« 6 étoiles » : après les interpellations musclées, des gardes à vue indignes et contestables

Jeudi dernier dans la soirée, plusieurs militants étaient réunis pour ouvrir un nouveau lieu destiné à l’accueil d’une trentaine de mineurs isolés. Arrivée sur place, la police a empêché l’opération avant d’interpeller 8 participants. Ces derniers ont subi 48 heures de garde à vue dans des conditions indignes et hors du cadre légal. L’un d’eux raconte.

Le 2 août 2023, le « 5 étoiles », lieu d’accueil pour mineurs isolés était évacué par la police. Pour combler cette absence, des militantes et militants ont décidé d’ouvrir le « 6 étoiles », nouveau lieu d’accueil dans un bâtiment vide du sud de Clermont.

Jeudi 23 novembre, une cinquantaine de personnes arrivaient sur les lieux pour aider à l’installation et partager un premier repas. Problème, les forces de l’ordre sont au courant et viennent empêcher l’opération.

Les militants décident tout de même d’entrer dans le jardin. L’un d’eux est évacué avec force, trainé au sol par un policier. Une quinzaine de personnes investissent la cour de la maison. Des contrôles d’identité ont lieu avant l’utilisation de gaz lacrymogène par la police. Des participants tombent sous le poids des ruées des agents. Les militants évacuent et se regroupent devant la maison. 8 d’entre eux sont interpellés et emmenés au commissariat.

Pied au plancher

Hier, nous rencontrions T.*, l’un des six hommes placés en garde à vue. Autour d’un café, ce dernier nous raconte ses 48 heures de privation de liberté. Il a encore les traits tirés et semble toujours sous le choc de son séjour au commissariat.

La galère a commencé dès son entrée dans le véhicule de la police. « Ils roulaient à une vitesse hallucinante. J’ai demandé à ce qu’on m’attache ma ceinture et on s’est foutu de moi. Après, ça a secoué tout le trajet, ils prenaient des contre-sens aussi. », explique le jeune homme.

Au total, six hommes et deux femmes sont placés en garde à vue. Ils arrivent au commissariat aux alentours de 19 heures. C’est le début d’une succession d’aberrations.

Vous avez le droit de ne pas connaître vos droits

À leur arrivée, on n’indique pas leurs droits aux militants. Ces derniers ne signent aucun papier. Ils ne savent même pas quel sort va leur être réservé. « Du coup, on refuse d’abord de donner nos identités. », explique T. Les prévenus n’ont pas le droit à un coup de fil ni la possibilité d’appeler leur avocate. La procédure est doublement enfreinte. Ils voient tout de même un médecin.

« Ils ont tout fait pour laisser l’avocate le plus loin possible et retarder les auditions. », indique T. L’avocate Clémence Marcelot confirme : « On leur a imposé un avocat commis d’office sans leur proposer d’appeler le leur. Ils ont été placés en garde à vue à 19h15 jeudi et je ne me suis rendue sur place que le lendemain à 15h30. Certains ont vu leur avocate plus de 20 heures après leur mise en garde à vue. C’est gravissime ce qu’il s’est passé. Pour certains, ils ont eu connaissance de leurs droits après la première garde à vue au moment de la prolongation donc après 24 heures. ». Pire, T indique avoir subi des pressions pour accepter un avocat commis d’office. Les autres prévenus aussi.

Nuit cauchemardesque

La garde à vue a duré 48 heures. Elle s’est passée dans des conditions désastreuses. Lumière allumée, musique à fond, auditions au bout de 42 heures etc. « Une autre personne est arrivée dans ma cellule. Il était violent et incontrôlable. J’avais peur et j’ai demandé à changer de cellule mais la policière s’est moquée de moi. L’homme criait et tapait contre la porte. Les flics ont eu pour seule réaction de lui hurler encore plus dessus. », raconte T

Ce dernier rapporte plusieurs actes et propos racistes envers son codétenu. Les policiers auraient par exemple demandé à l’homme s’il « voulait du saucisson » ou auraient passé des chansons « franchouillardes » pour « faire sa culture ».

Le jour, les policiers ferment les persiennes. Les gardés à vue sont plongés dans le noir. La nuit, les lumières restent allumées. Il n’y a pas assez de matelas. T en a un mais pas son codétenu. Face à la colère de ce dernier, T donne le sien et passe la nuit par terre, à même le sol sale. Durant de très longues heures, la musique retentit à un volume insupportable.

« Quand je suis arrivée, il y avait Fun Radio à fond mais vraiment à fond pour qu’ils ne puissent pas dialoguer et quand l’un deux m’a dit que c’était comme ça depuis des heures, j’ai compris que c’était pour les épuiser. L’un d’eux à dormi à même le sol. C’est la première fois que je vois ça de toute ma carrière. », explique Clémence Marcelot.

Rien à déclarer

Les auditions sont tardives. Plus que ça même. Elles arrivent au bout de 42 heures de garde à vue. Lorsqu’ils quittent leur cellule, les militants sont réconfortés par d’autres qui forment un comité d’accueil chaleureux. « J’ai voulu partager ça car déjà moi j’ai été choqué par ces conditions mais je me dis que pour d’autres, ça doit être encore pire. », confie T.

Pour l’heure, aucune poursuite n’a été retenue contre les huit interpellés. Pour la justice, il est encore trop tôt pour établir la responsabilité de chacun alors que les personnes entendues ont toutes gardé le silence.

Affaire à suivre ?

« Garder le silence, c’est la meilleure chose qu’on peut conseiller à nos clients. », explique Clémence Marcelot. « Mais ça ne veut pas dire qu’ils ne vont pas être poursuivis plus tard. », précise l’avocate.

Nous posons la question du vice de procédure. « Bien sûr, il y en a eu une succession. », abonde l’avocate. Mais en France, il est impossible de contester une garde à vue illégale à posteriori. Regrettable pour Clémence Marcelot qui dénonce aussi, à titre personnelle, la réponse disproportionnée de la police le soir de la mobilisation. De leur côté également, les collectifs Yapasmieux et RESF dénoncent les conditions d’interpellation des militants et les actes de la police le 23 novembre. « L’illégitimité n’est pas dans l’ouverture d’un lieu vide mais dans la répression qui en découle. », explique le RESF 63 dans un communiqué.

*Le jeune homme placé en garde à vue n’a pas souhaité que son identité soit révélée.

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