Raphaëlle Clarissou, agricultrice à Montmorin (63) :  » c’est mon histoire, et surtout un témoignage parmi d’autres sur le mal-être chez les Paysans »

Par Sébastien Massoulié.

 

A contrecœur, Raphaëlle Clarissou, exploitante agricole en élevage de volailles fermières, a décidé de stopper son activité, neuf ans après avoir investi les bâtiments familiaux dont elle a hérité. Pour témoigner de son parcours fait d’embûches et de déceptions, cette mère de famille, âgée de 43 ans, a accepté de nous ouvrir les portes de son domaine niché en bordure du Parc naturel régional Livradois-Forez.

 

Raphaëlle au marché de Billom (©Radio Coquelicot)

Situé non loin de Billom et de Montmorin, « Les volailles du Domaine de Champ-Redon » abrite modestement un petit corps de ferme datant du XIXème siècle. C’est ici que Raphaëlle a décidé d’installer son exploitation agricole aujourd’hui vouée à disparaître. A notre arrivée, nous sommes surpris par l’ancienneté des bâtiments ; la pierre y est brunâtre. Une fois que nous nous sommes garés, une femme, la quarantaine, vient à notre rencontre. Lunettes de soleil sur les yeux, elle ne tarde pas à nous faire découvrir son monde. Sans trop de peine, nous devinons rapidement le sentiment d’affection qu’éprouve Raphaëlle à l’égard de cette bâtisse.

 

« Je suis installée en mon nom propre donc cela signifie que je vais perdre mon activité, mon patrimoine familial »

 

S’improvisant guide, cette mère de famille nous raconte brièvement l’histoire de ces murs : « Mes arrière-grands-parents étaient paysans. Mon arrière-grand-mère est décédée en 1978. Entre temps, les bâtiments ont été utilisés par un fermier. Il se servait des terres… Il avait des vaches et faisait un peu de culture. Mais il utilisait des bâtiments de ferme qu’il a laissé se dégrader ». Face à la détérioration progressive du patrimoine familial, Raphaëlle, affectée, a eu l’idée d’entreprendre à nouveau une activité agricole afin de pouvoir le restaurer : « Lorsque je suis arrivée, les toits étaient en train de finir de s’effondrer. Ça me faisait un petit peu mal au cœur ». Après avoir établit un système de donation avec ses frangines,  elle a finalement hérité du corps de ferme et d’un bout de terre. Pointant son doigt vers la route, Raphaëlle nous montre son champ « qui ne fait pas tout à fait six hectares ».

Emboitant son pas, nous avançons jusque dans la cour où se trouve une soixantaine de poules pondeuses élevées en plein air. Où en est le projet de Raphaëlle aujourd’hui ? Vraisemblablement, aucun élément concret ne nous permet de pressentir de quelconques difficultés. Ses volailles semblent être en bonne santé ; son héritage a été remis à neuf. Quels soucis peut-elle rencontrer ?

Raphaëlle ne tarde pas à répondre à nos questions avec une pointe de regret et d’amertume : « Depuis le 1erjanvier, je suis menacée de redressement judiciaire. Je suis installée en mon nom propre donc cela signifie que je vais perdre mon activité et mon patrimoine familial. Et cela ne suffira certainement pas à éponger la dette bancaire que j’ai entretenue au fil des années ». Après neuf années de travail intense, Raphaëlle n’est jamais parvenue à se tirer un vrai salaire. Pour elle, cette activité n’a jamais été rentable : Trop de temps passé sur une production limitée et des investissements trop lourds qui ont eu raison de son moral.

 

« L’agriculture, ça ne me tentait pas, ce n’était pas sexy du tout. Je me voyais plutôt dans le côté high-tech »

 

L’heure tourne.  Nous l’accompagnons à proximité d’une fontaine. L’eau qui coule se mêle au chant des oiseaux. De ce tableau champêtre émane une grande pureté ô combien paradoxale après le témoignage poignant que nous venons d’écouter. Pour que nous puissions mieux saisir son cheminement personnel, Raphaëlle revient sur son passé : « A la base, je ne suis pas issue du monde agricole. J’ai suivi une formation d’infographiste multimédia ». Étonnamment, elle nous révèle qu’elle a réalisé ses études à la fac d’histoire de l’art. Trouvant sa formation un peu légère, elle n’a pas souhaité évoluer professionnellement dans cette voie : « Sincèrement, je ne trouvais pas honnête de vendre un savoir-faire qui étais assez limite par rapport à des gens autodidactes passionnés qui y avaient passé des heures et des heures ».

Pourtant, l’agriculture ne s’est pas révélée immédiatement comme un domaine de prédilection au sein duquel elle pourrait faire carrière : « L’agriculture, ça ne me tentait pas, ce n’était pas sexy du tout. Je me voyais plutôt dans le côté high-tech. J’étais toujours tirée à quatre épingles en train de faire la fête tous les soirs avec des copains. C’étaient l’image qui me correspondait à ce moment-là ».

