas quelqu’un pour une photo, où on va ?!

Tu penses que tu vas reprendre le mouvement, ou laisser passer un peu de temps avant de repartir en manifestation ?

Au contraire, ça m’a encore plus remontée ! J’arrêterais pas de revendiquer mes droits, de dire ce que je pense. J’arrêterais pas parce qu’une dizaine de policiers est venue contre moi. Au contraire, ça me révolte !

Tu penses que c’est ce genre de violences qui fait que certains manifestants veulent en découdre avec la police ?

J’y ai réfléchi. J’avais un certain respect pour les forces de l’ordre, qu’elles étaient là pour nous protéger. Ayant vécu ces violences là, je me dis que ce n’est pas ce qui se passe. Ça m’a mis une rage envers eux ! Même s’ils ne sont pas tous comme ça…

Le lendemain, la manifestation est également violemment réprimée. Nous publions ci-dessous le récit de Simon, syndicaliste étudiant, qui raconte l’arrestation de plusieurs jeunes devant le lycée Blaise Pascal.

Vers 10 h 30, le cortège lycéen s’est retrouvé à l’embranchement de la rue Bansas et de l’Avenue Carnot. Les CRS nous attendaient au niveau du bar Le Carnot, et ont balancé du gaz lacrymo pour essayer de disperser la foule. Les personnes devant moi se sont mises à courir en sens inverse, en remontant le rue Bansas direction Delille. Je suis resté quelques minutes pour voir si des personnes étaient blessées ou intoxiquées à cause du gaz. Je suis tombé sur 3 filles qui avaient inhalé beaucoup de gaz, devant l’entrée d’une résidence. J’ai tendu du sérum à deux d’entre elles qui sont parties immédiatement. La troisième était très mal à l’aise, je lui ai dis de se calmer, de tousser, de ne pas se frotter les yeux, etc puis je lui ai versé du sérum dans les yeux. Puis elle a rejoint ses camarades. En retournant sur la rue, le gros du cortège était déjà parti direction Delille, il restait une vingtaine de lycéen.nes et un feu avait été allumé dans une poubelle. Les personnes ici ne faisaient que souffler, les manifestant.e.s étaient debout depuis bientôt trois heures, et iels venaient d’inhaler de grandes quantités de lacrymo. Alors que je m’apprêtais à partir, une quinzaine de membres de la BAC ont débaroulé au bout de la rue. Ils ont tout de suite sorti leurs matraques et se sont jetés sur nous en criant « On charge! ». Celui qui, je crois, est leur chef m’a pris au cou et plaqué contre le mur, les gens partaient dans tous les sens. Malheureusement la rue était étroite et quasiment sans issue. Certain.e.s ont réussi à s’en sortir sans blessures ou avec quelques coups de matraques. Un des membres de la BAC a suggéré de nous enfermer et de nous maintenir dans la cour de l’aumônerie catholique Blaise Pascal/Jeanne d’Arc. Le policier de la BAC qui m’avait saisi m’a jeté dans la boue et nous a dit « Bougez pas ou on vous défonce ». Puis un autre « Mains sur la tête et on bouge pas ». On s’est retrouvé enfermés dans cette cour à 8 ou 9, assis, ou allongés, mains sur la tête. Des lycéens de 15/16/17/18 ans, tous racisés, sauf moi. Des choses qui rappellent ces 150 lycéen.nes mains sur la tête et agenouillé.e.s à Mantes-la-Jolie.

Les policiers de la bac ont reconnu sur ma gauche un fils d’une de leur collègue, Y. Ils l’ont tout de suite invectivé : « c’est toi qu’a allumé le feu dans la poubelle », « putain, t’es le fils d’une de nos collègue quoi. Pauvre Merde », « Ptit bâtard », etc. Celui-ci a immédiatement répondu « j’ai pas de briquet monsieur, j’ai pas pu allumer le feu ». Et ils n’étaient visiblement pas prêts à le croire. Les policiers ne savaient pas trop s’ils devaient tous nous interpeller, ou seulement quelques uns d’entre nous. Ils ont passé quelque temps à chercher des menottes. Au bout d’un instant, ils ont passé les menottes à deux ou trois des lycéens à mes côtés, dont Y. Puis ils m’ont demandé de me lever, de m’avancer et de présenter mes papiers. Le chef a commencé par arracher mon autocollant UNEF, puis ils ont fouillé mon sac, puis une fouille corporelle. Le derrière, de dos, mains contre le mur, une fouille bien poussée. Puis le devant, mains dans le dos, avec l’avant-bras du policier violemment appliqué sur mon cou. Celui-ci insistant bien autour de mon sexe, soulevant le haut de mon caleçon, etc. Leur chef a pris en photo ma carte d’identité, puis m’a demandé mon adresse. Finalement, il m’a demandé de ramasser mon sac et m’a dit « Maintenant, casse-toi, dégage! ».

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