A. baisse la tête. Il a dû mal à me regarder dans les yeux. D’abord intimidé par le jeu du témoignage, il ne répond que brièvement. Puis ma question tombe : « Depuis quand tu as fait le con? » Alors A. lève la tête, me fixe. « J’ai commencé il y a deux ans. » Il avait à peine 12 ans. Il a volé une voiture avec ses copains.
« Une fois volée, je me disais que c’était n’importe quoi. Mais c’était trop tard. J’ai carburé à l’adrénaline. Je fuguais. Je dormais dans les hôtels. Je voulais faire le grand. »
A. sourit. « Tu souris ? de fierté? »
« Non de honte. Je suis mal à l’aise. Je me rappelle quand les gendarmes ont appelé mes parents. J’ai été puni. Interdit de sortir. mais je suis ressorti. J’ai recommencé. Et je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi. Je sais juste que quand je me faisais de l’argent, j’étais content de moi. De ne rien demander à mes parents. J’ai joué au grand. »
A. pose ses mots. Au fur et à mesure où il parle, les larmes montent. Les miennes. 14 ans. Plus de 50 vols à son actif. Des parents qui bossent. Une petite maison du côté de Grenoble. Quelques mauvaises fréquentations. Et voilà A. entrer dans la délinquance. « Je suis entré dans les stups. Un jour, j’ai demandé à un plus vieux dans un quartier. On a guetté avec un copain, on se faisait 30 euros par jour. »
Et puis, on fouille. Un frère en prison, l’autre en foyer. « Tu as voulu faire comme tes frères ? » Silence. « Tu sais, tu le fais une fois, tu le refais, tant que tu n’es pas pris. »
Le CEF, c’est la punition. « C’est bien même si on manque de liberté. Ici, je réfléchis. Mes parents m’en veulent. Je leur ai fait tellement de mal. C’est ce que je regrette le plus. »
En sortant, A. veut faire une alternance, devenir plâtrier-peintre. « Etre chez moi, une maison, des enfants et une voiture. Mais pas volée, celle-là Eloïse. »
A son audience, A. n’a pas réussi à demander pardon. « Pourtant, j’ai volé des gens qui bossaient dur pour se payer leur voiture. Je m’en veux beaucoup. Je n’y arrive pas pour l’instant à leur demander pardon. Mais j’y arriverai en continuant à y réfléchir. Il faut que j’arrive à me pardonner d’abord. »
A. ne pleure pas. Jamais, selon lui. « Je n’ai pas pleuré en arrivant ici, car je savais pourquoi j’étais là. » Pourtant, son arrivée n’était pas de tout repos. Il a frappé un éduc. Puis S. est arrivé. Un autre jeune qui le pousse vers le haut.
Déjà 2 mois qu’A. est ici. « Ca passe vite, ici. Je me rends compte que ma famille a toujours été là pour moi, et que j’aurais dû les écouter. Avant, j’étais un bon gamin. Mais là, j’ai vraiment merdé. J’aimerais croire qu’on peut avoir une deuxième chance. »
A. a caché cette vie de délinquance jusqu’à ses amis les plus proches. Viré de l’école, il a zoné, volé. « Sans jamais avoir fait de mal à personne. » Mais dans le plus grand secret. « On n’en parlait pas à nos meufs ni à nos familles. Et je le sais si je n’avais pas été attrapé, j’aurais continué. Je ne sais pas ce qui aurait pu me faire arrêter. »
A. raconte ce que ses anciens potes sont devenus. En prison, en foyer, en CEF. Certains ont son âge. D’autres sont à peine plus grands. Quelques-uns ont échappé à la justice.
A., un matin est rentré chez lui et a demandé à sa mère d’appeler la police. Il se rendait. « Ils m’ont menotté devant mes parents. Avant de rentrer dans la voiture, je me suis retourné, mais mes parents s’étaient réfugié dans la maison. Je n’ai pas vu s’ils pleuraient. Mais, ma mère, en me dénonçant, m’a sûrement beaucoup aidé. »
A. aime les silences. Comme si plus rien ne pressait, comme s’il avait compris que désormais seul le temps sera son allié.
Il est le premier à me tutoyer. Le seul à m’appeler par mon prénom. Le plus fort pour animer une émission de radio. C’est lui qui prend soin de mon matériel. le range délicatement. Il voit bien que j’ai les larmes aux yeux. Je ne suis pas de celles qui ont envie de lui mettre une tarte. Je ne le félicite pas non plus. Je ne le saisis pas vraiment. Je me demande à quel point tout ça est du gâchis et ce qui a manqué. Mais, il me le répète « Tout le monde a droit à une deuxième chance. »
Il se lève. Me tape dans la main. On a fini l’interview. « Ca fait du bien d’en parler. A des gens extérieurs. Ca me libère. Ah ouais, c’était vraiment bien. »
Alors qu’il s’apprête à sortir, il se retourne, et revient vers moi. Il a la pudeur des ados. mais malgré tout, il me tape à nouveau dans la main. « Ca va aller ? » S’inquiète le gosse. Il le sait, le bougre, que tout chez lui fait pleurer. Son humilité, sa honte, sa culpabilité, ses sourires gênés, ses mots posés, ses silences. Ses espoirs aussi. Et cette main qu’il tend. Cette empathie qu’il a à demander comment je vais. Il ferme la porte délicatement. Incapable de me retourner, je reste là, à pleurer. Assise. Devant un micro qui semble avoir souffert lui aussi.
A. n’a que 14 ans. 50 vols à son actif. Et des milliers de projets.
Il me laisse avec des millions de questions sans réponse.