15 septembre 2023, 8 heures du matin. Nous sommes au Secours Populaire afin de passer la matinée avec les bénévoles. Adrien, secrétaire général adjoint du Secours Pop’ Puy-de-Dôme nous explique le fonctionnement de la branche locale. On fait le tour du propriétaire entre distribution de nourriture, tri des fringues et déchargement des camions. Le jeune homme nous raconte surtout qu’avec l’inflation, la précarité ne cesse d’augmenter, tout comme le nombre de personnes qui dorment à la rue.
31 octobre, 18h30. Nous sommes de retour dans les locaux de l’association. La situation ne s’est pas améliorée. C’est même le contraire. La semaine passée, on a reçu un mail de Nicole Rouvet, emblématique secrétaire générale du Secours Populaire dans le Puy-de-Dôme. En pièce jointe, un document.
Voilà ce qu’on peut lire : « Depuis des mois, le Secours populaire du Puy-de-Dôme fait ce constat alarmant : de plus en plus de personnes sont sans solution d’hébergement à Clermont-Ferrand, et dorment dans la rue. Toutes ces personnes sollicitent notre association quotidiennement pour tenter d’obtenir un soutien et être accompagnées pour trouver des solutions d’hébergement via le 115. Plus de 50 personnes sans solution d’hébergement se présentent chaque jour dans notre permanence. Parmi elles, la moitié sont des familles avec enfants, dont certains en très bas âge. ».
Face à cette situation, hier à 18h30, une distribution de soupe et de boissons chaudes a été organisée pour toutes les personnes sans solution d’hébergement. On donne aussi des duvets et couvertures afin d’apporter un peu de chaleur avant une nouvelle nuit à la rue.
+130%
Nous sommes en avance mais le parking du bâtiment est déjà bien fréquenté. On profite du temps que l’on a pour échanger avec Fabien Couderc, responsable du logement et de l’hébergement. S’il parle des crises de 2009 et 2017, cette année, le contexte est encore pire, notamment à cause de la restriction du 115. Conséquences : un manque de places mais aussi d’accessibilité pour les personnes dans le besoin avec des lignes complètement saturées par moment.
Au Secours Populaire, à l’été 2023, le nombre de personnes sans solution d’hébergement a augmenté de 130%. Rappelons que « sans solution d’hébergement », ça veut dire même pas chez un tiers. « C’est faramineux ! », explique Fabien. « 80% de ces personnes sont demandeurs d’asile. Ils sont éligibles mais il n’y a plus de place en CADA ou au 115 ».
Du jamais vu
Ici, l’accueil est inconditionnel. On reçoit tout type de public. En revanche, de plus en plus de femmes seules et d’enfants passent les portes du Secours Populaire. « C’est nouveau ça à Clermont-Ferrand. », constate Fabien Couderc. « Le matin, quand les collègues ouvrent, il y a déjà 10 ou 15 personnes devant qui ont passé la nuit dehors. On demande des ouvertures de places en plus ou au moins l’ouverture d’un gymnase. Il faut absolument visibiliser ces personnes. Et si les citoyens ne s’emparent pas de ce sujet, les lignes ne bougeront jamais. », conclue ce dernier.
« J’appelle tous les jours le 115 »
En arrivant, on pensait pouvoir discuter avec quelques personnes, les rares qui acceptent de parler de leur situation compliquée. Finallement, près de 20 hommes et femmes se sont succédés pour nous raconter leur souffrance. Le désir de s’en sortir est bien plus fort que la honte.
À 18h30, la distribution commence. Madame Konaté était parmi les premières. Elle veut nous parler. On s’écarte un peu de la file. Elle explique : « Je suis en France depuis le 7 octobre. Je viens de Guinée-Conakry. J’appelle tous les jours le 115 mais on me dit qu’il n’y a pas de place et on me souhaite bon courage. Je dors souvent à la gare ou dans un jardin pas très loin mais je me suis faite agresser. Là, j’ai récupéré un duvet et je vais retourner à la gare.»
Pour eux non plus, les coups de fil ne donnent jamais rien. Dans la famille, ils sont cinq. Ils viennent d’Albanie. La maman n’est pas là. Elle a des problèmes de santé et est hospitalisée. Une des petites a également des problèmes de cœur. C’est normalement un motif de priorité pour la prise en charge. Mais pas là. Lorsque la famille a été déboutée de sa demande d’asile, elle a dû quitter le CADA. C’était le 31 juillet. Depuis, c’est la rue.
