« Sans nous, n’importe quel bahut ferme » : Première mobilisation, première victoire des AED face au rectorat.

Ce matin, à Clermont-Ferrand, se tenait une manifestation historique : A l’occasion de leur premier rassemblement autonome, les AED ont obtenu de la part du rectorat des contrats plus longs, moins précaires.

Oh, ce n’était pas le grand soir. Les rues n’étaient pas noires de monde, comme dans certaines manifestations enseignantes auxquelles ils avaient participé. Et pourtant, pour la grosse centaine d’AED rassemblée sur le parvis du rectorat, ce matin, à 10 heures, c’était une première, une mobilisation historique. Jamais les assistants éducatifs du pays ne s’étaient ainsi coordonnés pour demander que cesse la déconsidération de leur métier, qui est pourtant nécessaire au fonctionnement de l’ensemble des établissements de l’Education Nationale. Au mégaphone, Davy Delfour, AED syndiqué à la CGT Éduc’Action, félicite ses camarades « la mobilisation est là, ça débraye de partout. »

Il faut dire que ce ne sont pas les raisons de se mobiliser qui manquaient aux AED. « Il y a des élèves dans mon établissement qui me confient qu’ils songent à quitter l’école pour rentrer dans l’armée, pour l’argent, parce qu’ils ne voient aucun autre débouché. Mon rôle à moi ce serait de les encourager à passer le bac, à poursuivre des études, mais comment le faire quand en réalité, tout ce que cela m’a apporté, c’est d’être traité comme un travailleur de second rang par l’éducation nationale ? » Le malaise est profond, et le mépris de l’institution parfaitement symbolisé par les primes REP+, qui sont attribuées aux établissements scolaires situés dans des zones d’Éducation Prioritaire, et que touche l’ensemble du personnel, à l’exception des AED et des assistantes sociales.

Dans certains établissements de Clermont-Ferrand, ce dédain pousse des proviseurs à refuser aux assistants l’exercice de droit constitutionnels tels que le droit de grève. « On s’est carrément fait traiter d’abrutis par le principal », confie l’équipe de vie scolaire d’un établissement clermontois (dont elle a préféré taire le nom afin d’éviter des représailles). En cause, la participation des AED à la grève du 10 novembre, organisée par les syndicats d’enseignants pour protester contre l’absence de moyens pour mettre en place les mesures sanitaires. « D’abord, il a convoqué une réunion de service pour nous sermonner. Puis, il a fait du chantage à la grève en déclarant que ‘pour compenser’ on n’aurait plus droit aux autorisations d’absence. Pendant la réunion, il a été particulièrement désagréable, mais cela n’apparaît pas dans le compte rendu, comme cela le devrait. Puis il a convoqué le reste de la vie scolaire, et il nous a pourri devant tout le monde. Moi, je prenais tout ça en note, jusqu’à ce qu’il m’interdise d’écrire parce que ‘ça ne devait pas sortir de la salle’. » L’équipe d’un autre établissement clermontois décrit, elle aussi, un incident similaire : « Notre principal à nous a été plus stratégique. Il a repéré les grévistes les plus chevronnés et les a pourris séparément, puis il a pris les moins militants à part pour les monter contre les premiers. » Heureusement, dans un de ces deux cas, « le principal est redevenu tout gentil : il a peur que les syndicats réagissent. »

À quelques pas de là, d’ailleurs, un enseignant syndicaliste encourage les prises de paroles : « Pour une fois que vous êtes sur le devant de la scène, profitez-en, c’est important ! ».  De toute évidence, l’ensemble du corps éducatif est au fait de ce dédain institutionnel. Il faut dire que le mépris ne se cache pas : « Notre temps de travail hebdomadaire est censé être de 41h30, mais en réalité, dans les internats, on fait plutôt 48 heures, voir 52 heures pour ceux qui restent trois nuits par semaine. 1200€ pour 52 heures de travail, c’est acceptable, ça ? Aux heures de travail non reconnues s’ajoutent les heures perdues dans les transports, c’est épuisant. » Outre les horaires, il y a l’absence de perspectives d’avenir : les AED sont recrutés pour des contrats d’un an, reconductibles jusqu’à six fois. Mais, à l’issu de ces six ans de travail, aucune validation d’acquis n’est possible. Difficile donc de reprendre des études ou de valoriser son expérience en tant qu’AED. « On nous traite comme si notre métier n’exigeait aucune compétence. On est précaire et, dans certains établissements, on cherche à nous remplacer par des jeunes en service civique, encore plus précaires. Décidement, c’est profiter de la misère. »

Sans surprise, la pandémie de coronavirus n’a rien fait pour arranger la situation. Étudiant, AED et syndiqué à l’UNEF, Paco explique la position délicate dans laquelle les assistants se retrouvent du fait de l’épidémie : en tant que responsables du respect des règles sanitaires, ils sont en première ligne face au virus et aux incivilités, qu’elles émanent des élèves ou des enseignants. Ce sont eux qui font appliquer les protocoles sanitaires, quand ils ne sont pas tout bonnement chargés de les concevoir. Alors, il leur arrive de devoir rappeler un enseignant ou un assistant à l’ordre. En général, cela se passe bien, mais parfois, certains collègues se braquent ou les insultent. Outre les tensions, les moyens manquent : « On a dû batailler pour avoir du savon » s’amuse un AED. Quand Romain, son collègue, lui demande s’ils ont des masques à l’internat, il répond simplement « Allons, allons … ».

Aux alentours de onze heures, le rectorat ouvre ses portes à une délégation réduite, pandémie oblige. Elle arrache une première victoire sous la forme d’une promesse : le recteur s’engage à travailler pour que, à l’avenir, les AED puissent être recrutés pour des contrats de trois ans, plutôt qu’un seul, comme c’est la règle aujourd’hui. Pour le reste, il botte en touche : en matière de statut, d’heures de nuit, de primes REP+ ou de point d’indice, il en va de la compétence du Ministère.

Du côté des syndicats, on se réjouit de cette décision. « Certes, cela ne résout pas tous les problèmes, mais si le rectorat tient parole, la situation des AED devrait s’en trouver nettement améliorée. » Ces nouveaux contrats devraient non seulement éviter aux assistants de perdre leur emploi à la fin de chaque année, mais aussi leur permettre de suivre les élèves sur le long terme, et donc de construire la relation de confiance nécessaire à un accompagnement de qualité. Cela étant dit, pour espérer obtenir la revalorisation du point d’indice et l’augmentation des effectifs, « il va falloir que l’ensemble du personnel de l’Éducation Nationale converge et porte ces revendications communes. »

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