Florence, volubile, est intarissable sur le sujet. Elle pourrait raconter des heures le nombre d’appels qu’elle a passés à Orange, depuis le mois de décembre.
Habitante de Saint Germain L’Herm, commune entre Thiers et Issoire, elle note une coupure d’Internet le 22 décembre. Il faut dire que le village de moins de 500 habitants est sous la neige et un peu isolé. « Le problème vient des branches qui tombent sous le poids de la neige. » Ce n’est pas la première fois que les habitants ont affaire à une panne. « Parfois lors de débardage dans la forêt, des lignes sont coupées. »
Un combat de 10 ans
Oui, car dans le village comme dans de nombreuses zones rurales, les lignes ne sont pas enterrées. « On a la fibre, mais sur des poteaux » S’amuse Eric Dubourgnoux, Conseiller départemental des Monts du Livradois, et maire de Saint Gervais sous Meymont. « Ca fait 10 ans que ça m’occupe ces histoires avec Orange. Et c’est pas forcément dans mes compétences ! » Ironise l’ancien suppléant du député communiste André Chassaigne.

Il ne reçoit d’ailleurs l’appel de Florence que fin février. « J’ai alerté tout le monde, parce que depuis le 22 décembre, en fait, il ne se passait rien. » Explique l’ancienne assistante sociale.
Des pompiers injoignables
Pourtant, tout aurait pu se terminer en drame, notamment lorsqu’un feu se déclare dans un lieu-dit proche de chez Florence. Les pompiers mettent du temps à arriver. « Nous avons couru partout pour trouver du réseau. » Les pompiers eux-mêmes ont besoin de renfort, mais n’arrivent pas à joindre leur collègue, avec leur ligne indisponible. Ainsi, le restaurant entier a brûlé.
« On aurait pu éviter ça… » se désole Florence. Une trentaine de foyers sont impactés. La mairesse du village répond qu’elle ne peut rien faire. Florence écrit jusqu’au médiateur de la république qui lui indique qu’il ne prend pas en charge les différends avec les sociétés privées.

« C’est bien le problème » selon Eric Burgougnoux. « Depuis la privatisation d’Orange et leur recours à la sous-traitance, c’est l’enfer. » Constat partagé par Florence : « Ils sous-traitent tout sauf les prélèvements, 100 euros par mois qu’ils n’ont jamais oublié de débiter, même quand on n’a pas eu accès à leur service pendant 2 mois. » Car, ca y est, le réseau est revenu fin février chez Florence, mais au détriment du village d’à côté. « Tout le monde hurle sur Orange. On n’a pas une année sans coupure. Le réseau est totalement abandonné. Il suffit d’une branche, de neige, de vent…On est vraiment les oublié.e.s de cette entreprise qui ne voit rien de lucratif sur nos territoires. »
Privatisation des Télécoms
Eric Burgougnoux est bien d’accord avec le constat. « On a privatisé les Télécoms. On a ouvert à la concurrence. Mais le réseau reste chez Orange. Alors, quand les usagers appellent chez Bouygues, on les dirige chez Orange. Et là, on prend conscience que l’entreprise est totalement déstructurée. »
En effet, l’entreprise Orange sous-traite son dépannage. Concernant la remise en état des poteaux, elle fait affaire avec une société installée en Isère. Mais, s’il s’agit d’une intervention sur les fils, c’est une entreprise du Rhône qui se déplace.
Une sous-traitance désorganisée
Au point qu’on en arrive à des situations ubuesques, comme le raconte l’élu :
« L’exemple est tiré de faits réels : On a une panne. On appelle le 3900. On nous donne une date de dépannage. Mais le jour J, le sous-traitant ne vient pas. Il ne se déplace pas juste pour une intervention dans le secteur. Donc il annule. Autre exemple : l’intervention sur les poteaux se déroule bien, mais il faut attendre le sous-traitant pour les fils, pour la remise en marche. D’où parfois des pannes qui traînent pendant des mois… »

Le conseiller départemental est d’ailleurs plus que blasé. « Le seul truc qui marche c’est d’appeler la direction régionale. Sauf que les usagers n’ont pas les contacts directs. Moi, à force, j’ai mon carnet d’adresses! Et en général, j’appelle et le lendemain, c’est réparé. A la direction régionale, on n’aime pas que les clients râlent. »
Pas de télé assistance, pas de télétravail
Dans le milieu rural, pourtant, Orange a bien mauvaise presse. « On a des personnes fragiles, âgées, et isolées qui ont besoin de la téléassistance. Sans réseau, on les met en danger. On a aussi une population active qui fait du télétravail. Sans réseau, ce sont des gens qui ne peuvent pas rester à la campagne. »
Une société qui va plutôt bien
L’entretien fait défaut depuis plus de 30 ans dans les milieux éloignés. « Orange n’a plus les moyens d’enterrer la fibre, alors, ils l’ont mise sur les poteaux. Ce qui est pire, puisqu’elle est bien plus fragile que les lignes en cuivre… » Selon Florence « Orange est en train de sombrer. » Mais Eric Burgougnoux rétorque : « Pas tant que ça…Au vu des résultats nets de la société en 2024, les actionnaires n’ont aucun souci à se faire. »
En effet, on se rend compte que Orange a enregistré un résultat net de près de 3000 millions d’euros. ( NDLR : source : Site Orange) C’est ce qui agace le plus le maire rural. « orange doit prendre des mesures. Il faut sortir de ce système à vouloir constamment faire plus d’argent. Il faut restructurer Orange, qu’elle redevienne une entreprise intégrée, sans sous-traitant. On ne peut pas décemment faire du profit au détriment des usagers. »

Eric Burgougnoux en appelle à la responsabilité de la structure : « IL ne faut pas s’étonner de la montée des Extrême-droites dans le milieu rural, après ça. C’est l’abandon de toute une partie de la population par ces sociétés qui ne s’intéressent qu’à l’argent au lieu de faire leur métier. »
Réunion publique le 17 avril
Florence quant à elle, a encore du mal à répondre du premier coup aux appels téléphoniques. « Ca marche une fois sur deux ! Les gens tombent directement sur mon répondeur. Je trouve quand même que l’égalité des droits n’est pas respecté, sous prétexte qu’on habite à la campagne. »
Avec plusieurs usagers mécontents, elle réfléchit à monter un collectif « Les naufragés du Web ». Ils ont décidé de créer une réunion publique le 17 avril à 17 heures pour dénoncer l’abandon d’Orange sur leur territoire.