« Ma fille n’est pas morte, elle a été tuée »

tiffany
C’est une petite voix au bout du fil. « On m’a conseillée de vous appeler. Je suis la maman de Tiffany, morte dans le manège à Clermont-Ferrand. » Silence. Et puis, elle a tout raconté. Sans pleurer. Avec force. Et dignité. Elle s’appelle Virginie.

« J’ai toujours été une maman poule. Je disais à mes enfants de s’attacher en voiture, de faire attention dans la rue, de ne pas boire, pas fumer. J’ai toujours voulu les protéger. Mais jamais, je n’ai pensé à dire à mes enfants qu’ils devaient faire attention dans les manèges. »

Tiffany adorait les attractions à sensation. Elle pouvait faire 10 fois le même manège tant qu’il lui mettait la tête en bas. « Pour elle, les fêtes foraines, c’était le lieu de l’insouciance. Moi, j’aime pas ces manèges, je suis trop peureuse. Je restais toujours en bas. »

Un coup de fil en plein après-midi

Mais ce samedi-là, jour de l’ouverture du Cristal Park de Clermont-Ferrand, Virginie ne sait même pas que Tiffany va à la fête foraine avec son amoureux. « Je l’ai eue la veille, elle était énervée car elle était en période d’examens. Elle avait pas mal de boulot. » Etudiante en 2eme année d’économie-gestion, la jeune fille de 22 ans avait emménagé à Clermont-Ferrand, dans un petit appartement. « Tout allait bien : ses études, ses amours, sa petite vie indépendante. » Raconte la maman.

Virginie est en voiture, avec sa petite de 12 ans quand son téléphone sonne. C’est son mari qui la prévient : La maman du petit ami de Tiffany a appelé sur le fixe . Quelque chose de grave est arrivé. Virginie se rend sur place, avec sa cadette. Elle n’imagine pas un instant qu’elle a perdu son enfant.

« Lorsque je suis arrivée à la fête foraine, j’ai vu des bâches, des couvertures, des rubalises rouge et blanches. Mais là encore, je ne pouvais pas m’imaginer qu’en allant s’amuser, Tiffany  perdrait la vie. »

Aucune prise en charge de la douleur de la famille

Pourtant, les policiers sur place lui demandent de la suivre dans une fourgonnette. On lui raconte rapidement. Sans détails. Personne ne sait réellement, à ce moment-là, ce qu’il s’est passé. Mais, Tiffany était dans un manège à sensation, quand son corps a été projeté sur les barrières de sécurité avant d’atterrir sur le toit de la caisse. Tiffany est morte. Sous les yeux de son petit ami. Et de dizaines de personnes. Certaines sont tombées dans les pommes. D’autres ont dû être prises en charge rapidement.

On emmène Virginie au CHU. « On nous a mis dans une salle toute petite, j’ai été obligée de sortir, j’étouffais. » On lui explique qu’une autopsie aura lieu. Qu’elle ne peut pas voir sa fille. Qu’elle doit rentrer chez elle. Qu’on l’appellera.

« C’est comme ça que le samedi soir, je suis sortie du CHU, avec juste un arrêt maladie dans la main. Je devais rentrer chez moi, alors que je venais d’apprendre que ma fille était morte, tombée d’un manège. Je ne savais rien d’autre. Personne ne m’a prise en charge. »

Il faudra quatre jours à la maman avant de revoir sa fille. « Ils avaient réussi à bien la maquiller, mais on voyait que sa mâchoire, ses yeux avaient été touchés. » Virginie aurait tellement voulu la voir avant.

Puis, plus rien.

Pas un appel, pas un soutien psychologique, pas de nouvelles de l’enquête.

« C’est violent ça aussi, la solitude et surtout ne rien savoir, attendre. » Elle contacte Maitre Portejoie, avocat au bureau de Clermont. Elle apprend par un journaliste de La Montagne que l’homme en charge du manège a pris la fuite, car il n’avait pas de papier, pas de contrat. « On m’a dit qu’on ne le retrouverait peut-être jamais. Mais pourquoi a-t-on mis quelqu’un sans contrat et peut-être sans expérience, à la responsabilité d’un manège aussi dangereux ? »

Elle apprendra aussi que la ceinture était défectueuse, le harnais n’était pas attaché mais que le manège est quand même parti. « En fait, Tiffany n’est pas morte, elle a été tuée. C’est très différent. Des gens sont responsables de sa mort. Parfois j’en ai voulu à Tiffany : Pourquoi est-elle montée dans un manège aussi dangereux ? Mais en fait, elle avait confiance. Elle n’est pas responsable. »

