Chômage à La Poste : le parcours du combattant

Attente interminable, retards de paiements et services fantômes : les anciens salariés de La Poste sont nombreux à souffrir du système de chômage de leur ex-employeur. Explications et témoignages.

Très peu le savent mais La Poste possède son propre système de chômage. Ce fonctionnement interne date de l’époque où elle était encore une entreprise publique. Malgré sa privatisation en 2010, La Poste détient toujours des compétences propres en termes d’allocations chômage, un fait rare pour un organisme privé. Si au siècle dernier, La Poste comptait de nombreux fonctionnaires et peu d’intérimaires, la réalité s’est inversée rendant ce fonctionnement d’autant plus compliqué. 

C’est là que la galère commence. En effet, de très nombreuses déficiences sont à noter et le versement des allocations chômage est devenu, pour les bénéficiaires, un véritable parcours du combattant.

Des défaillances en nombre

C’est le service des ressources humaines de Nancy et non Pôle emploi qui assure l’indemnisation des anciens intérimaires et salariés en CDD de La Poste. Face au marathon administratif, au manque d’accompagnement et aux retards de paiements, les contestations se font légions. En effet, le problème touche de nombreuses personnes. (L’an dernier, plus de 13000 salariés en CDD travaillaient en moyenne tout au long de l’année à La Poste).

Que reproche-t-on à ce système ? D’abord, des dossiers impossibles à constituer avec des documents qui manquent toujours. Ensuite, l’illogisme des démarches et la navette interminable avec Pôle emploi. Mais l’aspect le plus pervers de la situation semble être le fait que tant que des droits ouverts à La Poste ne sont pas touchés, aucune demande d’allocation de peut être faite ailleurs.

Services fantômes

Poursuivons la liste. Les lignes ? Souvent injoignables. Si l’on tente d’appeler le service, ça sonne souvent dans le vide avant une coupure. Les paiements ? Ils arrivent des mois voire des années en retard. Et encore, parfois, un trop perçu est touché et le demandeur doit rembourser de fortes sommes dans les plus brefs délais pour éviter la mise en demeure.

Certains ex-agents en viennent à penser que La Poste utiliserait leur argent non versé pour des opérations financières. D’autres pensent que le système est fait pour décourager les demandeurs qui abandonneraient les démarches pour se tourner vers Pôle emploi, laissant ainsi leur dû à La Poste.

Aveugle et sourd

Ces dernières années, des réorganisations d’ampleur ont eu lieu au sein de l’entreprise. Des facteurs se mettent en grève, des bureaux ferment, les tournées deviennent chronométrées, et les charges de travail s’alourdissent. Si les agents en paient les conséquences, beaucoup d’entre eux, intérimaires et CDD en tête, partent. Leur détresse face au système de chômage a fait l’objet de plusieurs questions au gouvernement mais ce dernier semble sourd et aveugle.

Question d’Adrien Quatennens le 1er juin 2021 (sans réponse) :  

M. Adrien Quatennens appelle l’attention de Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion sur le service d’indemnisation chômage du groupe La Poste. Le groupe La Poste détient son propre système d’assurance-chômage et indemnise à ce titre les anciens salariés du groupe quand leur contrat de travail prend fin. Toutefois, de nombreux anciens salariés connaissent de graves difficultés pour faire valoir leurs droits et bénéficier de cette indemnisation. M. le député a ainsi été interpellé à plusieurs reprises par d’anciens salariés du groupe, restés sans indemnisation pendant plusieurs mois, sans capacité de joindre les services compétents et sans cesse appelés à « renouveler leur appel ultérieurement ».

Le groupe La Poste a confirmé ces difficultés, sans pour autant y apporter de réponse. Bien que, comme sa réforme de l’assurance-chômage le montre, le Gouvernement préfère faire la chasse aux chômeurs plutôt que de lutter contre le chômage, les chercheurs d’emploi ont des droits et ont cotisé pour les faire valoir. Ainsi, il l’interroge sur les mesures qu’elle entend prendre pour répondre à l’urgence des anciens postiers laissés sans indemnisation et à plus long terme pour résoudre ces difficultés.

