Avoir 10 ans en 2022

Elle a 10 ans. Depuis ses 8 ans, elle vit au rythme d’un virus qui ne la rend pas malade. Mais de son petit âge, elle doit protéger les plus grands. Elle porte le masque toute la journée. Se lave les mains toutes les deux heures. Parfois elle trouve que ça n’a pas de sens. On lui dit qu’avec l’école, elle n’ira pas à la piscine ni au cinéma. Elle a 10 ans et ses parents ne peuvent pas répondre à toutes ses questions. Souvent, elle doit subir la douleur que procure la longue tige d’un test. Elle doit louper l’école pour ça. Parfois elle pleure. Ça fait mal au nez et au cœur car elle a 10 ans et elle préfèrerait jouer dans la cour avec les camarades des autres classes. Elle a dix ans comme eux.

Certains sont plus petits. Certains n’ont même pas 6 ans. Ils vivent la même chose depuis mars 2020. Des maternelles et des primaires n’ont quasiment jamais vu les adultes qui s’occupent d’eux sans leur masque. Jamais vu leur sourire. Jamais appris à reconnaitre les expressions sur leur visage. 

Elle a 10 ans et porte le masque toute la journée. Même dehors. Pas facile pour le sport  ni pour la concentration. Ça gratte et ça donne mal à la tête. La fenêtre ouverte en hiver, pas simple non plus. Le gel hydro-alcoolique, la séparation entre les classes ou les cycles, le matériel supprimé, les sorties annulées. Elle a 10 ans mais elle ne s’habitue pas à cette situation qui traine. On n’en sort plus. Pendant les vacances de Noël, trois centres aérés ont fermé dans sa ville, Clermont-Ferrand. Beaucoup d’enfants ont eu le Covid. Les animateurs ont été encore plus touchés.

Depuis lundi, l’angoisse est montée d’un cran. Des instits ne sont pas là. Elle a 10 ans et sa copine Léa a le covid. Louis et Yacine aussi. S’ils vont bien ? Elle ne sait pas. Ça fait beaucoup de stress pour une petite tête de 10 ans. Toute la journée, c’est un festival de parents qui viennent récupérer leurs enfants cas contact. Comment vont-ils faire? Il n’y a presque plus d’auto-tests dans les pharmacies et le délai pour se faire tester est de plus en plus long.

Dans les collèges et les lycées, c’est la même galère. De nombreux profs manquent à l’appel. Des établissements ont dû fermer des classes faute de remplaçants. On va chercher des profs retraités ou sur Le bon coin. Dans certaines académies, des élèves n’ont pas eu cours de certaines matières depuis septembre. Pourtant, 1800 postes ont été supprimés dans l’Éducation nationale en 2021. 440 pourraient l’être dans le secondaire cette année. Comment comprendre ça quand on a 10 ans ? Comment comprendre que les extracteurs d’air n’aient pas été vus comme la solution à adopter dans les écoles ?

Le corps enseignant est à l’agonie. Alors que les professeurs ont reçu seulement deux masques en tissu, ils demandent des masques et des auto-tests pour tout le personnel et les élèves. Ces derniers doivent le payer de leur poche s’ils souhaitent un masque FFP2. Comment travailler convenablement quand notre employeur ne nous protège pas ?

Les absences ne permettent pas de dédoubler les classes, ce qui pourrait pourtant assurer un minimum de sécurité. En cas de taux d’incidence globale (examinée à une échelle infra-départementale) supérieure à 1500, la CGT demande au Rectorat la fermeture des écoles et établissements dans les zones concernées de façon exceptionnelle. Dimanche soir, le protocole sanitaire en milieu scolaire a été renforcé. Les élèves doivent se faire tester trois fois s’ils sont cas contact. Dans le premier degré, l’angoisse est d’autant plus grande que les personnels vont devoir gérer des entrées-sorties d’élèves, tenir une comptabilité des retours tests, contrôler les déclarations sur l’honneur et assurer la classe ce qui rendra impossible la continuité pour les élèves qui seront à l’isolement. Sans parler du casse-tête des cantines et du temps périscolaire. Des journées à rallonge qui se terminent parfois au détour d’un dernier mail, à 22h passées pour prévenir un dernier parent.  

À 10 ans, on ne se demande pas s’il faut fermer son école. S’il faut tout arrêter à nouveau pour stopper l’hémorragie. Stopper la déferlante qui mène au pire. Qui mène à demander à une infirmière qui a le Covid de venir quand même au travail car les bras manquent dangereusement. Comment comprendre la fermeture de 18 000 lits d’hôpital en un quinquennat ? Alors que 280 milliards d’euros ont été versés pour aider l’économie?

À 10 ans, on a envie d’emmerder personne mais on n’a pas envie de se faire emmerder non plus. On n’a pas envie que les politiques privilégient l’économie à notre sécurité. On veut juste profiter de l’enfance encore un peu. Une trentaine de millions de tests ont été réalisés en décembre. 28 millions ont été remboursés par la Sécurité sociale. Quand elle aura 30 ans, 50 ans, 70 ans, aura-t-elle profité de la Sécu ? Cela sera-t-il encore possible ? Elle a 10 ans et elle voudrait sortir sa tête du brouillard pour voir l’avenir un peu moins flou.

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