Rendue en janvier, une expertise médicale met en cause l’intervention policière dans la mort de Wissam El Yamni, décédé en 2012. Mais si la famille avance vers la vérité médicale, le combat pour la justice est loin d’être terminé. Retour sur un exemple d’impunité policière.
La justice condamnera-t-elle un jour les assassins de Wissam El Yamni ? C’est ce que laisse espérer une nouvelle expertise, rendue 7 ans après le décès du jeune homme. Reconnaissant enfin l’intervention d’un tiers – c’est à dire le pliage du corps durant l’interpellation – comme facteur déclencheur du décès, le rapport vient démontrer une fois de plus l’invalidité de la théorie de l’overdose et de la maladie cardiaque, défendue par les précédents experts. Mais si un pas a été fait en direction de la vérité, la justice semble encore loin. Car de nombreuses zones d’ombres persistent, dessinant les contours d’une vaste entreprise de maintien de l’impunité policière.
Une lutte de 7 ans pour la vérité médicale
Les conclusions de l’expertise rendue en janvier soulèvent une question : comment peut-on mettre 7 ans à découvrir qu’un tiers est impliqué dans la mort de Wissam ? Le jeune homme n’a pourtant pas été retrouvé au milieu d’une forêt une semaine après sa disparition. Son coma a été constaté dans le couloir du commissariat, peu après son interpellation. Seulement, depuis le décès, l’institution policière n’a eu de cesse d’essayer de se couvrir. « Au fil des différents rapports d’expertises, qui contenaient chacun des contre-vérités manifeste, on a eu l’impression qu’il y avait une volonté d’enterrement médical du dossier », confirme Jean-Louis Borie, avocat de la famille. « C’est à dire de trouver des éléments pour dire que tout ça c’est la faute à pas de chance ». En 2012, un premier rapport d’expertise conclue à un décès des suites d’une prise de drogue, en s’appuyant sur des données enregistrées par l’encéphalogramme de Wissam durant son coma. C’est la famille qui, en demandant une contre-expertise par un cardiologue reconnu, prouve que les variations observées ne sont dues qu’aux traitements médicaux reçus par le jeune homme. En 2015, une nouvelle expertise vient appuyer la thèse du décès suite à un mélange d’alcool et de drogue. Une nouvelle fois, des spécialistes mandatés par la famille prouvent le contraire : la cocaïne est présente en trop faible quantité pour avoir le moindre effet. « C’est comme si on vous disait qu’un homme est mort d’un coma éthylique alors qu’il était négatif à l’éthylotest », illustre Farid El Yamni, frère de Wissam. C’est ce rapport qui a permis de solliciter l’expertise la plus récente dont les conclusions, communiquées en janvier, confirment les contre-analyses menées par la famille en invalidant la théorie du cocktail cocaïne-alcool comme cause du décès. Une longue bataille pour en revenir au point de départ : c’est le maintien du jeune homme en position pliée durant son interpellation, associé à l’alcool et au stress, qui est à l’origine du décès de Wissam El Yamni.
Mais le processus soulève de nouvelles questions. Comment autant d’experts ont-ils pu écrire des rapports bourrés d’erreurs, systématiquement démontés par leurs collègues ? Se sont-ils simplement trompés, ou ont-ils changé leurs conclusions en connaissance de cause ? Car l’origine du décès n’est pas le seul élément contesté. Les fractures au visage que Wissam a subi lors de son interpellation, elles aussi, ont été déclarées comme étant plus anciennes dans certains rapports, eux aussi contredits par différents témoignages et expertises indépendantes. Et les données médicales sont loin d’être les seules à avoir été malmenées. « Dès le départ, des choses nous ont semblé curieuses », relève maître Borie. « Notamment concernant le nombre de véhicules impliqués : au départ on nous disait qu’il n’y en avait que quatre, finalement on a découvert qu’il y avait neuf équipages sur les lieux, alors pourquoi on ne nous a pas donné la liste de tous ceux qui étaient impliqués ? »La liste des interrogations est encore longue : pourquoi les contrôles d’alcoolémie des équipes de polices sont-ils incomplets, pourquoi le pantalon de Wissam était-il baissé, pourquoi sa ceinture a-t-elle disparu, pourquoi des photos du jeune homme ont-elles été anti-datées par un capitaine de police, pourquoi tous les appareils et ordinateurs liés à ces photos ont-ils été formatés, pourquoi certains témoins n’ont-ils toujours pas été entendus ?
Le combat se poursuit
Avec toutes ces questions qui restent en suspend, difficile pour la famille de se réjouir. Farid El Yamni, lui, craint que ce nouveau rapport ne suffise pas à faire condamner les responsables. « Maintenant on va peut-être nous dire que la technique du pliage est autorisée, et donc qu’on ne peut pas incriminer les policiers. Et alors quoi ? Parce que c’est une technique autorisée, on a le droit de l’utiliser pour tuer? » Pour lui aussi, il ne fait aucun doute que l’institution se protège. Il met particulièrement en cause la « lâcheté » des responsables politiques, qui refusent de s’attaquer à l’impunité policière. Mais surtout, il dénonce les mensonges utilisés pour enterrer l’affaire Wissam, et l’obligation pour la famille de financer elle-même des contre-expertises pour combattre ces mensonges. « Depuis 7 ans, on nous fait passer pour des gens effondrés qui n’arrivent plus à être rationnels. On a prouvé qu’on avait raison depuis le début, on a rétabli notre honneur, mais ils nous ont piétiné pendant tout ce temps. » Il le promet : le combat va continuer pour que justice soit faite. Si maître Borie estime que le dossier devrait évoluer « dans les mois qui viennent », il est difficile de savoir si les policiers, ou les experts qui ont rendu des rapports contenant des contre-vérités, seront inquiétés. « En tous cas ce qu’on peut dire, c’est que l’enterrement médical, c’est terminé. On a échappé au non-lieu. »
2 réflexions sur “Affaire Wissam : un pas de plus vers la vérité”
Nous soutiendrons votre combat légitime jusqu’au bout ! interdiction de la technique de pliage et condamnation des auteurs de ce meurtre !
Evelyne
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