Finalement, c’est son amour pour le patrimoine qui l’a poussé à devenir agricultrice. Seule, elle a décidé de monter ce projet agricole en se concentrant exclusivement sur l’élevage de volailles : « C’était à mon échelle. Mes parents avaient déjà quelques poules dans la cour pour les œufs ; ils faisaient du poulet pour notre autoconsommation. Je voyais comment ça s’élevait. C’était un animal que j’étais capable de tuer, de plumer et d’aller vendre ».

 

« Je me suis énormément endettée »

 

C’est ce qu’elle a fini par faire en 2010. Mais depuis neuf ans, tout ne s’est pas passé comme prévu. Comme elle nous le précise trivialement, plusieurs choses l’ont faite « plonger ». D’abord, le fait de ne pas avoir baigné depuis sa plus tendre enfance dans le milieu agricole a joué un rôle non négligeable d’après elle : « J’ai dû faire face à des réalités dont je n’avais pas conscience. Je ne maîtrisais pas tout. Je n’ai pas forcément été bien conseillée lorsque j’ai réalisé le dossier d’exploitation. Je crois que mon optimiste a été un peu trop communicatif pour les gens qui m’ont aidé à mes débuts. Ils n’avaient pas l’habitude de s’occuper de petite exploitation comme la mienne je pense ».

Ensuite, le niveau de production initialement fixé n’a jamais pu être atteint. Pour cela, il aurait fallu que Raphaëlle réinvestisse pour pallier le manque d’infrastructures mais aussi le manque de bras. « Je suis à peu près à 3000 volailles par an. Sur le papier, je devais quasiment faire le double » précise-t-elle. Pour illustrer ses propos, elle nous conduit jusqu’à ses pigeons. A l’abri des prédateurs, vingt couples vivent en volière. « Un jour un restaurateur m’a contacté. Il était très intéressé par ma production. Il voulait des pigeons. Très bien ! Sauf que lui avait besoin de 300 pigeons par mois. C’était inenvisageable. A la rigueur, je pouvais lui en fournir une dizaine, et encore ».

Au milieu de la volaille qui investit la cour principale, Raphaëlle évoque également le rôle néfaste de la crise : « En 2012, on nous a inventé la crise.  Je ne la nie pas mais les médias en ont tellement fait que les gens ne voulaient plus dépenser car sinon ils avaient l’impression que la situation allait être pire». Face à cette crainte populaire, elle n’a pas pu augmenter ses prix au risque de perdre des clients. Se retrouvant dans l’incapacité de produire plus, elle s’est mise à travailler pour la banque : « Je me suis énormément endettée. Il fallait que je rembourse mais je n’y suis pas arrivée ».

Après avoir rénové son corps de ferme, Raphaëlle a aménagé un laboratoire d’abattage. Un « sacré investissement » selon ses dires. A flux tendu, cette jeune agricultrice, qui a décidé d’enfiler les bottes à l’âge de 34 ans, aurait pu rembourser ses emprunts en étalant sa dette sur plusieurs années. Or, le destin en a décidé autrement puisque deux tempêtes ont dévasté les cabanes censées abriter ses volailles. « Il a fallu réinvestir». Raphaëlle nous apprend qu’elle a notamment été victime de vol. Tous ces éléments conjugués l’ont poussé peu à peu à envisager l’avenir autrement.

 

« Un agriculteur, lorsqu’il a arrêté de se plaindre, c’est qu’il est mort ! »

 

« Au tout début, j’avais la volonté d’exercer ce métier jusqu’au bout » semble-t-elle regretter. Aujourd’hui, Raphaëlle n’envisage plus de transmettre ce patrimoine agricole à ses trois enfants. Passé la quarantaine, elle voudrait se reconvertir professionnellement car, d’après elle, son corps et sa motivation se sont usés avec le temps.  Elle ne semble plus vouloir faire face à la pression à laquelle elle est soumise en tant qu’agricultrice. Chaque matin, elle se demande « Qu’est-ce qui va bien pouvoir me tomber sur le casque aujourd’hui ? ». La motivation a cédé la place à l’épuisement physique et moral : « Initialement, je n’ai pas la vocation alors je pense que je me suis épuisée plus vite » avoue-t-elle éreintée.

Raphaëlle ne souhaite pas étaler ses états-d’âme. Mais tout en poursuivant la visite de son exploitation, elle nous confesse que, beaucoup d’agriculteurs sont en difficultés aujourd’hui. Certains, continuent malgré tout… Mais d’autres augmentent les statistiques. Raphaëlle ne souhaite pas faire partie de la seconde catégorie. Malgré les verres qui dissimulent son regard, nous saisissons le mal-être qui semble être enfoui en elle depuis tant d’années.