Souffrance physique et mentale
Neto tient absolument à nous parler. Il fait bien 2 têtes de plus que nous mais son sourire est rayonnant. Dans un langage mêlant français et portugais, ce dernier raconte qu’il a 3 enfants mais n’a pas de place d’hébergement depuis presque 6 mois. Sa femme souffre de problèmes psychologiques que la situation aggrave. « Elle pleure tous les jours. », confie le père de famille.
Pour les hommes de la Sierra Leone aussi, l’impact psychologique est très fort. Ils sont une dizaine. Certains sont venus seuls, d’autres avec leur famille. Pas tous en même temps. Enfin, hier soir, ils étaient tous ensemble autour de notre journaliste pour parler de leur situation.
« On ne peut pas manger, dormir ou prendre une douche », commence l’un d’entre eux. Un autre s’énerve un peu. Pas contre ses camarades ni contre nous ou le Secours Populaire mais contre la France et son gouvernement qui ferme les yeux. « Quelle-est la différence entre moi, qui suis aussi un être humain et d’autres ? », demande-t-il pour dénoncer le fait que certains soient là depuis plus longtemps mais que d’autres personnes aient un logement avant eux.
« Il n’y a aucune logique dans l’attribution des logements. Ça n’a jamais été aussi catastrophique. Avant, on arrivait à faire bouger les choses mais aujourd’hui, tu le vois, il y a des femmes seules, des bébés. Les gens n’ont aucune information sur les prises en charge et ici, on voit leur état physique et psychologique se dégrader. », explique Silane, salariée au Secours Populaire. Cette dernière explique que lors de son dernier bilan du 10 octobre, elle a comptabilisé 85 personnes à la rue dont 33 enfants.
« Je suis venu ici en traversant la Grèce et la Turquie. Pendant un mois, je n’ai pas dormi et presque pas mangé. ». explique un jeune homme qui pensait trouver une vie meilleure. « J’ai déjà pensé à me tuer. », avoue un homme. Un couple s’approche. La femme explique que son mari est malade et que les nuits dehors sont une épreuve.
Les témoignages sont nombreux. Avant de partir, nous croisons deux femmes. L’une d’elles porte un bébé de 1 an. Des enfants, il y en a bien d’autres. Si l’hiver n’est pas encore installé, le froid lui est déjà là. La préfecture du Puy-de-Dôme a déjà fait savoir qu’elle n’ouvrirait pas de places supplémentaires cet hiver.
1 réflexion sur “Contre le froid et la faim, de la soupe des duvets et la chaleur du cœur”
donner la parole à ces personnes à la rue, c’est honorable mais largement insuffisant. Donner à manger et un duvet, ça mélange bons sentiments et nécessité. L’humanitaire est la caution du mépris de l’état pour ces souffrances invisibles comme dit le responsable du SPop. mais l’excès de morale dans ces affaires est entendues ; faut les aider, leur venir en aide, aller vers eux.
Avant dès les premiers froids tout était fait pour éviter le pire ; la mort des SDF dans la rue. Maintenant, l’état affiche une autre posture.
L’état dixit le nouveau préfet ne veut pas s’en occuper de tous les sans abris puydomois, c’est clair. Regarder ailleurs pour ne pas se confronter à une misère humaine toute proche serait presque bon signe. Mais il s’agit plutôt d’un geste qui vise à la substitution du problème des sans abris par une gestion irresponsable, des demandeurs d’asile. Ce n’est pas les places qui manquent ; c’est un alibi simpliste relayé par le 115. la norme administrative n’est plus le toit mais la rue. Cette norme met des vies en danger. Celles des familles étrangères.
« Évidemment la rue. Qu’est ce que vous croyez ?Vous n’imaginez pas tout de même que l’on bichonner tous ces parasites ad vitam. Et avec de l’argent public en plus. Logés, nourris, blanchis, chauffés…Et à ne rien faire de la journée ! Et quoi encore ! » Extrait du choquant livre de Patrick Declerck » Le Sang nouveau est arrivé ». Mais ne n’est pas tant les sdf que les personnes issues de l’immigration qui sont maintenant délaissées. Risquer sa vie en traversant la mer et maintenant risquer de mourir de froid, ou du moins de l’indignité. Est ce que les CADA sont concernés par la trêve hivernale?