Il est tôt. Le gardien de la maison du peuple fait sa ronde. « Si ce n’est pas la misère de laisser des gens ainsi… » Exprime-t-il en regardant devant lui, deux enfants qui réparent un vélo. « Ici, je passe pour m’assurer que rien n’est dégradé et surtout que tout va bien niveau sécurité. Mais, regardez comme c’est propre, calme. Ici, les gens sont respectueux, dignes. Ce n’est pas possible de faire vivre ça à des humains. » Il vérifie les boutons pour l’électricité. Le calme vient cogner le rire des enfants, étouffés. Une petite fille pousse un landau de poupée. Une femme salue, et s’assoit devant la tente les yeux dans le vide.
Simon, de RESF, arrive avec son enfant, qui trouve directement le chemin pour retrouver quelques fillettes de son âge. Sans le même langage, elles colorient ensemble.
« On va se faire un café? » demande-t-il en saluant le gardien. Dépité, le militant qui n’en est pas à son premier campement, s’assoit lourdement. « En 2017, après le campement à la fac, tout le monde a trouvé un logement. En 2018, rappelle-toi le campement du 1er mai. Mais, il ne faut pas que la préfecture se satisfasse de cette situation. Leur rôle est de mettre à l’abri tous ces gens. »
Les bénévoles font des aller-retour. Les bras, les coeurs, les idées et les paquets de pâtes ne manquent pas. « Nous recevons des dons des clermontois. Les restaurants nous proposent des plats préparés, les boulangeries. Il ne faut pas croire mais ce que fait la préfecture choque la population. »
Le maire, Olivier Bianchi a ouvert les centres de loisirs pour tous les enfants. La cantine est gratuite, pour eux comme pour tous les enfants dont les parents ont de maigres revenus. « Il ne faut pas se tromper d’ennemi. Le maire ne communique pas, mais il scolarise les enfants, donne accès aux CCAS aux personnes sans papier. Alors, évidemment, il pourrait faire encore plus. Mais, ce n’est pas son rôle. Pour moi, la vraie responsable c’est la préfecture. »
En investissant la maison du peuple, le campement bloque un lieu incontournable de Clermont-Ferrand. « Tous les événements sont annulés jusqu’en juillet. Et plutôt que d’être fâchés, les organisateurs nous ont soutenus en relayant la cagnotte. »
Même si tout a été annulé jusqu’à juillet, Simon avertit tout de suite : « Nous ne serons plus là en juillet, ce n’est pas une vie. » On voit alors, cet homme en attente de traitement et de dialyse, sortir, marcher, et entrer de nouveau. « Ici, les gens sont résignés. Ils ne font pas de bruit, ils attendent toute la journée. »
Légalement, la préfecture doit leur réserver le droit inconditionnel au logement. En attendant, 200 bénévoles se relaient pour filer des coups de main. « Nous sommes un mouvement de lutte pour le respect des droits fondamentaux des exilé.e.s, nous ne sommes pas un lieu d’hébergement pérenne. »
Pour Simon, c’est trop simple. « La préfecture occupe des militants, comme ça, elle sait où ils sont, et en plus, ça ne leur coûte rien niveau hébergement. »
Alors, Simon a appelé à une Assemblée Générale pour décider du type d’actions à mener. « Une Ag où on ne parle pas de qui fait la vaisselle, mais de ce que l’on fait pour éviter le pourrissement de la situation et ne pas rendre service à la préfecture. Notre rôle c’est de rendre leur dignité à ces gens. »
Simon le sait, la force c’est la population clermontoise qui accompagne et soutient ce mouvement. « Personne ne peut défendre une politique qui met des gens à la rue. »
Alors, Simon le rappelle encore et encore : « Ici, les gens sont surdiplômés. Il ne faut pas croire, mais nous n’accueillons pas la misère du monde, plutôt des gens qui dans leur pays sont notables et riches. »
Et puis, il aime à rappeler que le retour dans le pays est conditionné par les accords consulaires. « Les gens ne peuvent pas rentrer si leur pays d’origine les refuse. Alors, la France doit les garder sur son territoire et s’en occuper. »
Ce qui ne pose pas de problème, puisque, comme le rappelle Simon, la migration rapporte plus qu’elle ne coûte. « On parle donc juste d’humanité, à partir de ce moment-là. De choix humains. »
Simon se lève, il a fini son café, lave sa tasse. Des bénévoles le questionnent sur le soutien scolaire, sur les diffusions de tracts sur le marché de Chamalières. Une femme sort avec ses enfants. Ils vont se promener malgré le froid. Plutôt que rester là, à l’intérieur.
« Tu vois, ces gens sont vraiment gentils. On nous ferait vivre ça, à nous, à nos enfants. Alors, certes, il y a de la résignation dans les yeux, mais moi j’y lis surtout l’injustice. »
A l’intérieur, les fillettes cherchent un crayon rose pour finir le coloriage. « C’est quand même plus joli avec de belles couleurs. »