Question d’André Chassaigne, député du Puy-de-Dôme, un mois plus tard :

M. André Chassaigne interroge M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance sur les conditions d’indemnisation au titre de l’assurance chômage par les services de La Poste. Le groupe La Poste, par l’intermédiaire du centre services ressources humaines de Nancy, gère lui-même les demandes de chômage de ses agents et les indemnise. Or, depuis de nombreux mois, la presse ne cesse de relater le parcours du combattant auquel sont confrontés les personnels de La Poste afin de faire valoir leur droit à l’assurance chômage. Des administrés de la circonscription de M. le député sont également impactés par cette situation, dont l’un est désormais depuis trois mois sans ressources suite à sa rupture de contrat avec La Poste. Les organisations professionnelles ont également dénoncé à de multiples reprises le dysfonctionnement de la gestion de l’assurance chômage par La Poste.

Outre les démarches initiales obligatoires qui sont elles-mêmes chronophages, avec notamment un retour requis des services de Pôle emploi indiquant son refus de prise en charge, il s’avère que les délais de traitement des demandes d’indemnisation peuvent dépasser les trois, cinq, voire neuf mois dans certains cas. Ceci n’est absolument pas acceptable et les conséquences sont parfois dramatiques. De plus, les ayants droit indiquent un service téléphonique injoignable et déplorent l’absence de réponse à leurs courriels. Ils précisent également être confrontés à des manœuvres délétères qui consistent à demander plusieurs fois les mêmes documents, allongeant ainsi un peu plus les délais de traitement. Ces situations plongent des personnes dans le dénuement le plus complet sans que la direction de La Poste, pourtant parfaitement informée de la multitude de ces situations, n’engage les moyens utiles afin de remédier à ces situations. Au regard des situations dramatiques vécues par les agents concernés et de l’inaction et passivité de La Poste, il lui demande s’il compte prendre des mesures afin que La Poste traite et indemnise les ayants droit au titre de l’assurance chômage dans des délais raisonnables.

La réponse à la question d’André Chassaigne semble directement donnée par le service communication de La Poste qui ne parrait pas mieux voir ni entendre les doléances des victimes. Pire, cette dernière impute la faute aux agents :

En application des dispositions des articles L. 5424-1 et L. 5424-2 du code du travail, La Poste assure la charge et la gestion des allocations de chômage. L’entreprise dispose d’un service RH spécifique à Nancy, composé de 30 collaborateurs et d’une vingtaine de personnes en renfort. Une conjonction de plusieurs facteurs explique les retards observés dernièrement. D’une part, une augmentation du nombre d’allocataires, due à l’arrêt de l’utilisation de contrats à durée déterminée par la branche Services-Courrier-Colis (BSCC), en raison d’une forte réduction de l’activité au début de la crise sanitaire, en avril 2020, l’augmentation des livraisons de colis n’ayant repris de l’ampleur que progressivement. D’autre part, à cette augmentation s’ajoutent des dossiers souvent incomplets, ce qui provoque un ralentissement de leur instruction, les pièces manquantes ne permettant pas de procéder à l’indemnisation (66 % de dossiers incomplets). De plus, en 2020, le confinement des équipes en raison de la crise sanitaire et le manque d’outils adaptés au télétravail ont constitué un élément aggravant. La Poste a mis en place des mesures correctives.

En premier lieu, une meilleure organisation est attendue grâce à la mise en place d’un nouveau management dédié, ainsi qu’un pilotage plus rapproché de cette activité et une optimisation de processus de travail et d’organisation. Par ailleurs, la sécurisation du système d’information pour permettre la gestion à distance de certaines activités contribue à améliorer les retards constatés. En outre, le service rendu est amélioré par la mise en paiement portée à 6 mouvements par mois (contre 3 auparavant). Depuis mi-avril 2021, un numéro vert a été mis en place, de même qu’un renforcement des équipes chargées de la prise des appels téléphoniques, ainsi qu’un processus numérisé de traitement des dossiers chômage en complément des canaux « papiers » traditionnels, qui permet aux futurs allocataires de réaliser leurs demandes en ligne. Enfin, une communication plus adaptée en direction des allocataires a été élaborée, notamment en sensibilisant ces derniers à leurs futures démarches, lorsqu’ils sont encore dans l’entreprise, sur leur lieu de travail, ce qui devrait permettre de faire diminuer le nombre de dossiers incomplets. Depuis ces nouvelles mesures, pour chaque dossier comportant l’ensemble des éléments demandés, la mise en paiement intervient en quelques jours.

