«Association Sauvegarde de l’Enfant à l’Adulte» : un jeu dangereux entre le directeur et la préfecture de la Haute-Loire.

Association d’accueil bien connue sur le territoire, l’ASEA du Puy-en-Velay a toujours refusé les demandes d’obtention d’informations de la préfecture de Haute-Loire. Mais le 1er mars dernier, le directeur de la structure a finalement transmis une liste concernant des personnes déboutées du droit d’asile. Une trahison inacceptable pour de nombreux salariés.

« ASEA », ça veut dire Association de Sauvegarde de l’Enfant à l’Adulte. En France, il en existe depuis près d’un siècle. Au Puy-en-Velay, la structure locale défend les valeurs communes : accueillir toute personne et famille qui en a besoin. Il peut s’agir d’enfants, de personnes sans logement, victimes de violences ou qui subissent la précarité. On y fonctionne en 4 pôles : protection de l’enfance, handicap adultes, handicap enfants, précarité-insertion.

Au sein de la structure, flotte un air serein. Ici, la protection des bénéficiaires est une règle d’or et tout se décide en commun. Le site web de l’association affiche d’ailleurs fièrement son fonctionnement : « La Sauvegarde 43 dispose d’instances de gouvernance avec à sa tête, une Assemblée Générale dont les pouvoirs sont délégués à un Conseil d’Administration et à un Bureau. Mais elle a également mis en place des espaces de réflexion, de concertation et de proposition où peuvent se vivre pleinement la vie associative et statutaire et se concrétiser le lien nécessaire entre les niveaux techniques et politiques. Des bureaux toutes les 3 semaines ; des Conseils d’Administration tous les deux mois. Un rapport de la direction générale pendant chaque instance statuaire (bureau, CA) pour rendre compte… »

Pourtant, c’est seul à la barre que le directeur général de la structure a cédé, début mars, à une demande de transmission d’informations adressée par la préfecture de Haute-Loire.

Des demandes répétées

Ces demandes d’informations ne sont pas nouvelles. Déjà plusieurs fois, la préfecture a cherché à obtenir des listes. Pourtant, l’article 345-1 du Code de l’Action Sociale et des Familles précise : « Les personnels des CHRS (Centre d’hébergement et de réinsertion sociale) sont tenus au secret professionnel dans les conditions prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal. La loi définit les contours du partage d’informations en le limitant aux personnels du CHRS. ».

S’opposer à ces demandes? Une règle d’or héritée notamment d’Alex Brolles, fondateur de l’ASEA. Une opposition bafouée le 1er mars dernier.

Des déboutés du droit d’asile concernés

Il y a quelques semaines, le réseau de défense des droits de l’Homme et des immigrés (RESF) publiait un communiqué soutenu par d’autres associations (Ligue des droits de l’Homme43, CGT43, FSU43, SUD Education43, Action Catholique Ouvrière43, LICRA-Aura (Ligue Internationale contre le racisme et l’antisémitisme-Auvergne-Rhône-Alpes), Comité de Soutien aux opprimés de Brioude, ATTAC en Velay, association La Sosta, Emmaüs43, Gauche EcoSocialiste43, EELV43, Génération.s 43,Révolution Ecologique pour le Vivant région AURA.)

On y apprend notamment qu’une liste nominative de personnes et de familles déboutées du droit d’asile, comportant leurs adresses, a été envoyée par le directeur général de l’ASEA à la préfecture de Haute-Loire le 1er mars. 17 familles et 32 enfants seraient concernés alors qu’ils se trouvent sous la protection de l’un des quatre pôles de l’ASEA (précarité-insertion).

À qui la faute ?

Dans cette histoire, les principaux mis en cause semblent se déresponsabiliser. La préfecture avait demandé cette liste auprès de l’OPAC (organisme mettant des logements à disposition du pôle précarité-insertion de l’ASEA). L’OPAC a refusé. La préfecture s’est alors tournée vers l’ASEA dont le directeur général a transmis la demande au directeur de la structure qui lui-même, l’a tranféré au directeur du pôle précarité-insertion. Si cette liste a finalement atterri dans les mains de la préfecture du 43, chacun se cache derrière l’autre.

