Farid s’agace, cherche ses mots. Le frère de Wissam, décédé après son interpellation la nuit du 1er janvier 2012, ne décolère pas. « La reconstitution ordonnée portera sur les conditions dans lesquelles Wissam a été placé dans le véhicule et transporté au commissariat. On sait, par plusieurs témoins, que Wissam parlait encore à son arrivée là-bas. Les faits de violence ont donc été réalisés après. »
En effet, sur une vidéosurveillance du commissariat, que la famille s’est procurée, on voit des jeunes en Garde à vue, s’agiter en regardant tous vers le même endroit. Celui où Wissam est supposé se trouver : dans le couloir.
Que s’est-il passé au commissariat ?
On voit clairement dans cette vidéo que Wissam n’est pas dans sa cellule. Ces trois jeunes semblent agités jusqu’à ce qu’un officier leur demande de s’asseoir pour ne plus voir ce qu’il se passe ; Depuis 10 ans, la famille demande à la justice d’entendre ces trois personnes-clés, dans cette affaire. L’un d’eux a d’ailleurs été entendu, au tout début, par l’IGPN.
Mais nulle trace de son témoignage. « Au vu des traces sur le corps de mon frère, il a été battu sévèrement. Il a été victime de fractures, d’énormes hématomes et sur son corps, on voyait nettement des marques de strangulation. » Renchérit Farid.

Autre témoignage-clé, celui d’un policier qui, lors de sa déposition, explique que Wissam parlait à l’arrivée au commissariat. Il était dans la seconde voiture, celle qui suivait celle dans laquelle se trouvait la victime. Lorsqu’il arrive, quelques minutes après la première voiture, il découvre Wissam, « face contre terre », « moins excité » mais « il parlait toujours ».

Alors pourquoi cette reconstitution ?
« Nous pensons qu’elle permettra de fermer le dossier. » S’inquiète la famille. « On nous dira qu’il n’y a rien à en retenir. Puisqu’effectivement, ce n’est pas au moment de l’interpellation que mon frère est mort« . Pourtant, à partir du moment où une personne est menottée, elle est de fait, sous la responsabilité des agents de police présents. Ainsi, Wissam a perdu la vie, après neufs jours et demi de coma. Que s’est-il passé entre le moment où le jeune homme est placé dans la voiture et l’instant où il est introduit à l’hôpital, inconscient, de nombreuses heures plus tard ?
Cette question, la famille se la pose quotidiennement. Et de nombreux doutes persistent quant à la responsabilité des policiers présents au moment des faits. Policiers d’abord poursuivis pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Mais, ils seront placés un an plus tard sous le statut de témoins assistés, « faute d’indices graves et concordants. »
« Cette affaire montre à quel point la justice ne met pas en place toutes les dispositions nécessaires pour connaître la vérité. Pourquoi n’écoute-t-on pas les témoins présents au moment des faits dans le commissariat ? Pourquoi personne ne s’interroge sur les marques de strangulation et les fractures sur le corps de mon frère ? »
Des témoins toujours pas entendus
L’avocat des policiers explique qu’il n’y a pas de faute. « Pourtant, le seul fait que Wissam soit menotté vivant dans le dos et mort par l’intervention d’un tiers est une faute. Il était sous la responsabilité de l’agent interpellateur. » Rétorque Farid.
La mort de Wissam a été expliquée de différentes façons par l’avocat de la défense : Mort à cause de la drogue. Les analyses ont prouvé le contraire. Idem pour l’arrêt cardiaque. « Aujourd’hui, on souhaite nous imposer l’excuse du transport. Notre intime conviction est qu’ils savent la vérité, et qu’ils se cherchent des excuses en disant qu’on n’a pas assez d’éléments qui prouvent les faits. »
Aujourd’hui, comme toujours par le passé, la famille souhaitent que les témoins soient entendus, qu’une reconstitution soit faite en leur présence. « Il faut que la justice permette à ces témoins de prendre la parole. »
« La où il y a une volonté, il y a un chemin »
Pour la famille, « le procureur ne voulait pas clore l’affaire sans une reconstitution parce que si on va à la cour européenne des droits de l’homme où la France est régulièrement condamnés, on leur reprochera. Alors, il a saisi la chambre d’instruction pour l’imposer aux magistrats. »
Ainsi, selon Farid, la reconstitution s’arrête à un périmètre qi ne donnera que peu d’éléments. « C’est le syndrome du lampadaire, de celui qui cherche en pleine nuit la clé au seul endroit éclairé, parce que c’est éclairé. Nous, nous voulons chercher la réponse aussi dans l’obscurité. »