« McKinsey nous a beaucoup aidés », a déclaré Philippe Wahl, PDG de La Poste. L’aide a servi notamment à définir quelle devait être la stratégie d’implantation des bureaux de poste. « La crise sanitaire a mis en lumière l’intervention des consultants dans la conduite des politiques publiques. Ce n’était en réalité que la face émergée de l’iceberg », révèle une enquête du Sénat à l’initiative du groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE). Mais cette « aide », n’a certainement pas permis d’améliorer la situation des ex-agents qui ont décidé de se mobiliser par leurs propres moyens.  

Les agents se serrent les coudes

Certaines personnes n’ont pas touché d’argent depuis des mois. La détresse grandit au fil du temps qui passe. Peu à peu, les bénéficiaires se sont emparés des réseaux sociaux comme WhatsApp ou Facebook pour échanger et lutter ensemble. En faisant un tour sur le groupe Facebook « les victimes du système chômage de La Poste », on comprend l’ampleur du problème. Un post toutes les demi-heures. De la colère, de la détresse, des questions de procédure, des gens qui craquent.

Grande détresse

Aline a passé 17 ans à La Poste. Après avoir enchainé des missions, parfois sans contrat, elle parvient à se faire embaucher en CDI. « Après 15 ans de bons et loyaux services, mon état de santé se dégrade, des troubles musculo-squelettiques apparaissent, causés par des mouvements répétitifs du métier de facteur. », explique-t-elle. On lui confie des tâches ingrates et difficiles. Elle fait un burn-out. « Un matin, c’est trop, je pars en pleurant devant tous les autres agents. Mon médecin me met en arrêt ». Elle reprend pourtant en novembre 2018, en pleine grève. « Début mars 2019, je suis tellement stressée et fatiguée que je mets au moins 10 minutes pour me garer. Mes muscles sont tous douloureux, le moindre geste est pénible. Mes recherches et demandes de reclassement n’aboutissent pas. On me dit que la Poste ne me fera pas d’emploi sur mesure ». Elle demande à être licenciée pour inaptitude.

Le combat commence

 « C’est comme dans un couple, quand on ne s’entend plus, on divorce mais je ne savais pas du tout dans quelle galère j’allais ». Aline constitue son dossier. Tout est numérisé et envoyé en recommandé mais elle reste sans réponse pendant plusieurs mois. Les économies ne suffisent plus pour payer loyer, factures et nourriture. Ses appels auprès des assistantes sociales de La Poste n’accélèrent pas le traitement du dossier. « Mon mari est papa à temps plein et s’occupe de nos enfants. C’était très dur, ça provoque des tensions dans la famille ».

Le premier paiement arrive après de nombreuses relances par mail. Mais ce n’est pas signe d’une bonne nouvelle. Un mois plus tard, on lui indique un trop perçu qu’elle doit rembourser. La somme est très élevée. Quinze jours plus tard, La Poste la place en contentieux. Nous sommes à l’approche de Noël.

Des paroles à l’acte

Selon Aline, La Poste coupe tout dialogue avec les syndicats depuis plusieurs mois. « Il y a des gens qui sont pessimistes et des gens qui veulent tout casser. Il y a des jeunes qui en viennent à renoncer à leurs droits pour être libérés. Multiplié par le nombre de CDD, ça fait beaucoup d’argent », conclut cette dernière.

Pour Xavier* aussi, la situation est devenue très compliquée. Il a travaillé en CDD 4 mois. « Vue l’ambiance, j’ai vite arrêté », explique-t-il. Sans emploi à l’heure actuelle, ce dernier n’a plus les moyens de poursuivre ses recherches. Comme pour les autres bénéficiaires, le chemin est sinueux. « Ils me disent qu’ils ne reçoivent pas le dossier mais ils le perdent systématiquement. J’ai dû le renvoyer 4 fois et vue le poids, c’est 15€ à chaque fois. Du coup, j’ai inventé le recommandé 2.0. Je me filme en train de poster l’enveloppe après avoir noté l’adresse pour bien tout prouver », ironise le père de famille.