Des messages d’insultes sur les réseaux

Virginie passe son temps sur Internet, à chercher des témoins, à parler avec des familles endeuillées de la même façon. « J’ai pris conscience que cela arrivait assez régulièrement que des personnes meurent sur des fêtes foraines. » Pour Virginie, il existe un réel problème dans le contrôle des manèges. « Je ne parle pas des petits manèges, mais dès qu’il y a de la vitesse, il faudrait plus de contrôles, plus de vigilance. On ne devrait pas mourir en voulant s’amuser. »

Et puis, difficile pour cette maman que de voir que le parc d’attraction n’a pas fermé ses portes. « Quand je suis arrivée sur place, ma fille venait de mourir, et bien autour, les manèges continuaient. » Aucun jour de deuil n’a été décrété sur le parc, en hommage à la jeune victime.

Virginie a commencé à parler avec colère. « J’ai tellement peu qu’une autre maman vive ce que je vis. » Elle lance une pétition pour la fermeture de la fête foraine. Pour que les manèges soient plus surveillés.

Mais elle doit se confronter à une autre violence : celle des réseaux sociaux.

« On m’a dit que Tiffany n’avait rien à faire sur ce manège vu qu’elle était en surpoids. Qu’elle était trop grosse en fait. » Depuis son arrivée à Clermont-Ferrand, Tiffany avait pris du poids, elle mesurait un mètre soixante-dix pour quatre-vingt-dix kilos. « Si elle était trop grosse, il fallait lui interdire de monter dans ce cas-là. Mais là encore on me dit que c’est la faute de ma fille. »

Aussi horrible que la grossophobie, des messages insultent cette maman endeuillée. « J’ai reçu des messages qui me disaient que j’allais toucher des millions d’euros d’assurance, qu’il fallait que j’arrête de me plaindre. »

Virginie, malgré les insultes, a besoin de savoir. « Je sais que je serai malheureuse toute ma vie. Je sais que désormais, pas un jour ne passera sans cette douleur d’avoir perdu mon enfant. Mais ce qui pourrait atténuer ma douleur c’est de savoir. Une deuxième expertise aura lieu sur le manège. C’est long. Ce silence. Cette non-prise en charge. Ma fille de 12 ans, mon petit garçon de 10 ans ont besoin de voir un psy. Ils ont perdu leur sœur dans un manège. Et bien c’est à nous de faire les démarches, car personne ne nous appelle. C’est une violence qui s’ajoute à la violence du deuil. »

Bien sûr, cette maman, qui travaille de nuit en EHPAD, a besoin que le coupable paie. « Je ne veux pas que les responsabilités du gérant du manège soient atténuées. Il a tué. Il ne peut pas continuer à vivre avec sa famille, il doit répondre de sa négligence. Son emprisonnement ne fera jamais revenir Tiffany, mais je ne supporte pas qu’il puisse être libre. Pour moi, il est dangereux. Et puis, il nous a ôté tout notre bonheur.« 

Matériel défectueux et personne en fuite

Le 1er janvier, Tiffany était venue garder son petit frère et sa petite sœur pendant que sa maman travaillait de nuit. Elle aussi, pendant les vacances, elle travaillait auprès des personnes âgées. « Nous avions travaillé ensemble pour les vacances de noël. Tiffany avait du caractère. Il nous arrivait évidemment de nous disputer. Je la trouvais bordélique et moi je suis maniaque. Mais, nous nous entendions bien. C’était une jeune femme pleine de vie, et de projets. Elle aimait les sensations fortes. Elle n’avait peur de rien. »

Pourtant, Tiffany aurait prévenu son voisin sur l’attraction. Elle se serait rendue compte qu’elle n’était pas attachée, mais le manège avait déjà démarré. « Par exemple, j’ai besoin de savoir si ma fille a eu peur, si ma fille s’est vue mourir. Si elle a souffert, si elle est morte sur le coup. Personne ne me répond. »

Silence.

Puis Virginie dans un souffle, me dit : « Vous savez, il y a quelque chose d’horrible aux pompes funèbres, quand on vous demande si on veut une crémation, un enterrement du corps. Je suis restée bête. Je n’avais jamais parlé de ça avec ma fille, Tiffany. Je n’avais jamais imaginé qu’on me poserait un jour cette question. Elle représentait la vie. »

Tiffany avait 22 ans.

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