Indépendant, humain et engagé : zoom sur Le Rio, cinéma associatif clermontois

Par Antoine Legrand

 

Il est des endroits incontournables dans une ville. Des endroits qui sont là depuis longtemps. Le cinéma Le Rio est de ces lieux qui au fil des ans, ont su s’enraciner dans la vie culturelle clermontoise. Combien de personnes peuvent dire qu’elles y ont vu leur premier film ? Sûrement de nombreuses. Plus petit cinéma de Clermont-Ferrand mais aussi un des plus anciens, Le Rio se démarque encore aujourd’hui par une programmation engagée et originale. A l’heure où il se singularise par une vie associative variée ainsi qu’un fonctionnement humain et collégial, Mediacoop est parti à la rencontre des salariés de ce cinéma singulier.

 

C’est Aurélie et Rémi qui nous ont ouvert les porte du cinéma pour nous raconter son histoire. Nous sommes prévenus d’emblée : « Le Rio a eu plusieurs vies ». Trois en l’occurrence. Tout commence en 1960 avec Nick Kéchichian, immigré arménien et cinéphile invétéré. C’est l’amour du cinéma qui le pousse à ouvrir une salle accolée à son appartement. C’est aussi la volonté d’un cinéma à taille humaine et d’un lien avec les spectateurs. Mais en 1990, Kéchichian est contraint de fermer Le Rio qui ne rouvrira ses portes que cinq ans plus tard grâce au sauvetage qu’entreprend le CE Michelin très engagé culturellement. Enfin, le comité se désengage en 2009 et Le Rio poursuit son aventure, porté par ses salariés et l’association Les Amis du Rio présidée par Jacques Juquin.

 

 

Un cinéma différent

Depuis près de soixante ans, Le Rio représente un cinéma différent. Labéllisé Art et Essai, il mise beaucoup sur le cinéma d’auteur mais pas que. « Notre programmation repose sur des valeurs précises. Pour les projections et les intervenants, différentes logiques influencent nos prises de décision avec d’abord des logiques de diversité. On se doit de montrer un cinéma différent, c’est notre mission, c’est ce qu’on souhaite faire » nous explique Rémi avant d’ajouter que « le Rio est aussi un cinéma militant en termes de principes républicains, écologiques, citoyens. Nous sommes un cinéma humain et humaniste. ». Il suffit de connaitre un peu le Rio pour comprendre que les films présentés ont pour but d’engager des questionnement, d’ouvrir le débat et la réflexion. L’unique écran qui le compose se fait aussi le relai de débats actuels. En témoignent par exemple la venue de Cédric Herrou en septembre dernier pour une discussion sur le film Libre de Michel Toesca au sujet de la solidarité envers les réfugiés ou le prochain débat en présence de François Ruffin mercredi 27 mars après la projection du film « J’veux du soleil » sur le mouvement social des gilets jaunes.

 

« Service public de la culture »

Et bien que ce genre de projections assurent souvent la venue de nombreux spectateurs, nos deux interlocuteurs n’hésitent pas à rappeler que la programmation reste toujours fidèle à la ligne du Rio : « On défend notre programmation, on l’assume complètement, on ne propose pas un film juste pour faire des entrées, nous sommes un peu comme un service public de la culture ».

Les rencontres font la spécificité du Rio. Des réalisateurs et acteurs viennent deux à trois fois par mois. Mais le cinéma est aussi très attaché à la diversité culturelle à travers le cycle Regards d’ici et d’ailleurs qui promeut des cinématographies étrangères et fragiles. Une programmation jeunesse variée est aussi présente toute l’année. Ce n’est pas pour rien que beaucoup de clermontois se souviennent des films du Rio comme de la première fois où ils se sont assis dans un siège rouge.

 

Un fonctionnement collégial et associatif

Il n’y a pas que dans la programmation que Le Rio se démarque. En effet, le cinéma expérimente depuis 2016 une forme de gestion commune. Le président des Amis du Rio, Philippe Laville n’a pas d’employés mais plutôt des délégués généraux. « Les responsabilités sont réparties entre tous et nous faisons avancer la machine tous ensemble en prenant les décisions de manière collective. C’est très enrichissant au niveau professionnel » nous détaille-t-on.

Le Rio se compose actuellement de quatre salariés, Sylvie, Alice, Rémi et Aurélie qui doivent alterner gestion, programmations évènementielles, communication et projections. Un ciné mono-écran n’est pas synonyme de farniente lorsqu’il est ouvert sept jours sur sept presque toute la journée et même les jours fériés. Précisons que le bénévolat garde un rôle majeur dans la vie du cinéma de quartier ainsi que la vie associative. « Un large vivier associatif gravite autour de nous et chaque évènement est en partenariat avec une association. L’avantage est que l’on peut tout faire avec l’outil cinématographique. On est donc sans-cesse sollicités par les associations pour faire passer leurs messages à travers des évènements » indiquent les deux collègues.

 

Un cinéma de quartier

Le Rio est un cinéma de quartier mais il s’ouvre à toute la ville. Il est l’exemple que la périphérie peut être l’auteur de sa propre culture comme l’explique Aurélie qui ajoute : « ce qui me dérange, c’est que quand on parle de ce qui se passe dans les quartiers, on parle d’associatif, de politique de la ville mais pas de culture ». La position périurbaine du cinéma ne doit pas être un motif de mise en retrait. A l’inverse, la notion de cinéma de quartier reflète ici l’idée d’un cinéma populaire, familier et à taille humaine.

Malgré son originalité, le Rio est confronté à des logiques concurrentielles compliquées. Les distributeurs favorisent souvent des exploitants plus grands et mieux placés au risque de mettre en difficultés les cinémas indépendants. « Même si on a les moyens techniques de passer le film, les contrats d’exclusivité sont donnés à des ensembles plus grands. On doit donc parfois attendre la 5ème semaine pour projeter un film alors que peu de gens attendent si longtemps . Deux cinémas à trois cents mètres de distance peuvent diffuser un film et pas nous ce qui pénalise notre cinéma mais aussi ceux qui vivent en périphérie. Les gens ne connaissent pas forcément ces logiques-là mais elles précarisent fortement notre économie » nous explique-t-on.

 

Le soutien des financiers et des collectivités est donc primordial pour Le Rio qui ne peut pas vivre seulement par l’autofinancement et qui se confronte à des logiques de plus en plus concurrentielles. Enraciné dans la vie culturelle et associative clermontoise, ce cinéma illustre l’importance d’une culture originale et alternative. Indépendant et résistant, Le Rio représente un relai solide pour exprimer des engagements humains et progressistes à travers le cinéma.

 

 

 

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