« L’impôt est une révolution inachevée, un siècle après sa création. »

Lundi 3 novembre, Gabriel Zucman était de passage à Clermont-Ferrand. D'abord à la librairie des Volcans puis à l'université d'économie.

Il était attendu pour 18H30, mais plus de 300 personnes se serrent sur les bancs, à la librairie des Volcans dès 18H. Il arrive, et on entend « il fait encore plus jeune qu’à la télé. » En effet, ce trentenaire prodige de l’économie s’est passionné très tôt pour l’évasion fiscale. Il a 21 ans lors de la crise de 2008. « Je voulais comprendre les flux financiers internationaux, ca m’a fasciné. On en entendait beaucoup parler mais il existait peu de travaux sur ce thème. » Pour le jeune Gabriel, on sous-estime trop les inégalités. « J’ai donc voulu répondre à tout ça dans ma thèse. » Et le voilà qui cartographie les plus grandes fortunes mondiales pendant 15 ans.

Et le travail n’est pas facile, « l’évasion fiscale, c’est difficile à évaluer, il faut identifier différentes sources, et c’est plutôt caché, avouons-le. » Il estime alors que la société est résignée : »On se sentait impuissant face au secret bancaire, c’était triste mais c’était comme ça. »

« L’évasion fiscale n’est pas une loi de la nature »

En 2009, Obama impose des sanctions financières aux banques suisses si elles ne coopèrent pas dans les échanges de données bancaires. « On comprend alors que des progrès peuvent être réalisés très vite. En fait, l’évasion fiscale n’est pas une loi de la nature. »

Pour l’économiste, la question de l’impôt dépasse l’économie, elle montre le niveau de réflexion d’une société sur l’agir en commun. Qui paie quoi ? « C’est une question citoyenne et philosophique. »

Les impôts, une question philosophique

Alors il explique à son auditoire, assis tout autour de lui à la librairie : « Les impôts représentent 50 % du revenu national. L’impôt sur le revenu représente 10% de ces prélèvements. Il existe aussi la TVA, la taxe foncière, les cotisations sociales, etc. Il est important alors de savoir qui doit payer quoi. » Et selon l’économiste, le point aveugle réside dans ce que paient réellement les ultra-riches. Alors, il se met au travail et décortique le système français.

« Le français moyen paient 50 % d’impôts sur le revenu. Les milliardaires seulement 13%. » Il explique que les multinationales paient jusqu’à 25 % d’impôts mais en comptant tous les prélèvements dont les impôts à l’étranger.

1800 foyers seraient touchés par ce nouvel impôt

Alors, il décidé de s’attaquer uniquement à la frange des ultra-riches, de la poignée de milliardaires qui échappent à la même fiscalité que les autres français. Il a donc découpé les classes en 4 catégories : La classe populaire, qui représente 50 % des français, est taxée à hauteur de 45 % de ses revenus. La classe moyenne à 50 %, la classe aisée à 52 % . Bien loin des 25 % des milliardaires. « On parle de 1800 foyers en France. Ils sont peu nombreux mais ils ont beaucoup d’argent. »

Il prend alors en référence le classement du magazine Challenges, loin d’être un fanzine gauchiste. « En 1996, les plus riches de notre pays représentaient 6 % du PIB, c’est à dire 6% de la valeurs de tous les biens et service de notre pays. Aujourd’hui, ils représentent 42 %. »

La France, pays durement touché par les inégalités

On n’ose pas faire répéter, mais on a bien compris. 1800 personnes détiennent quasi l’équivalent de la moitié de la richesse de notre pays. Zucman aimerait nous rassurer: « Ce phénomène n’est pas unique dans notre pays. » Avant d’ajouter : « Mais, c’est là où il est le plus abouti… »

Les raisons de cette inégalité face à l’impôt tient en 2 explications : La mondialisation et les dividendes.

Car, il ne faut pas confondre revenu et richesse. C’est ainsi que les milliardaires échappent à l’impôt sur le revenu. « L’impôt est la preuve angulaire de la justice sociale, c’est un correctif face aux inégalités. »

La patron d’Amazon a droit aux prestations sociales !

