Pourquoi votent-ils RN ?

Durant l'année écoulée, nous sommes allés dans les campagnes à la rencontre des habitants. Parfois, nous avons discuté politique. Et parfois, nous tombions sur des électeurs de Bardella. Portrait de ceux qui ont décidé de faire confiance à l'extrême-droite.

André, 60 ans

« Entre ». Le mot devient un ordre. Dans le petit appartement d’une petite ville du Puy-de-Dôme, André, 60 ans, pose la cafetière pleine sur la table. Il ouvre la fenêtre du deuxième étage de cet immeuble accolé à une pharmacie. Allume une clope.

Se pose. « Je vote extrême-droite, oui. Et pourtant, je viens d’un milieu ouvrier. La gauche a fait beaucoup pour nous. Mais, depuis, ils sont devenus méprisants. J’ai voté Mitterrand. Il n’a pas été à la hauteur. J’avais espoir en lui. Puis ensuite, Chirac, Sarko, Hollande, et Macron. Tous ont fait kiff-kiff bourricot la même chose : Appauvrir les pauvres, enrichir les riches. Alors, je ne suis pas raciste, mais j’essaie le dernier truc, le seul truc pour lequel je n’ai pas voté. Et si eux sont comme tous les autres, alors, ils iront se faire voir avec leurs élections. »

André ressert du café dans une tasse posée sur la table recouverte d’une nappe cirée. Son appartement ne lui coûte pas grand-chose. Tant mieux, il ne bosse plus, n’a pas trop de sous. « Une maladie professionnelle. Je suis en invalidité. Un problème de dos. » Il n’a pas pu sortir de sa classe sociale. Pauvre autant que ses parents l’étaient. Il a dû arrêter le travail à 48 ans. Depuis, il se définit lui-même comme alcoolique. « Je suis tous les jours au bar. C’est une bonne définition ça, non ? »

Thibaud, 16 ans ( ne vote pas encore !)

Thibaud a 16 ans. Dans sa classe, il fanfaronne un peu, avec sa voiture sans permis. « C’est celle de mon frère, c’est pratique à la campagne. » Nous sommes dans une petite ville de la Loire. Thibaud vit avec ses parents à quelques kilomètres du lycée. « C’est moins dangereux que le scooter. Et c’est plus la classe » s’amuse l’ado. « Je suis de droite. Bardella, j’adore ! Il me tarde de pouvoir voter pour lui ! » Thibaud en a marre des « racailles ». « Je gare ma voiture sur le parking de la piscine. Notre lycée est au milieu de la banlieue, je me la ferais voler ici. Mes parents m’ont conseillé de faire comme ça. » Ses parents travaillent tous les deux. « Des bons jobs, mais ils disent qu’ils en ont marre de bosser pour les autres. » Les autres ? « Ben tu vois quoi… »

Thibaud pense que les femmes ne doivent pas être voilées. « Mais, en revanche, je suis pour l’immigration, à la condition que les gens bossent. Etre payés à rien faire, c’est pas normal. » Une camarade lui rétorque que certains français ne travaillent pas. « Oui, ben eux aussi faut qu’ils bossent. Moi, je vois mes parents rentrer du travail épuisés, pendant que certains s’amusent. »

L’ado a quand même des réserves sur le programme du RN : « Par contre l’égalité homme-femme ça c’est important, tout comme le respect des homosexuels. Mais Bardella, il a vraiment voté contre l’égalité salariale entre les sexes ? » On acquiesce. « Ca c’est abusé. » Finit-il par avouer.

Anthony, 24 ans

Anthony vit à la campagne, petite ville de 3000 habitants. Il a acheté son premier appartement grâce à l’aide de ses parents. Son discours est plus clair : « Je fais du foot, les turcs ont leur propre équipe. Comme les portugais. Et après ils disent que c’est nous qui les rejetons. » Le jeune actif, embauché par sa commune, ne manque de rien. Ses parents ont toujours été de droite. « Ils aimaient bien Chirac, je crois. » Il n’y connait pas grand chose. Mais est plutôt radical. « Il faut arrêter avec les aides. Que chacun bosse. J’ai 24 ans, je suis propriétaire. C’est quand même pas compliqué. » Il oublie de rappeler dans sa narration que sans l’aide de ses parents, il n’aurait jamais eu accès à un tel achat. « Je ne suis pas raciste, mais, quand même, on voit bien trop de violences partout. » Sur sa commune ? « Non mais il suffit de regarder les infos. Ici, les étrangers sont gentils. » Il parle alors des soirées partagées avec les gens de son âge issus de l’immigration. Pas vraiment des étrangers. « Les homos, ça ne me dérange pas. » Avant de continuer : « Tant qu’ils ne s’approchent pas trop. » Une photo de son amoureuse trône sur le meuble de son salon coquet. « C’est celle du moment. Je suis jeune. J’ai envie de profiter. »

