Paulette *, 100 ans le mois prochain : « Je me suis avortée moi-même 5 fois »

C'est une rencontre hors du commun qui m'attendait cet après-midi dans une résidence autonomie. Derrière la porte, la petite mamie s'affaire, elle rit, propose le thé, interdit d'être partagé en temps de COVID, puis se pose, prête à raconter 100 ans de vie, entre larmes et rires. "Ce que je te dis là, je n'ai jamais réussi à le dire avant..."

Née quelque part en Gasgogne, fille de paysans, en 1921. Paulette a une grande sœur de 11 ans son aînée. « Je travaillais moyennement bien à l’école car j’étais étourdie… » Elle se rappelle des copines, des petits amoureux de l’époque. La guerre arrive sans égratigner le quotidien de Paulette. « Dans ma campagne on n’a jamais vu un seul allemand. Nous n’avons pas souffert de la faim, car nous avions tout à la ferme. Seul le pain nous a manqué mais nous avions du blé et faisions des galettes… » Paulette vit avec insouciance. Sa sœur l’invite à une soirée pour un jour de l’an. Elle y rencontre Jean. « Il est venu s’installer avec moi à la ferme de mes parents, et nous avons travaillé dur, vraiment. J’ai travaillé aussi fort que les hommes. Jean était méchant, il me disait d’aller plus vite. Je n’avais aucun répit. » Paulette tombe enceinte une première fois. Mais pas le temps d’élever l’enfant qui sera gardé par sa mère, il faut retourner au champ… « J’ai eu 6 enfants en 7 ans…A l’époque rien n’existait…Puis j’en ai eu une septième 10 ans plus tard… » Paulette subit ses grossesses et abandonne ses enfants tout petits pour repartir travailler dans les céréales. Paulette ne dit pas tout, d’abord….Elle continue à raconter la labeur, les chevaux de trait, les deux boeufs, la volaille. Puis, elle me regarde : « Tu le sais toi que je n’ai pas eu d’enfant pendant 10 ans parce que j’ai fait des choses interdites à l’époque… » Je souris, complice et gênée à la fois… « J’ai avorté moi-même, je n’avais pas le choix, j’avais déjà 6 enfants tu te rends compte, et je n’avais pas le droit de m’en occuper. » Explique-t-elle comme pour se défendre. « Un médecin m’a dit comment faire, mais il n’a pas voulu m’aider, et ça je ne dirai jamais à personne comment je me suis avortée moi-même… » Paulette me regarde fixement à travers se lunettes d’un autre âge, mais avec des yeux remplis de larmes et de vie…Elle lève la main, écarte ses doigts, dans un silence étourdissant : « 5 fois ».

La dernière a failli lui coûter la vie, alors Paulette a gardé l’enfant, d’où le 7eme bébé.

« Mon mari ne m’a pas laissée être libre, je n’avais pas d’argent, le travail des champs, c’est lui qui le gérait. J’ai été malheureuse et prisonnière tout mon mariage…Cet homme, je ne l’aimais pas, mais avec 7 enfants, sans le sou, il m’était impossible de partir… » Alors, Paulette est restée. Jusqu’à ce qu’une de ses filles, vivant en Auvergne, lui dise de la rejoindre. Jean est à la retraite, et la ferme a été revendue à une autre de leur fille. Paulette se barre, mais Jean l’accompagne. « Je me rappelle ce moment, dans la voiture, nous n’avions pris que quelques linges, et nous avons laissé la ferme derrière nous. Un grand soulagement pour moi. » Nous sommes en 74, Paulette s’installe avec son mari dans un appartement. « La vraie vie a un peu recommencé…J’ai eu mon premier travail avec mes premiers sous à moi. Mais Jean m’empêchait de sortir…Alors je ne pouvais guère les dépenser… » En 84, après quelques mois de combat contre la maladie, son mari meurt… « Je n’ai même pas pleuré » assume la veuve. « Il était mon mari, je l’ai respecté, mais j’ai été sa prisonnière … » Alors elle l’avoue, elle s’est sentie soulagée. Et a vécu sa vie. Loin des hommes. « Vous auriez pu m’en amener un sur un plateau, avec toutes les qualités du monde, je ne l’aurais même pas regardé... » Non, Paulette voyage : Canada, Russie, Espagne, Grèce, elle va dans des associations, se fait des amies…Et garde des enfants jusqu’à ses 81 ans. « Mais, je suis tombée sur une méchante petite fille qui embêtait les autres, alors plutôt que de l’avouer à ses parents, j’ai préféré dire que je me sentais fatiguée…Sinon, j’aurais continué…je n’ai pas pu élever mes propres enfants, du coup, j’ai pu me rattraper un peu en m’occupant des enfants des autres … « 

Il y a 10 ans, elle se fait mal à un genou. « J’ai 3 étages à monter pour aller chez moi…Et il y a 10 ans, j’avais déjà 90 balais ! » Alors, elle se résout à entrer dans une résidence-autonomie. Elle y est bien. Participe aux activités…En octobre, elle attrape la Covid. « A presque 100 ans tout le monde pensait que j’allais y passer, mais non, j’ai eu trois fois rien, il a juste fallu que je reste enfermée 6 semaines… »

Pour cette femme, mère, grand-mère 23 fois, arrière grand-mère 16 fois et arrière-arrière grand-mère 4 fois, il ne reste pas grand chose à attendre de la vie. « J’ai pas peur de mourir, j’ai fait mon temps, j’ai pris la vie comme elle est venue, j’aurais aimé parfois dire plus ce qui me rendait malheureuse, mais à quoi bon pleurnicher, sourions, je l’ai faite ma vie, je n’ai plus rien à attendre, plus rien à espérer, je n’ai plus qu’à sourire…Et à prendre tous ces moments qu’il me reste comme des cadeaux. Je m’étonne chaque matin d’être encore vivante !  » Alors on ose quand même reparler des hommes, une dernière fois… « Certes, on a gagné le droit à l’avortement, mais tu sais, je crois que les hommes n’ont pas changé, ils voudront toujours gérer les femmes, toujours être les chefs, toujours avoir le pouvoir. Ils n’ont aucune raison, on est aussi fortes et intelligentes qu’eux…Alors oui, ça a évolué, mais je pense que les hommes ne changeront jamais, même s’il faut continuer à vous battre, vous les jeunes femmes… » Sa main voudrait attraper la mienne, mais cette période annule la tendresse. Elle me regarde après un silence songeur : « Tu es sûre qu’on n’a pas le droit de se le boire ce petit thé ? »

*Le nom a été changé

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