A cet instant même, elle repense à sa famille, à ses enfants, … « Je ne veux pas en arriver là car j’estime que j’ai autre chose à donner » dit-elle en relevant la tête. Raphaëlle décide d’aller plus loin dans son raisonnement : « La porte de sortie, vous ne la voyez pas. Moi, j’ai cru l’entrapercevoir à un moment donné. Je me suis assis sur ce qui me restait de dignité pour appeler au secours en ouvrant une cagnotte sur internet. Mais elle n’a pas marché. Je suis loin du compte ». Poursuivant, elle dédaigne celles et ceux qui pensent que « les agriculteurs sont toujours là à se plaindre ». Alors que l’écoulement de l’eau ruisselle jusqu’à nos oreilles, elle conclut sa pensée en lançant abruptement : « un agriculteur, lorsqu’il a arrêté de se plaindre, c’est qu’il est mort ! ».

Si elle ne désire pas accroître les statistiques, Raphaëlle concède qu’elle a déjà pensé au suicide : « Parmi les agriculteurs que je connais, tous y ont déjà pensé ». Sa famille est très présente mais « la solitude peut s’exprimer de différente façon » selon elle. « Quand on ne va pas bien, on efface cette solitude avec une corde ». Se voulant rassurante, elle conseille à tous les agriculteurs de ne pas hésiter à demander de l’aide. Pour cette agricultrice, l’entourage a été un élément essentiel. « Moi, je me suis dit que j’aurai une autre vie après ça. Les gens qui n’envisagent pas un avenir, je ne sais pas ce qu’il leur reste ».

 

« Je ne veux surtout pas que ce bien familial soit saisi et vendu aux enchères pour une bouchée de pain »

 

Autour de nous, le lieu est calme et paisible, en total discordance avec le témoignage de Raphaëlle. Elle profite de notre présence sur place pour nous expliquer les rouages de son métier. Un métier qu’elle exerce 70 heures par semaines, sept jours sur sept, 365 jours par an. Avançant pas à pas à travers son domaine, nous découvrons également le lot de pintades qu’elle s’apprête à « faire passer dans les prochaines semaines ». Des poulets gambadent eux aussi dans le pré au milieu duquel sont disposés deux yourtes permettant d’abriter les volailles qu’elle élève. Particulièrement fière de ce qu’elle a réalisé, elle se plaît à rappeler que sa production est primée chaque année au « fermier d’or ». « Un gage de qualité qui n’est malheureusement pas suffisant pour pouvoir vivre de mon métier ».

Notre entretien se termine non loin d’une marre sur laquelle pataugent une quarantaine de canards : « Il faut que les gens mesurent ce que c’est que l’agriculture dans la vie d’un professionnel pour comprendre. C’est toute sa vie. On s’implique corps et âme. Et se faire arracher sa terres… C’est… C’est horrible ! C’est impensable ! C’est au-delà de tout ! ». Malgré les menaces qui pèsent sur son héritage, Raphaëlle pense pouvoir rebondir : « Je peux me motiver pour pleins de choses. Je suis extrêmement polyvalente. Du travail alimentaire, ça ne me fait pas peur… J’en ai déjà fait lorsque j’étais étudiante. Je peux y retourner, ce n’est pas un problème ».

Surtout, elle, qui n’est pas issue du monde agricole, « veut faire de cette différence, une force ». Finalement, Raphaëlle dévoile une volonté sans faille : « Ça fait des années que je galère mais aujourd’hui, je ne suis pas prête à laisser partir mon patrimoine. C’est mes aïeux qui ont construit ça pierre par pierre. Je continuerai à me battre bec et ongles. Si un morceau de terres doit partir… Tant pis ! Mais je ne veux surtout pas que ce bien familial soit saisi et vendu aux enchères pour une bouchée de pain ».

 

 

Si vous souhaitez retrouver le témoignage poignant de Raphaëlle, rendez vous sur Radio Coquelicot. Cette radio associative , localisée à Ebreuil (03), a réalisé un reportage sur la situation critique dont est victime cette agricultrice dans le cadre de l’émission  » l’Allier de l’info » -> lallier-de-linfo-le-tri-sélectif-où-en-est-on-070319

Par ailleurs,  dans le cadre de l’émission  » Ça bouge sur le territoire » (le dimanche 21 avril 2019 à 12 h 30 sur Radio Coquelicot 99 FM ou sur http://www.radiocoquelicot.com/ ), un reportage d’une heure sera consacré à Raphaëlle dont le cas – pas si isolé que ça – symbolise le mal-être chez les paysans. Ce reportage sera également disponible en podcast (sur internet) juste après sa diffusion sur les ondes de Radio Coquelicot en cliquant sur le lien suivant : https://www.mixcloud.com/RadioCoquelicot/ca-bouge-raphaelle-clarissou-symbole-dune-agriculture-en-souffrance/.

 

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