« Si la demande d’une telle liste émane des services de l’État, son exécution semble bien être l’œuvre du directeur de l’ASEA, ce dernier se jouant totalement des valeurs mises en avant par l’association qu’il dirige. Par ailleurs il ne fait pas mystère de ses sympathies politiques qui nous apparaissent incompatibles avec les fonctions qu’il exerce. Dès lors, des familles exilées, qui croyaient trouver refuge chez nous après avoir fui les guerres, la misère, les effets du réchauffement climatique, qui ont survécu à des parcours périlleux emportant parfois en mer familles et amis, sont discriminées, dénoncées.

Elles se retrouvent à nouveau dans des situations tragiques, d’urgence et d’insécurité. Ces familles qui souffrent depuis des années de l’interdiction de travailler, – plus de 10 ou 12 ans pour certaines ! et ne peuvent donc avoir la satisfaction de subvenir dignement à leurs besoins, sont déjà dans un état de désespérance extrême. Nous pouvons imaginer la détresse dans laquelle ce courrier les a plongées. », déclare le RESF.

Tonnerre à l’ASEA

« Heureusement, le personnel, les directeurs de pôles et les travailleurs sociaux, restent, eux, fidèles aux valeurs fondatrices de cette institution : la fraternité, la solidarité, l’entraide, la protection, l’accueil des familles déboutées du droit d’asile ainsi que l’urgence de leur hébergement, sont les piliers de leur métier. », poursuit le Réseau.

En effet, ce zèle de la direction, vu comme une traque aux exilés, a provoqué une colère sans précédent au sein du personnel de l’ASEA. Vendredi 7 avril, l’association a été le théâtre de fortes tensions. Le directeur général de la structure a dû faire face durant de longues minutes, devant les locaux, à plus d’une centaine de salariés révoltés par son acte. Ces derniers ont dit leur honte face à une telle trahison de leurs valeurs et ont exigé des explications ainsi que la démission du directeur. « Les salariés sont très en colère. Il y en a même qui pensent à démissionner. », affirme une employée.

Une défense qui interroge

Après avoir parlé de cette affaire, Jeudi 6 avril, le média local Zoomd’ici.fr donnait la parole au directeur général de l’ASEA ainsi qu’à son président. Un entretien dans lequel les deux hommes paraissent botter en touche. À la question « Pourriez-vous nous faire l’historique de cette demande de la liste des déboutés du droit d’asile ? », le directeur indique ne pas vouloir communiquer face à une situation complexe. Les seules discussions se font en interne pour pouvoir informer les 420 salariés de l’ASEA.

Le journal relance : « Selon l’article 7 indiqué dans les valeurs de l’ASEA 43, l’association se doit de respecter le secret professionnel sur les données du public accueilli. N’est-ce pas en contradiction avec ce partage de la liste aux services de l’État ? » À cela, le directeur général répond : « Je ne sais pas ».

 Pour le président, régulariser ce public pourrait être une bonne chose. Mais les salariés en sont persuadés, « régulariser » veut ici dire expulser et les risques pour les déboutés du droit d’asile sont énormes maintenant que la préfecture connaît leur adresse et la composition de leurs familles.

Pour l’heure, ni la direction de l’ASEA ni la préfecture de la Haute-Loire n’ont donné suite à nos sollicitations.

Deux mois plus tard, où en est-on ?

« Nous, associations, organisations, syndicats, serons particulièrement vigilants à l’aboutissement des régularisations des personnes concernées. Rappelons, devoir de mémoire oblige, qu’Alex Brolles et « Les Petits Bergers des Cévennes », à l’origine de l’ASEA, ont été honorés il y a peu par le Maire du Puy et la Préfecture pour avoir donné refuge à des juifs persécutés par le régime de Vichy. », a déclaré le RESF dans son communiqué.

Depuis, la direction de l’ASEA a dû s’expliquer face aux salariés. Elle a notamment publié un communiqué le 4 avril : « Nous avons commis une erreur en répondant trop rapidement à la démarche des services de l’Etat concernant les adresses des déboutés du droit d’asile que nous accueillons ». Mais pour les salariés, il est trop tard. « Le Directeur n’est pas venu aux réunions cette semaine mais il était quand même dans son bureau. Rien a avancé depuis et il ne compte pas démissionner. Les seules réponses du CA qu’on a c’est qu’ils sont au travail. Mais qu’il ne faut rien ébruiter. », nous indique l’une d’elles. Pour l’heure, une tentative d’expulsion aurait déjà eu lieu, sans succès.

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