Mais, le très haut niveau de patrimoine ne génère aucun revenu imposable. D’ailleurs, Gabriel Zucman étonne la salle quand il dit que Jeff Bezos touche les prestations familiales… »Eh oui, le patron d’Amazon ne déclare aucun revenu, alors qu’il est l’un des hommes les plus riches de la planète. »

Pour l’économiste, « l’impôt est une révolution inachevée, un siècle après sa création. » Alors, il cherche des solutions. Et estime qu’on doit prélever non pas en fonction des revenus mais en fonction de la richesse.

2% sur les fortunes de plus de 100 millions d’euros

Et, il propose une imposition de 2% sur la fortune de ceux qui possèdent plus de 100 millions d’euros. « En sachant que les plus riches augmentent leur patrimoine de 10% par an, depuis 30 ans. »

Selon Gabriel Zucman, l’imposition fonctionne vraiment mal en France, « l’Impôt Sur la Fortune impactait en 2016 seulement 0,005% du patrimoine des milliardaires. »

Alors, avec cette nouvelle imposition pour les plus grandes richesses de ce pays, l’économiste propose plus d’égalité. « On touche aux plus riches sans aucune exonération. Et concernant l’évasion fiscale, on est mieux armés aujourd’hui. »

Empêcher l’exil fiscal

Le trentenaire déjoue les contre-arguments. « On nous parle d’exil fiscal, tous ces milliardaires qui partiraient si on les taxe plus. Ben ça c’est un choix politique. » Pour lui, les gouvernements successifs ne mettent rien en place pour les retenir. « Ce sont des gens qui bénéficient des services publics, de notre système de santé gratuit, on doit les obliger à payer leurs impôts ici. Aux Etats-Unis, ils sont un peu radicaux peut-être, car on y paie des impôts à vie dès lors qu’on y a vécu un peu. Mais, on peut trouver un juste milieu. »

Ordre du jour du G20

Dans le monde, d’ailleurs, cette question est grandissante. La taxation des ultra-riches est à l’ordre du jour de la réunion du G20. EN Californie, un référendum est mis en place pour un taux de 5% des 200 plus gros milliardaires de l’Etat. « Ca devient une urgence mondiale. »

Et en France aussi. « On ne peut pas attendre au vu de l’état des finances publiques. On peut diviser la dette publique par deux. 1/3 sera réglé juste avec cette taxation des milliardaires. »

« La fortune c’est le pouvoir. »

Parce que Gabriel Zucman aime le rappeler : »La fortune c’est le pouvoir, et l’extrême richesse ne peut être en dehors du pouvoir public. » Il en démontre l’exemple par le biais de la presse détenue par ces mêmes milliardaires. « Le niveau de contrôle en France est très inquiétant pour notre démocratie, les milliardaires ont une emprise sur la vie économique et démocratique. » Rappelle l’économiste qui n’a pas été invité par les chaînes privées, et n’a pu intervenir que sur les stations publiques.

Malgré tout, le jeune homme reste optimiste. « On n’a pas le choix que de continuer le mouvement historique depuis 1789. 86% des français sont pour cette mesure. Il ne s’agit là que de plus d’égalité. » Même si la proposition a été rejetée à l’assemblée, l’économiste se dit confiant.

Après une séance de dédicaces, Gabriel Zucman a tenu une conférence à l’université de la Rotonde.

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2 réflexions sur “« L’impôt est une révolution inachevée, un siècle après sa création. »”

  1.  » le français moyen paye 50 % d’impôts sur le revenu » ; c’est stupide. C’est faux, pour payer 50 % d’impôts il faut avoir des revenus qui ne concernent pas des français moyens dont les revenus sont inférieurs à 30 000 euros. Mais là, on est sur des sommes en millions d’euros annuels donc pas tellement des revenus moyens.
    3 % des français possèdent la moitié des logements loués en France. La taxe Zucman les laisse profiter de cette manne. Le profit est bien ancré dans notre société et ce n’est pas la taxe Zucman qui va transformer ce système. Non il faut augmenter aussi les tranches supérieures car plus on monte dans la richesse plus les privilèges de classe dominante se cumulent ; déductions innombrables. En gros les prélèvements fiscaux obligatoires sont largement compensés par un panier d’aides publiques bien garni.

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