Pierre, 54 ans

Pierrot roule clope sur clope. Ses grands yeux pétillants et sa barbichette grise accompagnent les rides sur son visage, marqué par la vie. « J’ai perdu un enfant et ma femme. » Ancien gosse battu, il a même vécu parfois sous les ponts. Sous son allure punk, « je l’ai été punk à chien », il a voté Bardella, dimanche. « J’aime mieux Marine, lui il fait son malin. » De désillusion en malheurs, Pierrot s’est battu contre les discriminations, notamment la grossophobie dont souffrait sa compagne. Il a fait du théâtre et a insulté Hanouna. N’empêche, aujourd’hui, il vote extrême-droite. Il partage ses heures avec ses collègues, dont beaucoup sont issus de l’immigration. « Je ne suis pas raciste. Je ne veux pas qu’on empêche les gens de venir en France. Mais, je suis à bout de cette société, il faut la révolutionner. Il faut la faire péter. Seul un vote du RN peut provoquer ça. » Pour lui, ses plus belles années se sont passées à la rue. « Sans foi, ni loi, en totale anarchie. » Là, il ne ressentait pas le poids du monde. « La société impose trop d’être comme tout le monde, inséré. Elle n’est pas faite pour moi. » Déplore l’ancien SDF. « Le RN va peut-être penser aux pauvres. Mais, je n’y crois pas, alors les gens seront à bout, et on aura la révolution que l’on mérite. En votant RN, j’ouvre la voie à la colère et à la révolution que je rêve tant de vivre. »

A., 44 ans

On cherche le témoignage de femmes. Mais aucune ne veut répondre. Sauf une. Elle bosse dans un bar, a 5 enfants. Jamais réussi dans les études, dit-elle. Elle semble faire partie des grandes oubliées. « Mon destin à moi, il est pas terrible. Pas horrible, mais pas fameux. » Elle Précise : « Ne donne pas mon nom. » Alors A., d’origine portugaise, raconte : « Je ne suis jamais sortie d’ici. Je pars à la mer pendant les vacances, avec les gosses et le mari, en camping, c’est tout. » Ils vivent dans une maison à la campagne. « Le week-end, on voit des copains, certains datent de la maternelle. » Ici, on attend la foire au vin, chaque année. Le reste du temps, on s’impatiente. « Il ne se passe rien dans ma vie, juste les gosses, le boulot. J’ai une vie simple, chiante mais simple. »

Si elle vote RN, c’est dans l’espoir que quelque chose change, que son existence soit moins âpre. Plus douce. Plus belle. « Je suis à découvert au 8 du mois. J’en ai ras le bol. » Le RN, elle le croit, comblera ses comptes vides. « C’est la merde de toutes façons, alors, voter RN ce ne sera pas pire. » Elle ne votait pas avant. Elle ne votera peut-être plus après. Elle déteste Macron, « le président des riches ». Et le Front populaire, elle n’y comprend rien. « Ils s’engueulent tous, là…ne sont d’accord sur rien. Ils me fatiguent. Mais, je pense qu’eux sont plus écolo quand même. Avec Bardella, ça va peut-être manquer. » Son histoire familiale la confond en excuses. « Mes parents ont fui la dictature portugaise. Alors, être raciste, moi jamais. Mais quand même Bardella n’a pas la carrure d’un dictateur. Lepen me faisait peur. Mais Bardella, il veut aider les pauvres. Je le suis sur Tiktok. Il est simple, vient de la banlieue. Ca craint là-bas. » Insiste-t-elle en passant un coup de lavette sur le comptoir du bar. « Enfin, je n’y connais pas grand chose. A vrai dire, ça ne m’intéresse pas beaucoup la politique. Je vous ressers ? »

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