Au total, il a dû composer avec une quinzaine de conseillers différents. Xavier n’en peut plus. « La trêve hivernale est finie, si je ne paye pas, je serai expulsé avec mes enfants. Mes 2 petites filles ont passé un Noël de merde. Ma grande a 11 ans, elle voit bien que les placards sont vides et que c’est la misère. Il n’y a pas de retour et d’écoute alors qu’on parle de situations graves ».

Toucher l’image de l’entreprise

Douche froide. Aujourd’hui même, on a dit à Xavier qu’il fallait reprendre son dossier à zéro. Cette réponse, Constantin l’a lui aussi reçu. Cet ancien agent de La Poste a fait plusieurs missions en CDD. Pour raisons personnelles et géographiques, il a dû refuser un CDI. Lorsqu’il tente de toucher son allocation, il reçoit un appel l’informant que son dossier est incomplet. « Un jour, je fais des courses, ma carte bancaire ne passe pas. J’appelle et on me dit qu’il manque encore des documents. J’ai toujours des interlocuteurs différents ». On lui demande d’envoyer son dossier en recommandé. « On n’a même pas de quoi s’en sortir. J’ai contacté une assistante sociale car j’étais presque à la rue, je ne pouvais pas voir mon fils car je ne pouvais pas payer mon loyer », rétorque-t-il. Face à ce silence et cette perte de temps, il décide d’agir.

« J’ai préféré toucher l’image de l’entreprise vue qu’elle touche ma dignité », explique Constantin qui, muni d’une pancarte, décide de se poster devant différents bureaux pour sensibiliser les gens.

Faire bouger les lignes

Sans surprise, la situation s’est débloquée dans la foulée pour Constantin. D’autres ont décidé de mettre la pression à La Poste. Depuis quelques mois, le sujet devient de plus en plus médiatisé dans la presse, à la radio et à la télévision. Certains se reposent également sur l’avocate Emma Léoty. Les anciens postiers ont décidé d’entamer une action groupée. L’avocate recueille les témoignages et les cas afin d’adresser à La Poste des mises en demeure. Pour cela, il faut avoir un dossier complet et ne pas avoir touché d’argent. « Si une pièce manque, je l’envoie et je demande le paiement dans les 72heures », explique cette dernière. « J’ai envoyé des mises en demeure au fil de l’eau de façon groupées toujours sous la même forme et en général, les personnes sont remboursées, », précise-t-elle.

Si la façon de gérer ses anciens salariés n’est pas très morale de la part de La Poste, juridiquement, cette dernière devrait procéder à un paiement sous sept jours après la réception d’un dossier complet et l’envoie d’une notification de validation. Prochainement, l’avocate et de nombreux ex-agents devraient lancer une procédure judiciaire.

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3 réflexions sur “Chômage à La Poste : le parcours du combattant”

  1. Très bien, je précise toutefois qu il n y a pas que des fonctionnaires et des intérimaires à la poste, il y aussi des contractuels de droit public (en cdi) dont je faisais partie. Licenciée fin avril 2021 pour impossibilité de reclassement ( licenciement abusif, je dois aller aux prudhommes), c est eux qui sont sensés me payer, mais en attente depuis le 9 janvier, car ils ont fini par me dire après 3 appels que j étais radiée de pôle emploi depuis cette date, ce qui est erroné et j ai envoyé les preuves !! Usant.

  2. Bonjour à tous.tes,

    Je suis « heureux » de voir que je ne suis pas seul, cela fait des mois que le service Chômage d eLa Poste use de la violence administrative en ne débloquant pas mes droits d’allocations. Je rempli de colère et commence à perdre espoir, je suis donc ouvert à des solutions si certain.es d’entre vous en avez pour faire avancer mon dossier.

    Merci à Mediacoop pour cet article !

  3. Bonjour,
    La Poste m à versé un trop perçu et me demande de le rembourser sans aucune proposition ! Je leur demande d échelonner ce remboursement sur plusieurs mois (par exemple, trop perçu Pole Emploi possibilité de remboursement sur 24 mensualités sans justificatif) mon dossier à été transféré au service recouvrement et toujours aucune proposition et ils me demandent la totalité de la somme toutes mes demandes ont été envoyé en Lettre Recommandé avec accusé de réception
    Puis je malgré tout régler ma sommes en plusieurs mensualités ? Qu’est ce que je risque ?
    Merci

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